
le fouverain peut donc être confédéré comme le
principal acheteur de l’or 8c de l'argent qui s’ ac-
cumulent dans le royaume. Suppofons maintenant
que le prince acheté fur le pied de cent, un poids
quelconque de ces métaux, qu’ il fait fur le champ
valoir cent deux, au moyen de l'empreinte qu’on
y appofe en fon nom 5 c’eft d’abord abfolument
la même chofe que s’ il rendoit poids pour poids,
en retenant deux pour cent pour droit de fabrication.
Ainfi , la plus jutte idée qu’on puiffe donner
du bénéfice du roi fur la fabrication des
monnoies , c’eft de comparer ce bénéfice à un
droit impofé fur la plus grande partie de l’or & de
l’argent qu’on introduit dans le royaume ; ou * ce
qui eft la même chofq -, à un droit impofé fur le
paiement de la folde de commerce que les autres
nations doivent à la France.
Cherchons maintenant à connoître l’ effet précis
d’un pareil droit.
La folde de commerce .qui appartient à la France
3 eft le réfultat de la.fupériorité,de fes exportations
fur fes importations : ainfi c’eft l’enfemble
des exportations nationales qui fupporte l’impôt
établi fur le paiement .effectif dé la folde due au
royaume par les étrangers.
Maintenant il faut fe rappeiler que le roi gagne
un & quatre quinzièmes pour cent fur la fabrica*
tion des monnoies d'or , & un 8ç fept vingt-quatrièmes
pour cent fur la fabrication des mqnnoies
d’argent: fuppofant donc la fabrication annuelle
de ces deux fortes d’efpèces à environ quarante-
cinq millions, en tems deipaix , le bénéfice du
fouverain y fur cette fabrication,, feroit de fix
Cens mille livres environ £ 8c comme les exportations
du royaume s’élèvent à environ trois cens
millions , il en réfuite que lebénéfice fur les monnoies
peut être comparé à un droit d’un cinquième
pour cent 3 fur toutes les exportations nationales.
Je préfente donc ici un moyen fimple pour parvenir
à mefurer exa&ement les effets du bénéfice
que fait le fouverain à la fabrication des monnoies :
ce moyen , pour me réfumer 3 fe réduit à comparer
le produit de ce bénéfice avec la fomme générale
des exportations.
Le principe qu’on vient d*établir doit faire con-,
noître une autre vérité y c’eft que 3 felon les cir-
conftances de commerce d’un pays, le même bénéfice
fur la fabrication des monnoies , a des effets
diflférens. Suppofons , par exemple , que les
échanges de la France 3 au lieu d’être de trois
cens millions déportations 3 contre deux cens
trente d’importations , fuffent de cënt cinquante
contre quatre-vingt -, le royaume gagneroit la
même folde de commerce, l’introduéfion des métaux
précieux ne diminueroit p o in t,'& la conversion
de ces métaux en monnoies 3 procureroit ,
comme aujourd’hui 3 fix cens mille francs de bénéfice
au fouverain y mais cette fomme ne pouvant
plus être rapportée qu’à une exportation de
cent cinquante millions, l’impôt indireéfc fur cette
partie du-commerde national feroit de deux cinquièmes
pour cent, 8c le double3 par confisquent,
de ce qu'il eft aujourd’hui.
Cette hypothèfe, qu’on peut varier de plufieurs
manières, achevé de donner une jufte idée des rapports
fous lefquels il faut confidérer le bénéfice
du fouverain fur la fabrication des monnoies.
Que fi l’on fe rapproche maintenant de l’état
aétuel des chofes , on trouvera fans doute , qu’un
droit d'un cinquième pour cent fur.les exportations
du royaume, levé d une manière imperceptible
, ne peut porter aucun dommage au commerce
de France} & dans la néceffité où eft l’Etat
de fe compofer un revenu confidérable , un bénéfice
modéré fur la fabrication des monnoies ne
doit point être rejetté : il feroit à defirer que les
autres impofîtions n’entraînaffent pas plus d’in-
.convéniens.'
C e profit du roi 3 fur la fabrication des monnoies
3 a de plus , l’avantage de n’occafionner aucun
frais} car les dépenfes de fabrication feroient.
les mêmes , quel que fût le prix donné pour les
métaux qu’on vient de convertir en monnoie.
Je dois faire encore une obfervation : le bénéfice
du fouverain fur la fabrication des monnoies ,
dérive , comme on l’a v u , du prix auquel il juge
à propos de payer l’or & l’ argent 5 & la même
fixation influe fur le cours de ces métaux dans le
commerce 3 en forte que fi le roi 3 renonçant à fon
bénéfice-, donnoit un & un quart pour cent de
plus de l’ or 8c de l’argent qu’on porre. aux hôtels
des monnoies 3 il renchériroit dans la même proportion
, le prix de la matière première , nécef-
faire aux fabriques d’orfèvrerie , de .bijouterie ,
de galons & d'étoffes riches, 8c ce feroit une contrariété
pour leur commerce avec l’étranger : auflî
pfous le feul rapport de l’intérêt de ces fabriques,
il y auroit une grande convenance à baiffer davantage
le prix de l’or & de l’argent, aux hôtels des
monnoies 3 mais-il ne faut jamais , en adminiftra-
tion , favorifer une branche de commerce par une
difpofition qui nuit à d’autres 'intérêts : le fouverain
Y’d ’ailleûrs , a dans fes mains toutes fortes
de moyens pour encourager , fans inconvénient,
tel ou tel négoce en particulier, quand il le juge
convenable.
Le bénéfice du fouverain fur les monnoies, contenu
, comme aujourd’h u i, dans des bornes rai-
fonnables, ne peut produire aucun effet nuifiblej
mais élevé trop haut,. ce même bénéfice, qui eft,
ainfi que je l ’ai développé , une charge impofée
fur les exportations du royaume, fe trouveroit en
contradiction avec la politique , qui invite , a
exempter de droits la pjus grande partie de ces
exportations.
C ’eft ainfi qu’ il faut, en adminiftration , fe défendre
fans celle des extrêmes : il eft fans doute
quelques principes abfolus 3 mais 4-chaque inftant
il fe préfente des applications où il -faut concilier
ces mêmes principes les uns avec les autres. L adminiftration
a befoin de fageffe pour régler leurs
limites refpeétives ; elle a befoin de ta force la
plus pénible de toutes, celle de s’arrêter à un
point fixe, 8c de fe retenir à propos ; & elle doit
envifager comme un plaifir qui lui eft interdit, le
repos qu’éprouvent ceux qui gouvernent, îoif-
qu’ils prennent le parti de s'abandonner a ta commodité
des idées générales.
Il eft encore une confidération qui doit détourner
le fouverain de faire un bénéfice^ exagere fur
-la fabrication des monnoies y c’eft qu en achetant
î’or & l’argent à un prix trôp inférieur à la valeur
que ces métaux acquièrent au moment de leur
converfîon en monnoies , une-fembtable difpofi-
tion offriroit un appât de plus aux faux mon-
noyeurs 5 ils peuvent fans doute fatisfaire leur cupidité
de plufieurs manières 3 & ta plus lucrative
confifte à altérer le titre & le "poids des efpeces
qu’on fe permet de fabriquer ; mais ce ^enre dé
fraude peut être aifément reconnu : au lieu que
fi l’on trouvoit un bénéfice fuffifant, en gagnant
Amplement la différence qui exifteroit entre le
prix de l ’or & de l’argent en métal, & ta valeur
des 'monnoies d’un bon alloi, cette elpece de fpe-
culation tarifer oit beaucoup moins de traces.
Je voudrois avoir tout dit fur ta queftion qui
fait le fujet de ce-chapitre } car de telles difeuf-
fions font tellement abftraites & fugitives, qu’jl
eft difficile d’ y répandre allez d’intérét pour dédommager
de l’attention qu elles exigent 3 cependant
je dois encore éclaircir un doute important
& relatif à la même matière.
J’ ai- repréfenté qu’ un bénéfice modère de 1a
part du fouverain , fur la fabrication des monnoies
, ne pouvoit pas arrêter l'introduélion annuelle
de l’or & de l’argent| parce que^cette introduction
étoit fondée fur la-néceffite ou fe trou-
voie nt les étrangers de s’acquitter de cette manière
, de tout ce qu’ ils devaient a la France :
cependant on a remarqué qu’ aux époques ou i on
a haufle le prix de. l’or & de l’argent aux hôtels
des monnoies , foit en faveur du public en general
, foit au profit particulier de quelques perfon-
hes privilégiées, la fabrication des monnoies a augmenté
momentanément} 8c comme on a fou vent
argué de cette circonftance , pour foutenir que
l’abandon du bénéfice du roi fur les monnaies
étoit un moyen efficace pour attirer , en tout
tems, une plus grande fomme d'or & d’argent
dans le royaume, il eft important 'de jetter du
jour fur l ’erreur de cette induCtion.
L ’on n’envoie de l’or & de I argent en France
ou dans tout autre pays, qu’après avoir recherche
tous les moyens de s’acquitter avec une plus
grande économie : ainfi les débiteurs de ta France
commencent par entrer en négociation avec
créanciers de ce royaume, afin d obtenir d eux
des aflignations ou des lettres-de-change , en vertu
defquelles on puiffe toucher, en France , les
fonds dont on a befoin. C e s échanges entre les
débiteurs 8c les créanciers d’ un pays, ne s exécutent
point en maffe , puifque ni les uns ni les
autres ne font réunis 3 mais ces tranfaéfions fe
paflent de particuliers à particuliers-, 8c s ©tendent
à toutes les places commerçantes de 1 Europe
; l’on y parvient par une multitude innombrable
de combinaifons, & c ’eft ce qu on appelle
proprement, les opérations de banque. Cependant
ces négociations, ces échanges & ces contre-
changes ont pour b u t , en derniere analyfe , de
i parvenir à payer ce que l’on d o it, avec l^plus
grande économie poflible } ainfi tous ^es
8c les intéreffés dans ce marché général de lettres-
de-changes , ont toujours devant les, yeux un
point de comparaifon} c’ eft le prix auquel on peut
fe procurer des fonds dans toutes les villes commerçantes
, en y envoyant de l’or & de 1 argent
effectif, & en convertiffant ces métaux dans la
monnoie courante, aux conditions fixées par chaque
gouvernement.
Suppofons maintenant qu’au milieu de cette
lutte générale entre tous les debiteurs 8c tous les
créanciers de ta France , 8c au milieu de ce tourbillon
de négociations, où tous les commerçans
de l’europe prennent part, le fouverain, tout-a-
cou p, haufle le prix de l ’or & de l’ argent dans
fon royaume , en changeant le tanf d apres le-
quel ces métaux font reçus aux hôtels des monnoies
5 alors une partie, ou des débiteurs dé la
France, ou des fpéculateurs qui font intefme-
diaires entr’ eux, &c les créanciers de ce royaume
, fe hâteront de profiter de ta variation furve-
nue fur le prix des matières y & ta folde due a la
France par les étrangers fe trouvera, cette fois-ci,
réalifée en or 8c en argent, plus prdmptement
qu’ à l’ordinaire. Cette accélération qui n’a lieu
qu’une fo is , eft d’une bien petite impoitance :
qu’eft-ce en effet , que dix ou quinze millions
de numéraire , ajoutés un peu plutôt a une malTe
de deux milliards répandus dans l’univeifalité du
royaume ? C ’ eft donc une grande erreur que de
prendre une pareille accélération poiir un gain
véritable , 8c de faire des facrifices permanens à
un effet inftantané.
En général, on ne fauroit trop fe tenir en garde
, dans l’adminiftration des finances , contre
cette- confufion fi facile des vraifemblances ayec
Tij