L'inftitution des fociétés fe relient de la main
des hommes, & l’on reconnoît leur ouvrage à
la multiplicité des reflbrts dont il eft compofé.
I.es finances d'un grand royaume & l ’étude des
différens rapports qui en forment la fcience , pré-
Tentent 3 non-feulement une grande quantité de
vérités importantes 3 mais dans le nombre, il en
ell encore plufieurs qui rivalifent enfemble , &
qu'il faut apprendre à concilier. C e n'eft donc
que dans le développement de chacune des parties
3 qu’on peut véritablement éclairer la méditation
, & l ’on, ne feroit que l'égarer 3 fi en voulant
la Amplifier, plus que la nature des chofes ne le
comporte , on réduifoit fes efforts à la conception
de quelques idées générales. Il en eft peu parmi
celles qui font_applicables aux impôts ,.au commerce
, à l'induftrie, au crédit, au numéraire , à
la circulation, aux richefles , aux dépenfes 3 au
luxe & à tant d’autres objets politiques, qui ne
foieut fufceptiblès de quelques réferves ou de
quelques exceptions.
L'attention continuelle à l'intérêt du peuple,
eft de toutes les obligations celle dont les rapports
ont le plus d’étendue, & ce principe peut
être regardé comme la morale entière d'une admi-
niftrateur. En effet, ce n'eft pas feulement comme
un des plus faints devoirs de l’humanité que les
miniftres des finances doivent confidérer le foin
du peuple & la tutelle du pauvre j mais c'eft parce
qu'une telle follicitude eft le moyen efficace de
contribuer à la profpcrité d'un état & à fa force.
Et certes , au milieu des paflions de ceux qui gouvernent
le monde , il eft encore heureux que les
intérêts de leur ambition s'accordent avec leurs
devoirs., & que le fort de cette clafle nombreufe
de leurs fujets qui vit du travail de fes mains,
^it un rapport évident avec leur puiflance. Leur
intérêt les invite donc à ménager & favorifer continuellement
la claffe de leurs fujets la moins fortunée.
Un miniftre ne fauroit trop fe pénétrer de cette
vérité. Ainfi , dans l’adminiftration des finances ,
un fentiment profond d amour & de protection
pour le peuple, devient un guide fidèle. Il ne
faut pas feulement voir l'étendue des reffources
de la France dans l'immenfité des impôts que
paient fes habitans, mais il faut y lire en lettres de
f è u , l ’effrayante étendue- des facrifices que l'on en
ex ig e , & confidérer cette énormité des charges
publiques , comme un vafte champ ou la fagefle
& là bienfaifance du fouverain peuvent s'exercer
fans celle.
Il faut penfer que les richefles des fouverains
font le produit des impôts , & l'accumulation des
facrifices de la généralité des citoyens ; de ce
peuple fur-tout, qui ne reçoit, en récompenfe des
travaux de fa journée > que la fubliftance nécefi*
faire pour lui donner la force de les reprendre le
lendemain.
S'agit-il de prendre un parti fur la meilleure
manière de pourvoir à la confection des travaux
publics ?. l'amour du peuple éloignera de la voie
des corvées 3 non-feulement parce que cette méthode
expolè à des abus d’autorité dont le foible
eft plus aifément la viCtime 3 mais aufli parce que
le travail étant une impofition perfonneile 3 le
pauvre & le riche y participent également 3 tandis
que les contributions en argent ne fe répar-
tiflent qu’en proportion des facultés.
Faut-il adopter une légillation pour le commerce
des grains ? l’amour du peuple empêchera
d'abandonner aveuglément ce trafic aux excès de
la liberté , afin de prévenir des fecoufles fubites
dans le prix desfubfillances, parce que ces mouve-
mens inattendus & paflagers 3 n'étant point fuivis
promptement d’une révolution femblable dans le
prix de la main-d'oeuvre, expofént à de véritables
fouffrances ceux qui vivent de leur travail.
Doit-on rédiger ou modifier des loix burfales ?
l’amour du peuple excitera à rendre ces loix fim-
ples & claires > car fi le puiflant tire parti dë leur
incertitude pour échapper à ce qu'il doit légitimement
3 cette même obfcurité donne des moyens
pour opprimer aifément l'homme ignorant & foible
qui n'a ni l’inftruétion , ni la confiance néceffaire
pour fe défendre.
Vient-on à s’occuper des droits de gabelle ?
le même fentiment fera connoïtre combien eft
pernicieufe cette légillation qui place autour de
la pauvreté & de l'ignorance 3 des objets continuels
de luxe & de tentation 3 & qui affiijettit à
des peines fi rigoureufes, ceux qui fe laifîent entraîner
à ces dangereufes amorces.
Eft il queftion de faire choix d’une adminiftra-'
tion intérieure pour la répartition & la levée des
impofitions ? le foin du peuple détournera d’abandonner
fes .intérêts à l'autorité d'un feul homme
, & on lui ouvrira de toutes parts les moyens
de faire entendre fes plaintes. Plus on unit de
près les hommes aux befoins de l’Etat, ou à ceux
de leur province , & plus on leur communique
cet efprit de famille qui difpofe fouvent aux mêmes
facrifices dont on fe défendoit avec tant de
vigueur, lorfqu'on n'avoit aucun rapport avec la
chofe publique. ,
Les dons exceflifs, les privilèges étrangers au
bien de l’Etat, tous ces projets, d'un petit nombre
d’hommes, feront rejettés par le même principe.
L'économie paroîtra l'unique fondement d'une
falùtaire adminiftration ; & l’on fe fouviendra de
ce mot heureux & concis , que les courtifans jouif V
fent des largejfes du prince , & le peuple de fes
refus.
Enfin , lorfque les circonftances contraindront
à établir de nouveaux impôts, on n’héfiterapoint
à les diriger préférablement fur les objets de luxe
& de richelfe. On fe fouviendra que l’ un des fu-
neft^s effets de l’accroiflement des impôts entre
tarft d'autres, c'eft de rendre les recouvremens
plus difficiles & la rigueur plus néceffaire. On fe
fouviendra , qu'en adminiftration, à égalité da-
vantages , les formes les plus fimples doivent etre
préférées , parce qu'elles font comme des glaces
tranfparentes, à travers defquelles on juge aifément
des objets, .au lieu que les méthodes compliquées
deviennent tôt-" ou tard un voile épais
fous lequel les erreurs & les fautes demeurent impunément
cachées. Partout & fans c e fle , la main
bienfaifante du fouverain s'occupera de la protection
& de la défenfe de cette partie raalheu-
reufe de fes fujets, dont la voix ne fe fait jamais
entendre à l’avance , & qui ne fait long tems que
bénir ou pleurer. Et ce qu'un monarque eûydû
faire , par un fentiment de juftice & de p itié ,
lui retournera en accroiffement de force & de
puiflance : belle union de là morale & de la politique
! C ’ eft par un femblable accord , que la Société
& fes loix attirent notre refpeêt ; & c'eft
alors aufli que l'adminiftration eft grande , fimple
dans fa conception , & jufte dans fes moyens.
C e t amour du peuple eft d’autant plus recommandable
dans un miniftre des finances , que
tout aide à le diftraire de ce fentiment. Il vit
au milieu d'une ville immenfe où tous les dehors
du luxe & de la richelfe fe préfentent continuellement
à fa vue j ou l'on eft préoccupé fans cefle ,
& par les évènemens publics, & par les jeux de
■ l ’ambition , où chacun s'unit, foit par l ’efpé-
rance , foit par la curiofité.
D'ailleurs, à mefure que la'dette publique s’accroît
, à mefure que les dons , les penfîons ou les
profits de finance s'étendent & fe multiplient, il
fe fofme dans l ’Etat -un parti confidérable dont les
intérêts fe trouvent fouvent en oppofirion avec
ceux du peuple î car toutes les perfonnes dont la
fortune confifte en créances fur le roi , ou en
grâces de la cour, prennent facilement à gré l'augmentation
des tributs, tant il leur convient que les
revenus de leur débiteur fe grofliffent, ou que le
tréfor royal ait plus d'argent-à répandre. Et comme
c'eft au fein de la capitale, que cet efprit fe
développe fourdement , le miniftre des finances
a befoin d’appercevoir de lui-même, tous les mé-
. nagemens dûs à cette clafle nombreufe de la nation
, qui a fi peu de protecteurs agiffans j & s'il
n'eft pas doué de la fenfibilité néceffaire pour
fe remplir d’une telle follicitude , il y fera foible-
ment ramené par tous les objets extérieurs qui
l'environnent.
La fidélité dans les engagemensJ doit être certainement
comptée parmi les principes généraux
qui doivent üèryir de bafe à une adminiftration
fage & vertucufe. Sans doute fi l'on confidéroit
uniquement cette fidélité comme une vertu morale
, elle n'appartiendroit pas plus étroitement
à l’adminiftration des finances , qu’à toutes celles
qui compofent le gouvernement. On fe perfua-
dera que les fouverains doivent fe foumettre à
quelqi^res—facrifices pour ne point manquer à ce
principe, même à l'égard des concertions qu’ils
n’auroient pas dû faire. La parole du r o i , celle
qui fe donne en fon nom , à tel objet qu'on l'applique
, devroit être le plus refpeétable de tout
les liens. Il y a quelque chofe de fi grand & de
fi majeftueux dans l'idée d’un fouverain , que
lorfqu’on eflfaie d'en approcher la plus légère ap-
par-ëhce de fauffeté, on croit fon imagination coupable,
& l'on ne peut pas fupporter ce fpeétacle.
Comment celui qui peut to u t , fe rabaifferoit-il à
tromper ? Comment celui qu'on ne peut jamais
contraindre , fe permettroit-il d’oublier fes pro-
mefifes ? Et comment fur-tout , s'eft il trouvé
quelquefois des miniftres affez déréglés pour avilir
à tel point le nom du prince , que de le faire
fervir à voiler l’indifférence de leurs principes , &
à déguifer la baffeffe de leurs propres menfonges?
Si l'on confidère cette fidélité dans les epgage-
mens, fous Un point de vue politique , on trouvera
qu’elle eft dans l’adminiftration des finances,
un des devoirs les plus importans : car s’il eft
une partie des forces d’ un empire qui fe réunit &:
fe développe à la feule voix de l’autorité, il en eft
■ une autre moins docile qui n'obéît qu'à la confiance.
Les impôts aujourd’hui ne faurqient fuffire aux
befoins érendus de la guerre, & il fau t, par-d autres
moyens, raffembler les capitaux néceflaires ;
mais l ’argent n'appartient à aucun lieu & n'eft
d'aucune patrie j il fuit devant la contrainté &
fe cache devant les foldats qui viennent pour le
ravir 3 il faut donc le fixer & l’attirer par la confiante
y & comme il 11'en exifte point, fous les
gouvernemens qui n’ont ni vertu ni fagefle, il eft
arrivé que le befoin dû crédit a rendu quelques
fervices aux hommes , en échange des maux auxquels
l'introduCtion de ce nouveau moyen de force
a donné naiffance. Et fi le crédit a étendu l’efprit
de guerre & de conquête , la conduite néceffaire
pour l’obtenir, a tempéré l'exercice arbitraire
de l’autorité, en faifant fentir aux princes, que la
juftice & la douceur de leur gouvernement étôient
une des conditions effentielles de cette puiflance
politique dont ils font fi jaloux.
Quelquefois on a voulu confidérer l'étendue de
la dette publique comme abfolument indifférente *
on a dit que l’argent des impôts pafloit aux rentiers
j celui des rentiers, aux ouvriers ou aux propriétaires
de terref, & qu'ainfî la circulation ren-
1 doit tout égal. A ce langage, ne fembleroit-il pas