
nonchalance ; mais ceux qu’ un autre efprit anime,
voudroient multiplier de toutes parts la lumière;
& ils ne voient de difficultés que dans les préjugés
& dans l’ignorance. 11 n’eft point d’habileté en
adminiftration, réparée de la vérité & de la. fran-
chife ; c’eft prefque toujours où l’artifice commence
, que l’intelligence finit.
Qu’on examine comment l’Angleterre a foute-
nu'fon crédit, au milieu des circonftances les.plus
alarmantes , dans la guerre avec les Etats-Unis;
qu’on examine comment elle vient à bout de fou-
le v e r , pour ainfî dire , un poids au-deffus de fes
forces , on verra qu’elle doit une partie de ces
r avantages, à la connoiflfance générale du rapport
qui exifte entre les recettes & les dépen fes * & à
la publicité de toutes les difpofitions d’adminif-,
tration ; c’eft cette publicité qui arrête les écarts
de l’ignorance & de l’ inquiétude , Sf qui montre
a chaque inftant le bien , près du mal ; la mefure
des difficultés & l’étendue des reffources.
L ’on a vu des adminiftrateurs aimer Je .myftère
& l’obfcurité , comme tin nuage qui les féparoit
davantage des fpe&ateurs, & qui , rendoit plus
confufe la mefure de leurs talens & de, leur .capacité.
Peut-être enfin qu’une conduite plus ferme
. & plus hardie n’ eft jamais indiquée par l’efprit
feul , & qu’elle tient à une forte de grandeur
d ’ame , dont l’étude & la réflexion n’ont jamais
qu’une intelligènce impài faite.
On pourroit encore, exiger d’un: miniftre des
finances , qu’ il fût en état d’ étendre fa, vue au-
delà des limites de fon 'àdminiflration. Il déyroit
du moins réunir des*notions générales fur les ri-
chefles & le commerce, des/autres nat-ions ., fur
la fomme de leur numéraire ,, fur la conftitution
de leur crédit, fur l'importance de leur colonies,
fur la balance refpe&ive de leurs échanges. Toutes
ces connoiffances , & beaucoup d’autres, font
abfolument néceffaires à un miniftre des finances ,
non-feulement pour voir en grand, tous les rapports
de l’adminiftration dont i l ; eft chargé mais
encore pour n’ être point étranger aux affaires
publiques.
Du moment qu’on eut imaginé les emprunts,
que l’on voulut chercher dans le-crédit, des ref-
fourees nouvelles & précédemment inconnues ,
. la fcience de l’adminiftration fe compliqua , l’on
eut peine à concilier ce qu’il falloit à la puiflance,
& ce que demandoit le bonheur. La nature des
impofitions , la forme de leur recouvrement, influèrent
fur le travail & fur la culture ; le pauvre,
enveloppé dans les loix générales , eut un plus
grand befoin de la protection immédiate du fouverain
; le rapport des richeffes numéraires avec la
force de l’E tat, fit fentir l ’importance des régie-
mens politiques de commerce ; le befoin de la confiance
publique rendit toutes les erreurs de l ’àd*
miniftration plus dangereufes ; enfin , à mefure
que les fociétés ont vieilli & que l’autorité s’eft
mêlée de tou t, tantôt pour inftituer ou pour modifier
, & tantôt pour défaire ou pour reconstruire,
, on a vu la profpérité des Etats dépendre
beaucoup davantage de la fageffe des gouvemc-
mens. Et comme tous les efforts des peuples ,
tous les moyens de puiflance font aujourd’hui re-
préfentés par l’argent & par la richeffe , entre
toutes les adminiftrations , celle qui paroît la plus
capable de' fervir ou de contrarier les vues du
fouverain, c’eft fans doute l’adminiftration des
finances. -
Le tems & la méditation des hommes o n t , à
la vérité, préparé prefque toutes les idées générales
qui intéreffent le bonheur ; mais la timidité,
la maladreffe , l’indifférence & quelquefois aufli
l’empire des circonftances, ont multiplié les obf-
tacles ou découragé ceux qui vouloient les combattre.
Il faut être pénétré de l’importance de fes
devoirs & s’y livrer tout entier ; il faut être capable
de fentir, combien eft grande une place où
l’on communique par la penfée avec le bonheur
de tout un peuple , où l ’on peut , à chaque inf-
tant, faire aimer fon roi davantage , & rendre à
fes fujets fes vertus plus fenfîbies ; il faut trouver
du plaifîr au bien qu’on peut faire ; il faut
s’attacher à la profpérité de l’état.; il faut aimer
Rome & les Romains ; il faut enfin préférer la
gloire, aux fatisfadions de la vanité, &iajuftice
: des tems’à venir, aux illufîons de l’inftant préfent.
Le ménagement dii crédit paroît, au premier
coup d’oeil, une adminiftration très-fini pie , parce
que tous les moyens qui concourent à entretenir
la.confiance , examinés féparément, ne font,
ni obfcurs, ni difficiles à faifir ; mais ce qu’on
conçoit facilement, ne s’apperçoit pas de même ,
& fouvent l ’homme le plus capable de recon-
noître l’analogie qui exifte entre deux idées , ne
lès eût jamais rapprochées*
Pourquoi donc le miniftre des finances qui fent
la néceflîté du crédit & qui veut exciter la confiance,
s’écarte-t il fi fouvent de 1-a rôute qui doit
conduire â fes fins ? C’eft qu’en toute e.fpèce de-
conduite , pour concilier fans celle le but & les
moyens , il faut unir une certaine force de méditation
, à un regard a&if & toujours vigilant.
L ’on abonde en fecburs quand on veut s’occuper
de la modification des impôts & de toutes,
autres difpofitions générales d adminiftration. If
exifte une tradition de connoiffances à cet égard ,,
dont il eft aifë de profiter ; d’ ailleurs , toutes ces
parties ne font pas tellement liées enfemble A
qu on ne puiffe les traiter féparément, & lesexa-.
miner en différens tems ; mais le crédit public M
ce qui l’entretient, ce qui l’étend , ce qui le fait
naître , eft d ’ une toute autre nature ; la confiance ç lî
une impreffion qui fe forme comme Teftime , par
une fuite d’actions convenables ; mais avec cette
différence , que les méprifes de l’efprit y nuifent
comme les fautes du coeur. Il faut donc réunir a
des principes toujours honnêtes , une multitude
de' foins & d’attentions qui doivent varier félon
les circonftances, & qu’il faut découvrir & dif-
tingùer de foi même ; car pour s’aider dans cette
recherche , on ne trouve nulle p a r t, ni des préceptes
imprimés , ni des leçons écrites.
En Angleterre, le crédit repofe fur des bafes •
fi fimples , fi claires , fi fortifiées par une longue
habitude , & fur-tout tellement indépendantes de
l’autorité, que fon maintien doit être bien plus
attribué à la conftitution politique du pays 4 qua
l’habileté de radminiftration.
Mais en France , une réunion de circonftances
qui tiennent à la nature du gouvernement, exige,
pour le crédit public, beaucoup de foins & de
ménagèmens.
L ’autorité abfolue du fouverain , & la plénitude
de la confiance publique , font deux idées qui ont
befoin d’intermédiaires pour fe lier parfaitement
enfemble ; cette autorité eft foumife , en France ,
à quelques tempéramens , lorfqu’il eft queftion
d’augmenter les revenus du prince , parce que les
loix qui établiffent de nouveaux impôts, doivent
être enregiftrées dans les parlemens ; mais un ample
arrêt du confeil , ou un ordre minifteriel,
autorifé par le prince , fuffifent pour fufpendre
les paiemens, ou pour ordonner une réduction
dans les intérêts.
On ne peut donc , en France , relever ou entretenir
la confiance publique, qu’en raffurant fur
les intentions du fouverain , & en perfuadant
qu’aucun motif ne peut le porter à manquer à
fes engagemens ; & comme l’importance du crédit
eft maintenant généralement reconnue ; comme
ce n’eft plus les injuftices volontaires qu’on redoute
, mais les effets du défordre & de la néceflîté
, on fent aifément qu’ une conduite économe
& fage de la part de l’adminiftration des
finances, eft une des premières bafes du crédit.
Il faut qu’on voie cette adminiftration s’appliquer
fans relâche à la réforme des abus & des
gains injwiles ; il faut qu’on la voie réfifter à toutes
les prétentions dé l’intérêt particulier ; i f faut
qu’ on là voie occupée, & des difpofitions qui
maintiennent le produit des revenus du roi ,
de celles qui diminuent la fomme des dépenfes.;
il faut qu’on foit perfuadé que cette admiçiif-
tratïon a conftamment devant les yeux 1 erat des
affaires , & qu’on apperçoive l’ordré qu elle établit
pour y parvenir.
La fidélité la plus fcrupulcufe, & la régularité
la plus exaéle dans les paiemens, font une condition
effentielle du crédit ; il faut aufli par des
foins prévoyans , entretenir le tréfor royal dans
une grande aifan.ce, afin d’ y trouver a chaque
inftant, les reffources néceffaires pour fubvenir à
ces ralentiflemens momentanés dans la circulation
, qu’on prend fi facilement pour l’embarras
des affaires 5 opinion qui peut néanmoins occa-
fionner une véritable gêne, fi on lui donne le tems
de fe fortifier & de s’étendre.
Les lenteurs dans les paiemens, l’incertitude-
du jour précis où les rentiers doivent fe préfenter,
les difficultés mal entendues, les formalités inutiles
, enfin, tout ce qui femble indiquer que
l’on veut gagner du tems , doit être évité avec
le plus grand foin ; car il eft aifé d’appérçevoir
qu’un très grand nombre de particuliers afleoient
bien moins leur jugement fur de profondes réflexions,
que fur des notions familières. IL faut
aufli, dans tout ce qui eft indifférent en foi ,
confulter le goût du public & fe prêter aux modifications
qui lui font agréables ; l’on feroit fouvent
des fautes , en s’en rapportant légèrement fur
de pareils détails, à certains fubalternès , q u i , .
trop épris du' développement minutieux de l’autorité
, voudroient , dans leur zèle indifcret,
di&er des loix & des conditions, au plus libre-,
de tous les fentimens , celui de la confiance.
Il eft encore d’autres foins impoftans pour le
crédit. On ne doit jamais , dans les circônftarrces
extraordinaires , recourir à plufîeurs-expédiens
d’ un même genre , ni à un trop grand nombre d’a-
gens , parce que c’eft multiplier en apparence la
fomme des befoins j & établir des rivalités contraires
au fuccès qu’on fe propofe. Le fuccès d’un
emprunt eft toujours incertain s’ il n’ eft pas rapide.
La plus petite langueur eft interprétée d’une
manière défavorable ; chacun alors prend du tems
pour réfléchir ; l’on veut être déterminé par
l’exemple , on s’ attend réciproquement, & le
calme augmentant la défiance , l’incertitude des
capitaliftes fe change dans un véritable découragement.
Voye^ INTÉRÊT , CRÉDIT PUBLICL’adminiftration
dès finances en augmentant la
confiance publique, accélère la circulation, &
en accélérant la circulation , elle renouvelle &
multiplie les moyens de prêter : c’eft ainfî qu’ il
exifte, entre le crédit &. la rapidité de la circulation
, une aétion. & une réa&ion de la p lu i
grande importance.
S ’il eft facile de dire quelles font les qualités
morales que l’on peut defirer dans un adminiftra-
teur des finances, il ne l’eft pas également d’indiquer
les principes de théorie qui doivent fervir
de guide, dans les travaux que cette place exige.
Il eft impoflîble de rallier à des idées fimples,
toutes les combinaifons de l’adminiflration.