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mais par la continuité non interrompue de gains |
modiques Sfidimitésdans les juftesbornes de Thon- |
nêteté.
Comme il eft de l’utilité du négociant de s’at-
tirer la confiance de fes correfpondans ; qu'il ne
peut la conferver que par la probité &.la bonne
foi., il eft certain j que l'envie même dè gagner
l ’engage & le force à ne pas tromper. Elle eft
même un frein d'autant plus puiffant, que ce frein
eft pris dans la nature de l'intérêt perfonnel, &
qu'il exiftera toujours par là concurrence.
Dans le nombre des commerçans, il s*en trouve,
fans doute , qui fontaffez inconfidérés pourfe laif-
fer féduire par l'appât d’un gain trop rapide } mais
ce petit nombre fera affez puni de fa mauvaife fo i,
par le défaut de confiance & de débit. On: ne
trompe pas longtemps impunément. Le légiflateur
devoit donc regarder ces fraudes paffagères comme
une affaire de particulier à particulier , intéreffé à
ne pas fe laiffer tromper > comme une fraction à
négliger dans la fomme totale du commerce.
I l devoit avoir en vue le plus grand nombre
conduit 3 pour fon utilité même , par la probité s
Zc ne pas partir d’un principe aufli faux que def-
honorant.
I l devoit enfin ne pas prendre, pour unique
objet: de la loi qu'il vouloit promulguer 3 des contraventions
rares & particulières 3 qu'on fuppofe
générales gratuitement, comme fi tous les contrats
de vente étoient ou dévoient être néceffairement
frauduleux.
C h e z les nations où ce ne font pas des infpec-
teurs qui font les réglemens ; chez les peuples où
les fabricans habiles , les négocians confommés
cOmpofent le^tribunal du commerce, comme juges
naturels de cette partie de l'adminiftration , où
les talens & l'expérience font les feuls degrés par
lefquels on peut monter à ces places importantes
qu'on n'achète pas} enfin , où ce font des commerçans
qui ont fait le petit nombre de réglemens
néceffaires pour l’avancement du commerce , on
n'a pas cru devoir îuppofer que la fraude en fût
înféparable. Au contraire, on a préfumé que l’intérêt
de tout marchand ou fabricant le portoit à
être de bonne foi 5 qu'il étoit inutile que le fou-
verain vejliât continuellement, 8>c interposât fon
aùtoritê pour des maux rares & particuliers } on
a cru que pour donner une bafe folide à l’induftrie,
& en faciliter la propagation, il falloir plps d'exécutions
que de réglemens , plus de récompenfes
que de loix , plus de liberté que de contrainte.
Q 'c ff e.î Angleterre , c’eft en Hollande, les pays
les plus commerçans de l'Europe, qu'on a ofé
penfer ainfi ; c’ eft dans ces:deux Etats, que la fa-
geffe dés ioix & la folidtté des principes ont été
prouvées.pat iesfuccèsies-plus brillans.
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Qü'eft-ee qu'un réglement ? C'eft ut\e loi qui
ftatue fur la largeur, la longueur, la quantité de
portées d'une étoffé, la qualité de la matière qui
y doit être employée, &c. î enfin, fur toutes les
parties d’un ouvrage quelconque. En conféquence »
tout fabricant;eft obligé néceffairement de travailler
fous les conditions données, & on appelle
en France une màrchandife parfaite, celle qui eft
conforme aux réglemens. Mais examinons s’il
peut y avoir une loi qui ordonne invariablement
de fabriquer une étoffe de telle manière , & fi.
l'avantage du. commerce permet qu’elle fubfifte.
Suppofonsun moment que nos réglemens aient*
ftatué fur tous les ouvrages de notre irtduftrie».
il s'enfuivroit de l’invariabilité de la lo i , que ces»
ouvrages ne changeroient jamais j de forte que ,
fixés il y a çinquante ans à une telle formé, ils
la conferveroient toujours , & feroient encore
aujourd'hui les mêmes. Cependant, quel eft l'ufage
& l'emploi qu’on doit en faire ? N e font-ils pas
deftinés à fatisfaire, à tenter même le goût du
confommateur ? Mais ce goût eft-il invariable? N e
dépend-il pas au contraire de la chofe du monde
la plus arbitraire, la plus mobile & la plus chan^
geante , le caprice , la fantaifie ?.
Si ce font-là les deux reflorts, qui animent
& nourriflent l'induftrie , qui occupent tant de
, bras, qui meuvent enfin toute la machine du
commerce, il ne faut point de loi fixe & immua-J
ble , qui en empêche la mobilité. Le confom-
mateur eft libre, fans doute, d’ordonner fur la
qualité, la largeur , le deffein j enfin, fur toutes
les parties d'une étoffe : il faut donc qu'il foit
libre à la nation qui la fabrique , de la faire
comme celui qui l'emploie, défire qu'elle foit faite.
La loi pofitive & inflexible ne feroit bonne tout
au plus, que dans le pas où nous pourrions commander
au confommateur de ne point changer»
où nous pourrions lui impofer de s'habiller invariablement
d'une étoffe telle que1 nos réglemens
exigent qu'elle foit fabriquée. Mais , loin d'avoir
ce crédit fur l'étranger, nous ne l'avons pas fur
nous-mêmes. En effet, commande-t-on. à lafan.-.
taifie ? Puifque c'eft cette fantaifie qu'il faut fatisfaire,
provoquer mêijne } puifque c'eft le feul
j objet, l'unique but du commerce , ;& qu’on ne.
; peut y atteindre que, par la variété & le changement.
Toute loi qui fixe immuablémént'ùne,
étoffe à pne telle forme , à une perfé&iôn invariable
, eft donc abfolument contraire à la propagation
du commerce.
; On s’eft groflièrement trompé au défavantage
de l’Etat , quand on a exigé de nos fabricans »
qu’ils 'fé 'conformaffent-tdüjours aux mêmes ré-
: glemens* Que d'entraves ne donnent-ils pas à
l'induftrie ? Que d’obftacles n'ont-ils pas apporté
à la confommation ? .Si on vouloit, il y a cént
ans , ,im drap fo r t, & qu'aujourd'hui on 'préfère
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«il drap léger , faudra-t-il s'obftiner à faire un
-drap fort? Si on préféroit, il y a cent ans , une
étoffe chère, mais capable de réfifter longtemps
aux frottemens & à la fatigue, Se'quà prefent
on défire des étoffes plus apparentes que folides ,
plus brillantes que durables , faudra-t-il fe roidir
contre le goût du confommateur ? Mais, dira-t-
o n , ce goût eft mauvais > nos étoffés anciennes
étoient meilleures. Qu’importe que le goût foit
mauvais, l'objet du commerce n'eft pas dexaminer
ce goû t, mais de le fatisfaire.
Il ne faut pas appeller parfaite , une mar-
chandife conforme à nos loix } cette perfe&ion,
peut-être, eft très-fouvent préjudiciable à l’Etat.
En voici un exemple. Depuis près de cent ans ,
les réglemens défendent rigoureufement de mêler
la foie cuite à la foie crue, dans la fabrique de
nos étoffes. En vain nous fommes témoins de
l'avantage que les étrangers, tirent de ce mélange}
en vain les Anglois, les Hollandois , les Suiffes,
les Efpagnols même ont trouvé , par ce moyen ,
-la pofïibilité d'établir un prix plus modique, &
de nous vendre ces étoffes à nous-mêmes. Le
réglement eft inflexible 5 fi un fabricant induftrieux
ofe s’en écarter, pour reftituér à fa nation les
ventes que le réglement lui a fait perdre, c'eft
un coupable , c'eft un réfraétaire contre lequel les
infpeCteurs féviffent, par la rigueur des amendes
.& des confifcations. T e l eft le préjudice qu'apporte
l’invariabilité des réglemens.
Puifque l’on convient que fe confommateur
-eft libre d'ordonner, comme il lu^ pla ît, il faut
convenir en même temps , que fe fabricant doit
avoir la liberté de fuivre fes ordres : voilà le principe
le plus fécond., & 1e moyen le plus infaillible
d’étendre & d'augmenter nos exportations.
Ecoutons fur ce fujet Jean de W i t t , qu’on ne
.peut pas foppçonner de s'être trompé en matière
lie commerce. cc C'eft une chofe dommageable
& très-inutile, de borner fes manufactures par
« des halles ou des corps de métiers , ou direç-
É leurs,ou prévôts, (c'eft-à dire des infpeéteurs, )
« & d'ordonner de quelle manière fes manufac-
« tures que l’on débite dans les pays étrangers
■33 doivent être faites. Il paroît rifible de vouloir
« contraindre les étrangers d'acheter de nous
^ telles marchandifes , & faites de la manière
« qu'il nous plaît, ou que les autres ne.feront
33 pas les marchandifes que nous défendrons. Le
»3 commerce veut être libre. Chaque marchand
33 acheté fes chofes qu'il trouve bon ; & il eft
, naturel que les ouvriers faffent de la manière
• a» qu’ils les peuvent mieux débiter, & c .
C e que nous venons de dire ne doit pas dif-
penfer de la reconnoiffance qu'on doit à M. C o lbert
, pour fes réglemens qu'il nous a laiffés. La
plûpart ne font devenus préjudiciables, que par
l ’abus que les infpeCteurs en ont fait. On ne devoit
Tome 111, Financer«
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les confidérer que comme des inflru&ions néceffaires
que ce miniftre donnoit alors aux ouvriers,
pour leur apprendre ce qu’ils ignoraient,
mais non pas comme des loix éternelles, qui obli-
geaffent, pour toujours, le fabricant à les fuivre
a Ja lettre.
•’ Nous ofons préfumer de la capacité & des lumières
de ce grand homme, que s'il étoit témoin. -
de l'état aCtuel de notre commerce, il penferoit
que dès que le fabricant eft inftruit, l’émulation
animée & l’ induftrie en adtion , ce n'eft plus un
réglement qu'il faut fuivre , mais la loi de la concurrence
& de la confommation. Il penferoit,
fans doute , que la perfe&ion d’une étoffe , con-
fifte moins aujourd’hui dans fa conformité avec
d'anciens réglemens , que dans 1e rapport qu'elle
doit avoir avec les étoffes concurrentes de nos*
voifîns. En effet, s'il eft utile à un Etat de faire
du parfait, il ne lui eft pas moins avantageux de
faire du médiocre, du mauvais même , pourvu
que 1e bas prix invite & détermine la confom-
mation. Si une marchandife bonne eft trop chère
pour là concurrence & l’exportation , c'eft la plus
mauvaife que l'Etat puiffe fabriquer : f i , au contraire,
la modicité du prix, relativement à fa qualité
, procure un grand débouché, c'eft la plus
utile & la plus parfaite que l'Etat puiffe faire »
fût-elle contraire à nos loix.
Heureufement pour 1e commerce de la nation ».
une partie des ouvrages de nos fabriques , c'eft-
à-dire » ceux qui ont depuis quelque temps procuré
plus d ’exportation , font affranchis de la fer-
vitude du réglement. Les citoyens induftrieux ,
à qui nous en devons l’établiffement, fçavoient
que la venté dépendoit du goût & du caprice
toujours changeant} ils ont exigé la liberté d'en,
fuivre fes variations. Enfin , voici en quoi fes
infpeéleurs fe font trompés. Perfuadés que les
réglemens dévoient guider & déterminer la confommation
, ils ont pris les premiers pour la
caufe , & la fécondé pour l ’effet : tandis que
la confommation eft la caufe première , & que
le réglement ne doit en être que l'effet.
Cependant 1e commerce varie fans ceffe dans
fes objets 5 chaque année apporte de la différence
dans fes ventes} c'eft une roue mobile qui ne
doit fouffrir aucun repbs , & préfenter, pour
ainfi dire , à chaque rotation , des productions
nouvelles, des objets neufs, capables de tenter
le goût du confommateur. Cette confiante variation
, fi on la fuivoit dans toutes fes vicifli-
tudes ■, exigeroit un trop grand nombre de ré-
glemens} cette multiplicité produiroit encore un
plus grand inconvénient. On doit donc cônclure
qu’ il faut "laiffer agir la confommation , & qu’elle
doit être la feule règle qu’il faut fuivre } l’utilité
■ perfonnelle, qui ne ferme jamais fes yeux fur
- fes yéritabfes intérêts, guidera, fans 1e fecours