
rien changer à fa valeur intrinsèque : mais comme
toutes le* autres dépenfes du fouverain, font relativ
e s , ou à fa mai fon ,ou à fa marine, ou à les armées,
ou à fes befoins dans Tétranger; & que de telles dé-
penfes font la repréfentation d’une valeur quelconque,
fournie librement, foit en travail, foit
en denrées s ce contrat d’échange entre le roi &
fes fujets, ne peut plus fubfifter aux mêmes conditions
, du moment que la valeur numéraire des
monnoies eft changée. Alors le fouverain eft obligé
d'augmenter les foldes , les gages , les appointe-
mens , le fonds numérique applicable aux fournitures
de toute efpèce } & il ne peut faire aucun
profit fur la partie la plus confidérable de fes dépenfes.
C e n’eft pas tou t, &: ceci eft une diftin&ion
importante : les impôts qui forment le revenu du
prince, font de deux efpèces : les uns font réglés
à tant pour cent, de la valeur des productions ou
des marchandifes , &' les autres font fixés à une
quotité pofîtive de livres tournois.
Le produit numérique des impôts proportionnés
à la valeur des chofes , s’élèveroit fans doute,
en raifon de la haufte qu'occafionneroit dans le
prix de tous les biens , le changement apporté au
cours des efpèces j & le fouverain ne feroit ni
perte ni gain fur cette partie de fes revenus.
I l n*en feroit pas de même des autres tributs :
ainfî les redevances , les capitations fixes , les
abonnemens de toute efuèce, le profit réfultant
de la vente exclusive du fel & du tabac à des prix
déterminés , le tarif des ports de lettres , les divers
droits enfin , qui ne font pas réglés en raifon
de la valeur des productions ou des marchandifes }
toute cette clafle importante des revenus du roi
efluieroit une diminution confidérable, & la raifon
en eft fimple.
Tant qu’un louis-d’o r , du titre & du poids de
ceux qui ont cours aujourd'huirepréfente vingt-
quatre francs, une capitation de fept cent vingt
livres ne peut être acquittée qu’avec trente louis,
qui péfent un marc d’or : mais au moment où-,
par la loi du prince, le louis eft déclaré égal ;a
quarante-huit livres , il fuffit de quinze Jouis pé-
fant un demi-marc, pour acquitter cette même
capitation.
Sans doute le fouverain , dans la vue de tirer lin
profit certain de fon opération , pourroit en même
tems doubler tous les impôts qui confiftent
dans une quotité fixe de livres tournois 5 il pourroit
haulfer pareillement le prix du fel & du tabac
î il pourroit faire une révifîon générale de
tous les tributs, & modifier ceux dont la forme
.ou la conftitution ûérangeroient fes calculs. Mais
alors , i’injuftice du gouvernement envers les
créanciers de l’E ta t, paroîtroit dans tout fon jour,
& l’on manqueroit abfolument le but qu*on fe fe-
, roit propofé ; car ce n’eft jamais que pour eflayer
de la diflimuler , cette injuftice, qu’on a recours
aux opérations fur les monnoies : on efpère dérober
fa marche > on fe flatte de donner le change
aux jugemens du public , à la faveur de ces com-
binaifons compliquées, dont les dangereux effets
ne fe développent pas tout-à-coup. Ainfî, pour
retarder la réclamation publique , oîi pour la rendre
un moment incertaine, on ne craint point
d’exciter un trouble général, en détruifant tous
les rapports qui ont fervi de bafe aux conventions
fociales.
C e n’eft pas une telle politique qui lied à un
grand monarque j ce n'eft pas celle qui s’accorde
avec fa dignité. Il ne faut pas qu’il ajoute aux
maux réels , tous ceux qui naiffent du déforme &
de la confufîon y il ne faut pas fur-tout, qu’il af-
foiblifte lui-même tous les principes de morale ,
en donnant l’exemple de la mauvaife foi la plus
effrayante , celle qui paroît l’effet d’une combinai-
fon réfléchie. Ah ! c’eft dans les tems malheureux
que l’Etat a plus befoin de toutes les vertus de
fon prince j & loin qu’en de pareils momens , on
doive confeiller au fouverain aucune opération ar-
tificieufe , il faut l'en éloigner, en lui montrant
que les détours & les déguifemens réuflîflent encore
moins en adminiftration qu’en politique ,
parce que c’eft fur un théâtre ouvert à tous les
yeux, qu’on eft alors obligé de les employer, &
qu’ il eft difficile d’en impofer, quand on eft environné
des regards de tout un peuple. Mais c’eft
fur-tout par de nobles mouvemens qu’ il faut entraîner
le coeur des princes vers tout ce qui eft
grand & honnête, & loin de les ramener timidement
à de petits moyens , loin de leur propofer
les armes , qui peuvent convenir au foible contre
le puiflfant, il faut élever leur courage &: les exciter
à fuivre une marche digne de la grandeur &
de la majefté du chef de l’Etat,
Ainfî -, dans la fîtuation des finances la plus dé-
fefpérée , il faut encore ofer développet l’ état des
affaires ; il faut, en s’y montrant feijjïble', indiquer
les divers moyens auxquels les circonftances
obligent d’avoir recours } il faut montrer que les
plus doux font ceux qu’on a choifis ; il faut,
pour ainfî dire , affocier toute la nation à fes délibérations
, & la rendre témoin des difficultés
qu’on doit vaincre. Eft-il un moment, où il foit
moins permis de la tromper, que celui où l’on
eft contraint de la porter à des facrifices 2 Eft-
il un moment, où il foit pljjs néceftaire de captiver
fa confiance , que celui où il faut, pour
adoucir le préfent, diffiper tous les nuages fur
Favenir ? Eft-il un moment, où le fouverain doive
fe montrer plus homme de bien, que celui ou
toutes les efpérances & toutes les confolations
tiennent à l ’idée qu'on fe forme de fon caractère,
& des principes de fon gouvernement? N o n ;
jamais il ne doit employer aucun art menfonger,
dans les jours profpères, il n’en a pas befoin
& dans ceux de l’adverfité, il peut tout adoucir,
tout calmer, tout fauver par une conduite vraie,
fimple & découverte, & qui a ce grand avantage
, entre tant d’autres, qu’elle fa it , a 1 inftant
de l’intérêt du prince, l’intérêt commun, &
qu’elle ouvre les reflources qui naiffent de i amour
de fes fujets, & de la confiance de ceux qu’on a
pris foin d’éclairer. O puiffance trop peu connue
de la franchife & de la vérité! tu vaus mieux
pour les princes , que tous les raffinemens de 1 a-
dreffe & de la diAnnulation ; mais telle eft la grandeur
& la majefté d’une idée fimple & pure , que-
les rois n’y atteignent prefque jamais, ni par les
confeils , ni par les indications de leurs ferviteurs
ou de leurs mini (Ires , & qu’ils ont befoin de s y
élever .d’eux-mêmes, par le fentiment de ce qu’ils
font, & de ce qu’ils doivent être.
Sur Vexportation & la. fonte des efpeces nationales.
La fortie des efpèces nationales eft défendue en
France 5 mais cette prohibition n’a jamais pu être
maintenue y & quand il y a eu de 1 avantage a
l 'exportation du numéraire, cette exportation s eft
faite , tantôt- avec permiftîon, tantôt par tolérance
, & tantôt pbfcurément. Mais, excepté les
tems où la France entretenoit de grandes armées
hors du royaume , il y a eu peu de momens^ où
cette exportation ait été néceflaire : & les efpèces
nationales n’ont pas tardé à rentrer, quand ces
diverfes circonftances ont changé.
Cette fortie des efpèces , étoit autrefois envi-
fagée d’ une manière bien plus grave y mais c’étoit
l’effet d’une ignorance qui s’ eft un peu diffipée. 11
eft tems de reconnoître que le gouvernement ne
~ peut influer fur la confervation & l’accroiftement
du numéraire , qu’en contribüaut, dans toute l’étendue
de fon pouvoir, à l’avantage du commerce
national 5 avantage qui confifte à vendre aux étrangers
plus qu’on n’ achète d’eux.
Au refte , il fuffit de jetter un coup • d’oeil fur
les états de fabrication des monnoies, pour n’être
pas inquiet de l’abondance du numéraire en France
: & quand il arrive fortuitement, que par la
combinaifon des changes ou du prix de l’or & de
l'argent dans d’autres pays , on trouve fon intérêt
à y faire paffer de la monnoie de France, il ne faut
pas s’en mettre en peine j & l’on doit confidérer,
qu’en s’oppofant à cette manière de faire des fonds
dans L’étranger, quand elle-reftrla plus économe ,
on ne fait qu’obliger les fpéculateurs à chercher
momentanément quelques détours plus onéreux
au (Royaume, j
Nul effort de l’admîniftration , cependant, ne
pourroit empêcher l’extraélion des efpèces , fi par
quelque révolution fatale au commerce de France
, ce Royaume devenoit annuellement débiteur
des autres nations ; mais tant qu'il en fera créancier
, & créancier d’ une fomme. confidérable,
peu importe qu’aecidentellement il forte des
louis ou des écu$ 5 ces efpèces feront, à coup
sûr, les premières qu’on renverra de l’étranger.
Ne court-^on point le danger qu’elles y foient
fondues tout de fuite , & qu’ainfi cette portion
du numéraire s’anéantifle ? cela peut-être} mais
rien n’eft plus indifférent : car dès que la balance
du commerce de l’année demeure favorable au
royaume , il faudra bien qu’à la place de ces louis
& de ces écus qu’on s’eft hâté de fondre, on envoie
en France, une fomme d’autant plus grande,
ou de piaftres , ou de lisbonines , ou de ducats ,
ou de lingots d’or & d’argent j & avec ces mêmes
matières on fabriquera d’autres louis , d’autres
écus.* les ouvriers des monnoies y gagneront un
falaireJ & le fouverain un revenu.
La fonte de la monnoie courante eft pareillement
défendue en France} & la peine des galères eft
prononcée contre les délinquans.
On a rappellé & confirmé cette loi d’ignorance
il y a deux ans} ainfî il n’eft pas indifférent de
chercher à répandre du jour fur cette queftion.
La fonte des efpèces nationales eft confidérée ,
en France, d’ une manière encore plus grave que
leur exportation} mais l’une & l’autre de ces opinions
font également aveugles.
On a vu que trente louis-d’o r , Valant fept cent
vingt livres , pefoient un marc} & que quarante-
neuf livres feize fous de monnoie d’argenr répon-
doient à ce même poids. Les orfèvres ne peuvent
donc trouver leur compte à fondre des louis &
des écus neufs , que dans les momens où le marc
d’or, au titre des louis, vaut plus de fept cens vingt
livres. & où le marc d’ argent, au titre des écus,
vaut plus de quarante-neuf livres feize fols : or
on fentira facilement combien ont dû être rares
de pareils momens, puifque chaque année , depuis
1726, le commerce a porté aux hôtels des
monnoies une fomme d’or & d’argent confident-'
ble , & dont il a reçu le paiement, a des conditions
fort inférieures aux prix ci-deflus, conformément
aux divers tarifs dont j'ai donné connoif-
fance.
Mais Iorfque, dans’ Je cours d’une année, il
arrive des momens où le prix de l’or & de l’ ar-
; gent s’élève affez haut pour qu’on trouve fon intérêt
à,fondre;des louis ou d e s s u s * lerfo-uyeiain
n’a aucun intérêt à s’ y oppofer ; c ’eft un moyen ,
au contraire, d’empêcher que, la haufte paffagère
de ces métaux n’aille trop loin ; au lieu qu’en obligeant
les orfèvres & les.bijoutiers à fe pourvoir,
à tout prix , d’or & d’ argent venant de l’étranger
, on renchérit leurs ouvrages, & l’on nuit à
cette branche de commerce.