
de mérite .qui n’eft jamais relevé par la louange;
le public qui juge toujours féparément toutes les
dîfpofîtiotts de l’adminiftration , obferve- bien rarement
cette fuite & cet enchaînement, par l’effet
defquels cependant fon opinion fe prépare , s'accroît
& s'affermit.
Ce font pourtant les vues générales ; qui, feules,
peuvent élever un admîniîfrateur au rang des
hommes d’Etat 3 c’eft en atteignant à ces vues ,
qu’il s’affermit dans fes principes, & paroît uniforme
dans fa conduite ; au lieu qu’en fe bornant
à attaquer les abus partiellement, ü devient
le jouet des détails qu’il croit dominer , & fa
force s’épuife en combats particuliers 3 mais tout
cède , au contraire, devant les efforts d’un gouvernement
à qui l’on fuppofe cette fuite & cette
confiance , que la connoiffance profonde du bien
public eft feule capable d’infpirer
II ne faut, à la vérité , que du courage pour
abattre les abus lorfqu’ils font portés à leur comble
: comme on peut aveuglément promener la
faux dans des champs négligés , & que le temps
a couvert de ronces & de plantes fauvages., de
même, lorfque de longs troubles ont, comme
on l’a vu, dans plufîeurs époques de la monarchie,
introduit ces déprédations révoltantes, & de tout
les genres 5 & lorfque ces déprédations font partout
dénoncées d’une commune voix, on peut
alors les attaquer fans ménagement ; mais ,
lorfque les abus font plus déguifés , lorfqu’ils
font moins connus que préjugés, & lorfqu’on
peut , fans rougir , effayer de les défendre , il
faut néceffairement de l’application , du foin ,
de la perfévérançe , de la fageffe & de la mefure
pour taire goûter de nouveaux projets de finance
, pour réformer les abus, & pour atteindre
à fon but, fans défordre & fans çonfufîon.
Qu’on ne s’arrête pas au langage de quelques
perfonnes qui diront peut-être , que les ména-
gemens les conciliations ne fervent qu’à rabaiffer
l’autorité 5 qu’il faut que le roi écoute les rapports
de fes miniftres, qu’il fe rende certain du
plus grand bien de l’État, qu’il l’ordonne çn-
fuite, & qu’il fe faf£e qbéir.
Ces principes abfoîus & généraux, font pref-
que toujours une fource d’erreurs. Il eft des cas 3
c’eft fans doute le plus grand nombre , ou la marche
de l’autorité eft tellement tracée, qu’elle doit
fe garder de l’apparence du doute & de l’héfita-
tion ; mais il exifte aufli des occafîons où la prudence
& la nature des objets exigent une forte
d*accord entre l’opinion publique & la volonté fôu-
veraine; & e’eft alors que le gouvernement doit s’ef-
timer heureux de pouvoir écarter les allarmes &
les faux foupçons, en rapprochant de fes penfées
& de fes deffeins les corps refpeétables qui iji- '
fiuent fur la confiance publique.
C e ft, il eft vrai, pour Je foutien de la raifon,
que l’autorité doit être déployée 3 mais les miniftres
les plus allurés de l'utilité de leurs vues,
devroient encore, dans l’exécution, éloigner avec
foin les aéles de violente 3 car les formes defpoti-
ques étant toujours d’une adminiftration, ce que les
hommes en pouvoir, faifîffent le mieux, & imitent
le plus facilement ; il feroit bien à craindre que les
mêmes moyens dont pn auroit donné l’exemple ,
ne fuffent employés en d’autres tems , à faire prévaloir
, ou des erreurs, ou de faux fyftêmes, ou
peut-être encore des idées arbitraires & tyranniques.
Une conduite mefurée, caraéléfife donc particulièrement
une adminiftration fage & paternelle.
C ’eft une adminiftration femblabîe, qui dans tous
les grands çhangemens, dans toutes les nouveautés
importantes, ne fe refufe point à prendre
de la peine, pour chercher avec foin, & les
moyens de conciliation, & les tempérammens
aflbrtis aux hommes & aux circonftançes.
C ’eft une pareille adminiftration qui ne fe borne
point à commander , mais qui veut encore guider
l’opinion & éclairer les efprits, afin de diminuer
le befoin de la force & de la contrainte. C’eft
elle encore qui met en lignes de compte les effets
des paflions & de l’ignorance , & qui ne dédaigne
point d*y condefcendre.
C ’eft elle enfin qui, calmant fes propres élans
vers le bien, où fon. amour-trop ardent de la
gloire , ne rejette point les fecours du tems, &
ne veut point femer & recueillir en un jour.
Il y a plus encore, les miniftres qui dans toutes
les affaires, ne conooiffent que l’autorité, limitent
de cette manière l’influence du fouverain 5
car en même-tems qu’ils dédaignent de préparer
les efprits & de rechercher le moindre concours,
en même tems encore qu’ils confidèrent le myf-
tère , fur tous les plans d’adminiftration , comme
l’attribut & le fymbole des idées monarchiques ,
ils renoncent, fans le témoigner, à tous les projets
utiles, dès qu’ils apperçoivent de là difficulté à
les mettre en exécution, par la feule impulfiori
du commandement ; & en reftreignant ainfî les volontés
du prince dans le'cercle étroit des chofe’s'
communes ou particulières, c’eft concevoir, &
donner aux autres, une idée imparfaite de la grandeur
& de la puiffancé du monarque.
La raifon, la juftice & la modération , font
des guides qui rapprochent tous les hommes,
lorfque la défiance ne' les éloigne point, & lorfqu’ils
ne font pas aveuglés, ou par un goût in-
confîcjéré d’indépendance, ou par les préjugés
d’une autorité mal entendue.
Enfin, e’eft par la fageffe, que la fermeté de
caractère devient une fi grande qualité, tandis
que
t}ue féparée des lumières & de la prudence, éette
fermeté n’eft fouvent qu’une force dangereufe.
Elle agit alors aveuglément, elle choque ou elle
réfifte au hafard&fans convenance, & elle perd
ainfî fes droits à la reconnoiffance des hommes.
Mais la fermeté éclairée, celle qui foumet fes actions
aux loix de la fageffe , fera toujours le plus
grand reffort des gouvernemens, & la première
vertu d’adminiftration. Car à quoi ferviroient le
génie qui forme les plans, la prudence qui les
règle, la dextérité qui les fait adopter, fi par foi-
bleffe de cara&ère, on les abandonno.it dès les
premiers pas ? A quoi ferviroient l'efprit & les lumières
, fi l’on étroit toujours prêt à agir contre fa
penfée 5 où fi l’on manquoit de cette volonté qui
fait commencer & pourfuivre, combattre & per-
févérer ?
Il eft encore un genre de foiblefle en admi
niftration, dont on' eft inftruit par de fréquens
exemples. C ’eft cette flexibilité de caractère qui ■
entraîne un adminiftrateur à dénaturer fon propre ;
ouvrage, en confentant à des exceptions, ou à • i
des modifications qui en altèrent l’efprit & les
principes. Cette efpèce de foibleffe eft peut-être
la plus dangereufe de toutes 3 car l’adminiftrateur
qui fouvent en rougit lui-même en fecret, mais
qui aime mieux expofer la réputation de fes lumières,
que celle de fon caraétère , emploie quelquefois
fon adreffe à juftifier les changemèns qu’il
a-faits contre fa propre opinion 3 cependant, en
agiffant ainfî , il augmente fes torts, puifqu’il répand
des doutes fur les principes d’adminiftration
les plus falutaires , & fait, de cette manière, un
mal qui dure long-tems après lui..
Un miniftre foible, n’a point de vertus fûres 3
& , -fût-il honnête, il peut nuire encore davantage
à l’adminiftration qu’un .homme fans principes
, mais dont le caractère a plus de tenue 3 celui
ci ffacrifie le bien de l’Etat à toutes fes convenances,
3 mais l’autre oppofe à l’ordre public ,
l’intérêt & les paflions de tous] ceux qui l’ap-.
proçhenî.
Il n’eft donc rien qui releve davantage un miniftre
, que la fermeté dans fes deffeins & dans fa
conduite. C ’eft par cette puiffancé de l’ame que
les facultés de l’efprit deviennent utiles , & peuvent
s’appliquer à i’adminiftratiôn ; tandis que dénuées
d’un pareil appui-, elles femblent errer &
demander un maître.
Le génie lui même , cette lumière féconde, s’il
fe trouve uni, par malheur, à un caradlèc® foible
& pufillanime, ne devra point fe hàfarder dans la
carrière de l’adminiftration 3 il faut plutôt qu’il
recherche la gloire qui appartient aux écrits ou à'
la -parole, & il doit fe garder de rabaiffer dans
l’opinion un des plus beaux dons de la nature,
Finances, T om e 111•
en Te montrant en fpeétacle inutile au haut de ces
poftes éminens, où il n’eft permis de parler aux
hommes que par fes allions.
Enfin , c’eft par l’idée que donne un homm&
public de fon caractère, qu’il conferve de la ré-:
pütation 5 l’on fe fou vient encore aujourd’hui
d’Ariftide & de Caton l’ancien , qui n’étoient
que des citoyens diftingués dans Athènes & dans
Rome 5 & tous les efforts de l’hiftoire ont peine
à graver dans la mémoire, les noms du plus grand
nombre des fouverains.
Si les qualités de l’ame ne font pas fortes &
prononcées , on pourra réuflir dans fes projets ,
• on pourra faire en adminiftration, des difpofitions
utiles ou des établiffemens remarquables, fanslaiff
fer cependant un long fouvenir ; c’eft que les actions
font comme autant d’idées éparfes, qui pour
être raffemblées en un point, doivent être unies
fans peine à l’opinion qu’on a conçue de celui
qui les a faites. C ’eft alors feulemenr que les ap-
plaudiffemens partiels & paffagers , fe changent
en un fentiment fimple & durable , l’eftime ou
l’admiration pour la perfonne. Les actions ne nous
repréfentent jamais que des effets, c’eft toujours
la caufe que nous cherchons & qui attire
notre hommage 5 on ne fait pas admirer long-
tems l’homme qui fait dfej grandes chofes, fans
avoir un grand caractère. Colbert a befcfïn d’être
loué par le récit de fon adminiftration 5 Sully
l’eft à l’avance, par toutes les idées qui appartiennent
à un grand caractère & qui fe réunifient à
fon nom.
Un adminiftrateur des finances ne peut trop
apporter d’attention au choix des perfonnes qui
J font appellées à le féconder, car, félon leur eC-
I prit & leur caira&ère, elles deviendront pour lui
un obftacle ou un fecours. Celui qui a pu s’entourer
d’hommes d’une trempe convenable, doit
entretenir en eux l’amour de l’honneur , & il le
peut déjà par l’afcèndant d’un grand exemple a
mais il faut encore,qu’il fécondé habilement leur
émulation.
Celui qui prend un véritable fuccès à fon ad-
miniftratioff, doit ménager ceux dont il peut tirer
du fecours : il doit fentir , que fous un pareil
rapport, ils font bien plus précieux pour lui qu’il
ne peut l’être pour eux 3 & il appercevra bientôt
-que tous les féconds d’une adminiftration publique
, s’ils ont un mérite réel, font principalement
encouragés par l’attention qu’on donne à
leurs talens. Obligés de travailler obfcurément &
toujours pour la gloire , d’autrui , if faut que le
miniftre les anime, & par ün intérêt continuel
au%zèle qu’ils développent, & par cette approbation
éclairée , la feule qui fatisfaffe celui qui
prend de la peine.
Y