Si depuis un fiècle on fe fût occupé , comme
à prêtent, de recherches fur la population, on
feroit à portée de voir quels progrès elle a pu
faire. Mais ce n’eft que depuis environ trente
ans que l'attention du Gouvernement s’ eft tournée
fur cette partie de l ’économie politique j comme
fi cet objet , dont l’amélioration eft fi avantageufe,
ne valoit pas bien autant de combinaifons & de
foins, que la fublime fpéculation de quelques lieues
de terrein, qui ne peuvent s’acquérir qu’ au prix
du fang de bien des milliers d’hommes, & de :
plufieurs années de guerre, à la fuite defquelles
viennent la misère & la dépopulation.
M. l’Abbé Expilly eft le premier écrivain qui,
de nos jours , ait donné des détails fur la population
de la France. Le réfultat de fes recherches
à cet égard , publié en 1772 , eft que ce royaume
contenoit alors quatre millions fept cent quarante-
fept mille cinq cents feize hommes , ou garçons ,
au-deflfous de vingt ans 5
Quatre millions fept cents quatre-vingt feize
mille fept cents trente-cinq femmes & filles entre
vingt & cinquante 5
i Quatre millions deux cents quarante- trois mille
cinq cents feize hommes & - garçons ;
i Quatre millions fix cents quarante-huit mille
cinquante femmes & filles, de cinquante à foixan-
te-cinq ans $
Un million quatre-vingt dix-fept mille trois cents
fix hommes & garçons ;
Un million trois cents dix huit mille trois cents
quarante-quatre femmes & filles, de foixante-cinq
à quatre-vingt ;
Quatre cents treize mille deux £ents quarante
hommes & garçons 5
Cinq cents quatre-vingt-huit mille cinq cents
quatre-vingt-cinq femmes & filles au-deffus de
quatre-vingt ans j
Soixante-un mille cinquante-trois hommes &
garçons s
Cent mille douze femmes & filles. ~
Total des hommes. Dix millions cinq cents
foixante-deux mille fix cents trente-un 3
Des femmes. Onze millions quatre cents cinquante
un mille fept cents vingt-fix.
Total général. Vingt-deux millions quatorze
mille trois cents cinquante-fept.
Un ancien adminiftrateur des finances nous a
donné plus récemment des renfeignemens fur la
population de chaque généralité : on les a rapportés
au mot Généralités. En comparant ces
refultats avec ceux que Ton trouve dans les mémoires
des mtendans, rédigés à la fin du fiécle
dernier, pourl'inftruélion de M. le duc de Bour-
gogne, on reconnoit que cettepopulation eft réellement
très-augmentée. Mais , à propos de ces
mémoires qui avoient été demandés en particulier
a chaque^ intendant , on ne peut , en les
lifant, s empecher de regretter qu’on ne leur ait
pas en meme temps adrelfé un volume de quef-
tions fur tous les points de topographie, d’hif-
toire morale & naturelle, & d’économie politique
qu’il étoit intéreflant d’éclaircir 3 car on
Pi!r tilegarcïer de ce beau projet comme
abfolument manquée , par la différence & la pro-
« ê f l g fe trouve dans le plan de l’hiftoire
de chaque généralité * & par l’oppofition des
vues qui ont préfidé à fon exécution.
^Au contraire, fi un intendant 3 un fubdélégué
general n’eût eu qu’à répondre à des queftions
faites dans un même efprit & fur des principes
uniformes , on e û t , avec ces matériaux , élevé
le plus beau monument hiftorique bc politique
qui puifle jamais illuftrer un empire , fatisfaire
une nation jaloufe de fe connoître, & préparer
1 inftruétion des générations futures.
Au refte 3 on pourroit peut-être renouveller
ce projet avec fuccès aujourd’hui, qué les lumières
font-plus répandues , & que nous avons
egalement de jeunes princes à inftruire. Mais on
feroit bien de ne pas prendre pour modèles les
mémoires fur la Guyenne, ou ceux fur la Bourgogne
3 de M. Ferrand, alors intendant. Ceux de
M. de Bafville , fur le Languedoc 5 de M. de
la Houffaye, fur le Quercys de M. l’Archer ,
fur la Champagne | feroient excellens à confulter
& à fuivre, pourdifpofer le plan général de toutes
les queftions que l’on voudroit faire j l’on auroit
ainfi l’hiftoire complètte de chaque province , &
l’on reconnoîtroitfi l’efprit focial, aujourd’hui fi
répandu, n’a pas apporté quelque changement dans
le caraélère particulier à chacune des provinces,
& duquel la peinture fe trouve dans tous les mémoires
des intendans. -
On a vu au mot G é n é r a l it é , tom. I I , Pag.
568, quelle eft la population que chacune comprend.
Pour comparer la population aétuelle , en
1784 , avec celle qui exiftoit dans les quatre dernières
années du fiècle précédént, on va rapport
ter ici le nombre des habitans que les intendans
de la Bretagne , de la Provence & du Dauphiné
çomptoient alors dans leurs départemens refpeétifs.
On fouhaite que cet effai puiffe engager quelque
homme laborieux à exécuter ce rapprochement
fur toutes les provinces du royaume , en faifant
attention que plufieurs généralités étoient alors
bien plus étendues qu’ elles ne le font aujourd’hui.
Telle étoit celle de Montauban , où M. de la
Houffaye, intendant, en 1699, eftime dans fon
mémoire 3
mémoire > qui eft un des mieux faits , la p o p u la t
i o n de fon intendance à huit cents un mille deux
cents perfonnes 3 on n’en compte aujourd’hui dans
cette même généralité, qui ne comprend plus ,
comme alors, le pays de Foix , le Donnezan,
le Nebouzan, les quatre Vallées , & c . , que
cinq cents trente mille deux cents. Le réfultat de
cette comparaifon ne manqueroit pas d’en impofer
à ces efprits chagrins, toujours tourmentés par la
manie de décrier le, temps préfent, &'de fonner
l’alarme fur le décroîfiement de la p o p u la t io n .
C e réfultat prouveroit aufli , que le temps de
fplendeur & d'éclat, pour un monarque jaloux
de remplir l’univerS' de fa renommée & de fa
grandeur, n’ eft pas le temps du bonheur & de
la profpérité d’une nation, quand il en coûte des
facrifices aufli confidérables à fa p o p u la t io n que
ceux dont elle a payé l’illuftration du fiècle de
Louis X IV . Voyez les mémoires des intendans,
celui de. M. Pomeréu de la Bretefche, intendant
d’Alençon. Il dit, en 1698, que la p o p u la t io n étoit
diminuée à-peu-près d’un fixième.
Celui de M. de la Bourdonnaye , pour la généralité
de Rouen.
Celui de M. l’Archer, intendant de. Champagne:;
qui comprénoiry en 1.697 , lé duché de
Luxembourg & le comté de Chiny.
M. de Bechamel de N o in te l, intendant de
Rertnes , rapporte que la Bretagne contenoit, en
tÇyS', dix-fept cents mille âmes, dont treize mille
cent feize eccléfiaftiques , & dix-fept mille trois
cents quarante-deux matelots.
. On eftime que cette même province contient
aujourd’hui deux millions deux cents foixante-
Feize mille perfonnes 3 enfôrte qu’en moins de
quatre-vingt dix ans la p o p u la t io n y feroit augmentée
de cinq cents foixante-feize mille perfonnes.
En Provence , l’intendant, qui paroît avoir rédigé
fes mémoires en 1Ô96 ou 1697, compte dans
cette province cinq cents foixante-cinq mille neuf
cents cinquante-cinq perfonnes.’ On en compte
aujourd’hui fept cents cinquante-quatre mille.
M. Bouçhu , intendant du Dauphiné, en 1696, i
donne à cette province cinq’ cents quarante* trois
mille èirtq cents quatre-vingt-cinq habitans j mais
il .obfer.ve que cette p o p u la t io n étoit alors diminuée
d’un huitième, ou environ , par la guerre,
parla ftérilité des années 1693 & 16 94, & par
ja défertion d’une partie des religionnaires.
C e magiftrat ajoute : dans la feule élection de
Grenoble oh comptoit fix mille foixante onze religionnaires.
En 1687 , à la fin du mois de novembre
de la même année il en avoitdéferté deux
mille vingt-cinq.
t'a n e t * es» T om e I I I ,
Daftt celle de G ap , on en comptoit onze mille
deux cents quatre-vingt-feize , & trois mille fept
cents quatre-vingt-deux déferteurs.
Dans l’éleftion d eV ien n e , cent quarante-fept
religionnaires , & foixante treize déferteurs.
Dans celle de Romans , fept cents vingt un religionnaires
, & trois cents trente-trois déferteurs;
Dans celle de Montelimart, quinze mille cinq
cents quatre-vingt religionnaires , 8ç deux mille
fept cents feize déferteurs.
Enfin, fur environ trente-neuf mille religionnaires,
il en compte dix mille deux cents en
fuite à la fin de 1687.
’ On eftime aujourd’hui que cette province renferme
fix cents foixante-quatre mille-fix cents habitans.
Ainfi les torts faits, à la p o p u la t io n , en
1687 3 ont été réparés dans un fiècle , par une
augmentation de cent, vingt-un mille vingt-cinq
perfonnes.
Nous croyons en avoir aflez. dit fur ce fujet,
pour faire voir qu'un travail attentif ,.;qui exécm>
teroit , fur toutes lès provinces du royaume r le
rapprochement que noys, venons de faire de trois
généralités, ne feroit pas feulement un objet dé
curiofité j mais qu’il prouveroit que les progrès de
la p o p u la t io n tiennent aux progrès des lumières ,
& à peux de l’efprit philofophique , .qui, répandu
parmi tou? les ordres de l’Etat y a: beaucoup contribué
à introduire, dans les principes des gouver-
nemensi, des combinaifons plus analogues, au bien
général , & des mefures mieux dirigées vers1 la
profpérité publique.
Nous ne pouvons plus agréablement terminer
cet article , qu’en rapportant ici tout le chapitre
de l’intéreflant ouvrage ^publié fur les finances,
par l’homme djEtat , qui nous, a déjà fourni les
connoiflances precieufes que nous ayons, placées
au mot Généralité , & fur là p o p u la t io n de
chacune 3 & fur l’étendiie des contributions qui
s’y Jèvent. :
L’on a maintenant, fur la p o p u la t io n du royaur
me, des çonnoilfapces plus fûtes & plus exaéles
qu’autrefois j & c’eft l’effet des foins du gouvernement.
Il n’étp.iç pas'poflible , fans .doute, de
faire le dénombrement, général d’un fi vafte pays ;
il étoit encore : moins praticable de le renouveller
chaque année j mais, après en avoir ordonné de
partiels en diffiérens lieux, on en a comparé le
réfultat avec le nombre des naiflancès , des morts
& des mariages j & ces rapports, confirmés juf-
-ques à Uii certain point, par les expériences faites
dans d’autres pays , ont établi une mefure de
comparaifon, à iaçudle il eft raiibnnable d’ayoiï
confiance# Xx