On doit conclure de-là qu'il dépend d'un ad-"
miniftrateur d’infpirer l’amour du devoir à tous
ceux qui l'approchent j ce font des fentimens
perfonnels mal entendus qui écartent les hommes
de cette voie , & il fufïit, pour les y retenir ,
de leur préfenter avec force une autre ambition, -
te de les attacher à l'honnêteté par les diftinétions
qui lui appartiennent.
Mais plus on veut conduire,les hommes par de
pareils mobiles 3 plus il faut être jufte envers eux.
Ce tte réflexion s'applique également à tous les
choix 3 à toutes les promotions qui font dans la
dépendance des miniftres en général. Quel droit
ont-ils d'exiger une vertu févère,de celui qui doit
fa place à une préférence înjufte 5 de celui qui a
pu connoître par fa nomination même 3 l’indifférence
du miniftre pour le maintien de l'ordre,
& pour l'obfervatioa des principes.
Ceux qui briguent des emplois de finance fans
y avoir aucun titre , ceux qui déploient en faveur
de leurs protégés le crédit dont ils jouiffent, ne
voient que les émolumens de ces places , & con-
fidèrent les nominations 8c les préférences 3 comme
un fimple jeu de la fortune > mais le chef des
finances doit s'en former une idée bien différente.
Il voit les rapports qui exiftent entre la régularité
des perceptions & la fageffe des hommes à
qui ces fondions font confiées j entre le repos des
contribuables & le caractère de ceux qui lèvent
le tribut au nom du monarque. Il apperçoit encore
l’heureufe influence de cette juftice diftribu-
tive 3 qui refpe&e les droits acquis par le travail
& par des fervices ; & il regarde comme une atteinte
à l’ordre public, tous les. aétes de faveur
qui découragent le mérite & arrêtent fon émulation.
Mais le miniftre devient le plus coupable , lorf-
qu'il fe laifte aller à des prédilections contraires à
la juftice j il femble alors fe rabaiffer lui-même &
fe ramener à l ’état privé. Il faut rompre avec
toutes ces petites affections ,,o u favoir du moins
les régler, lorfqu'oii veut remplir fes devoirs &
gouverner avec dignité. L'homme qui plaît , celui
qu!on aime , eft encore étranger à I’adminiftration ,
elle n'a d'affinité qu'avec le mérite.
Un miniftre des finances ne doit point être indifférent
au choix des perfonnes avec lefquelles
il contracte des liaifons ; on participe plus qu'on
ne penfe aux inclinations de ceux avec qui l'on
vit. A in fi, plus nos amis font nobles dans leurs
fentimens .& dans leurs penfées , 8c plus il nous
eft aifé de fuivre , fans foiblir, la route de l’honneur
& de la véritable gloire.
Il faut une grande force dans le caraCtère pour
n’être point amolli par le fpeCtacle journalier de
l'indifférence à tout ce qui eft digne d'éloge ; 8e
il eft difficile de confidérer une place d'adminif-
tration fous les grands rapports qu'elle préfente,
lorfque ceux dont on eft entouré, v®us ramènent
fans ceffe à des confédérations particulières, 8c
lorfqu'ils jouiffent bien plus avec vous de votre
pouvoir, que de votre réputation.
Le féjour habituel de Verfailles , peut encore
affoiblir, dans un adminiltrateur des finances , le
goût 8c l’ardeur des grandes chofes. Il y voit
mettre tant de prix à des vanités, tant de valeur
à des biens d'imagination 3 tant d'intérêt aux jeux
de l'intrigue 8c de l’ambition , qu'il perd infen-
fiblement la jufte mefure de tout ce qui eft digne
d'eftime.
C e féjour eft moins dangereux pour tes autres
miniftres ,• parce que toutes les idées de gloire
militaire 8c politique fe lient davantage à l’appareil
du faûe 8c du pouvoir. Mais le chef des finances
qui doit tourner conftamment fes regards
vers le bonheur 8c l'intérêt des peuples, ne trouve
point fur un pareil théâtre d'encouïagement convenable
à fes méditations > il femble que l'amour
du bien public ait befoin d'un plus vafte horifon ,
8c qu'il fe trouve comme gêné dans l'enceinte des
cours, ou tout fe rapporte à un feul homme.
<
A l ’égard des moeurs 8c de la conduite d’un
adminiftrateur des finances ; dans tous les états
une vie régulière 8c une circonipeélion extérieure,
honore un homme 8c font partie de fes devoirs.
Cependant on ne peut difeonvenir que- cette décence
publique ne foit fur-tout néceffaire à celui
qui a le plusbefoin de l'opinion, ou plutôt à celui
qui doit la faire fervir à de plus grandes chofés.
Le miniftre des finances doit ménager avec le
plus grand foin , l'opinion publique ; malheur à
lui s'il la dédaigne j mais malheur à l'Etat encore
davantage ; car fi cet adminiftrateur par indifférence
ou par découragement renonce à Fefpoir de
la confédération, il né recherchera plus que les
fuffrages qu'on obtient avec des complaifances, 8c
ce fera par le facrifice de l'ordre 8c par l'abandon
des intérêts du prince qu'il grofïira le nombre
de fes alliés, 8c qu'il effayera de lutter contre
le mépris. C'eft aux amis du bien public à féconder
les miniftres qui tournent leurs premiers regards
vers l'opinion publique , 8c qui montrent
le defîr de l’obtenir. Mais on ne doit rien efpérer
de ceux qui la bravent } car c'eft une preuve certaine
qu’ ils redoutent fon jugement, 8c qu’ils ne
veulent pas compter avec elle. V o y e i o p i n i o n .
Heureufement qu'on ne l'offenfe point fans
rifque ; car fi l'on a vu des hommes eftimables ,
fuccomber fous les attaques de l'envie ou de la
méchanceté, plus Couvent éneore on a vu des
miniftres entraînés par le mépris public, 8c aé-
laifïés par ceux même à qui ils avoient tmmole
leur réputation.
Il n'eft point de bornes aux facrifices qu on
exige d'un miniftre facile ou courtifan > on ne
fe trouve point humilié des refus qui font foi>
dés fur des règles générales , tant que 1 adminiftrateur
tient avec rigueur à fes propres principes j
mais s'il admet des diftinélions 8c des exceptions,
s ’il compofe avec fes devoirs , s il n eft inébranlable
que félon les hommes, 8c félon les occa-
fions , alors la vanité bleffée 8c l’amour propre
exalté , donnent aux lollicitations une nouvelle
véhémence j ,on ne preffe plus le miniftre qlie
par des argumens tirés de comparaisons faites
entre les perfonnes j on lui demande raifon de fes
préférences j 8c comme il s'eft fait homme particulier
, il ne peut plus fe défendre comme homme
public. Alors après avoir cédé , il faut qu il cede
encore , 8c en même-tems qu'il fe voit ainfi pour-
fuivi par ceux qu'il néglige , ou qu il ne peut
fatisfaire , il ne tarde pas à être abandonne par
ceux même auxquels il a prodigué le plus de
complaifance $ car au moment où la pudeur oblige
enfin le miniftre à s'arrêter , ils profitent du plus
léger refus, ils le cherchent peut-être, afin de s'affranchir
du joug de la reconnoiflance > 8c curieqx
* d ’ajouter , s'il en eft tems encore , les honneurs
de la vertu aux avantages du crédit 8c de la faveur
, ils joignent leurs voix aux clameurs qu on
élève contre le miniftre qui s'eft avili pour leur
plaire. Ainfi donc , fentiment d’honneur, amour
de la réputation, politique même, tout indique
à un miniftre la route qu'il doit fuivre 8c le prix
qu’il faut mettre à l’opinion publique. V ce
mot.
Un adminiftrateur doitfouffrîr d'avoir tant 8c fi
fouVent à accorder à des confédérations particulières
qui font toujours perfonnelles ÿ car c'eft pour fe
foutenir plus fûrement dans fa place , qu’on appuie
de fon fuffrage , des prétentions qu'on reprouve
au fond de fon coeur, 8c dont une re-,
commandation impôfante forme fouvent le feul
titre.
Enfin on ne fait trop ce qu’on defîre quand on
- attache un fi haut prix à être le point unique où
une multitude inombrable de demandes aboutif-
fent ; 8c il faut fe bercer étrangement d'illufions ,
pour aimer à voir fon antichambre remplie de fol-
liciteurs, q u i, en vous quittant, fe divifent communément
en deux bandes, les plaignans 8c les
ingrats.
Lorfque le miniftre des finances a mûri , par la
réflexipn 8c par le travail , les opérations qu'il
croit utiles à l'E ta t, 8c lorfque ces difpofitions ont
mérité l'approbation de fon maître, il lui refte
encore à en développer les motifs dans les loi*
qui émanent de l'autorité fouveraine. Voye^
P R É A M B U L E .
Un adminiftrateur des finances ne peut trop faire
ufage de cette franchife Sc de cette publicité qui
mettent la nation à portée de fuivre la fituation
des affaires , 8c qui manifeftent à tous les yeux
fes fentimens du prince 8c fes vues pour le bien de
l'Etat. C ’ eft une marche qu’il eft aifé d’allier avec
la plus grande majefté j 8c fi un miniftre des finances
veut réfléchir fur fon propre intérêt , Sc
écouter les confeils de fa politique perfonnelle ,
il trouvera que ces principes doivent faire la règle
de fa conduite- Car de cette manière , 8c en affo-
ciant pour ainfi dire la nation à fes projets , à fes
allions, 8c comme aux difficultés qu’il faut vaincre,
il pourroit efpérer qu’au milieu des malheurs mêmes
on lui rendroit juftice , 8c qu'on fauroit diftinguer
ce qui appartient aux circonftances , de ce qu'il
faut attribuer à fa perfonne.
Si au contraire d’épaiffes ténèbres cachent l'intérieur
des affaires de l'adminiftration , au moindre
embarras que le miniftre des finances n’a point
fçu prévenir , la haine 8c les reproches tombent
fur lui. En vain cherche: t-il alors à appaifer ces
mouvemens par des explications , il n’eft plus
tems : on le demande à grands cris pour viétime ;
les rois offrent quelquefois fans peine de pareils
facrifices à l’opinion.
Il femble qu'on n'âit jamais allez fenti, dans
aucune efpèce d'admin ftration , à quel point une
conduite fimple 8c découverte fécondé les vues
fages 8c raifonnables. On diroit que les hommes
parvenus aux grandes places , remplis d’un étonnement
continuel, n'ofent plus fe fier aux qualités
communes , 8c croient devoir fe revêtir de
celles qui ont la réputation d’appartenir à une
profonde politique. Les gouvernemens monarchiques
, ôù le bien dans chaque partie n'eft jamais
avancé que par les chefs des départemens ,
' auroient plus befoin que d'autres , du fecours des
lumières générales j 8c cependant ces gouvernemens
ont toujours paru les redouter 3 c'eft que
l'ignorance,eft fouvent pour les miniftres, cequ'eff:
l’étiquette pour les princes, un moyen d'éloigner
les obfervateurs.
Il y a lieu de croire que le relâchement d'un
grand nombre d'adminiftrations eft d û à l’obfcu-
rité dont elles s'enveloppent fi facilement. T ou t
fe fût ranimé, fi elles avoient eu à comparoître devant
le tribunal de l'opinion : les regards publics
font les feuls conftamment clair-voyans ; & ce
font les feuls auffi qui puiffent fuffire à l ’immenfîté
des obfervations, dont les diverfes parties de l'adminiftration
font fufceptibîes : fans doute ces regards
importunent ceux qui gèrent les affaires avec
Yij