
les vérités ; il ne faut, pour faifir les vraifem-
blances , qu'une attention fuperficielle j elles viennent
, pour ainfi dire , au devant de la penfée :
les vérités, au contraire, femblent fe tenir en
arrière , & l’étude & la réflexion peuvent feules
les découvrir.
De la cejfion , a des particuliers , du bénéfice du
fouveràin fur la fabrication des monnoies.
C e n'eft guères qu'en France où de pareilles
queftions peuvent être agitées ; encore , pour
s'excufer de le faire, convient-il de dire que cette
ceffion du bénéfice du roi fur les monnoies , eft
continuellement follicitée , & qu'elle a eu lieu ,
tantôt complettement, & tantôt avec quelque
modification pendant la plus grande partie des
vingt années qui ont précédé mon adminiftration.
Des banquiers confidérables ,‘ & d'autres per-
fonnes , à l'aide de beaucoup de faveur & d’un
peu d'ignorance de la part des minières des f i nances
, ont obtenu ce qu'elles vouloient en tenant
à peu-près ce langage.
L'argent eft rare à Paris : c’eft que la fomme
du numéraire n'eft pas aflfez abondante dans le
royaume j elle n'eft pas aflfez abondante, parce
qu'on ne frappe pas aflfez de nouvelles monnoies
\ on n'en frappe pas aflfez, parce qu'il ne
vient pas fuffifamment d'or & d'argent de l'étranger
j il n'en vient pas fuffifamment, parce que
le fouveràin gagne un ou1 deux pour cent fur la
partie de ces métaux qu'on porte aux hôtels des
monnoies : ainfi l’intérêt de l'Etat exigé que le roi
renonce à ce bénéfice j mais comme il faut encore
du fecret, du favoir faire, & de grandes relations
dans l'étranger, pour remplir le but qu’on
doit fe propofer, nous invitons, par un effet de
notre z è le , le fage, l’habile, l ’incomparable mi-
niftre des finances , à ne changer qu'en notre faveur
, le prix de l ’or & de l'argent j nous ferons
avec cet encouragement, des facrifices à propos,
& nous nous engageons à faire porter aux hôtels
des monnoies , une fomme d’or 8c d’argent fupé-
rieure , au moins de dix millions , à celle qu'on
y a remife pendant le cours de l’année précédente.
Le miniftre , fenfîble à ces raifons , frappé de
ce difcours , & déjà préparé par un fentiment de
bienveillance , acquiefce à la demande qu'on lui
fait j 8c ceux qu'on gratifie de cette manière , d ’un
revenu du fouveràin , font d’autant plus fûrs de
tenir parole , que leurs promeflfes font communément
faites à la veille de quelque'événement
propre à augmenter naturellement l'introduélion
de l'or &• de l'argent dans le royaume 5 t e l , par
exemple, que l’arrivée prochaine des vaiffeaux
de regiftres , la p aix , l'accroiffement de commerce
qui en eft la fuite, quelque grand emprunt
où les étrangers s'intéreflferont, 8c d'autres cir-
confiances de cette nature. Enfin , ainfi que je l'ai
expliqué dans le chapitre précédent , tout ac-
croiflfement fubit, dans le prix fixé pour l'or &
l'argent aux hôtels des monnoies , doit hâter momentanément
le paiement de la dette de commerce
des étrangers j 8c l'effet de cet accroiffe-
ment eft à peu-près le même , foit qu'on en faflfe
jouir le commerce en général, foit qu’on cede
cet avantage à desjparticuliers,qui en facrifient une
portion aux divers agens des opérations de banque.
Cependant ceux qui ont obtenu de pareilles
faveurs de la part du gouvernement , ne manquent
pas , au bout de l'année, de montrer les
états de fabrication ; & comme ces états, par les
diverfes raifons dont on vient de rendre compte ,
doivent s’élever plus haut que ceux de l’année
précédente , on obtient facilement un nouveau
traité, 8c quelquefois encore d'autres témoignages
de reconnoiffance.
Il eft évident néanmoins que dans un pays où il
y a deux milliards de numéraire, on ne devroit
pas croire légèrement à la rareté réelle des efpèces.
Un ralentiflfement momentané dans la circulation,
tient à une multitude de circonftances différentes}
mais comme il en eft plufieurs qui font relatives
aux fautes de l’adminiftration , on fert l'amour-
propre du miniftre , lorfqu'on vient lui dire que la
aifette d'argent eft la caufe de tout.
La France reçoit 8c recevra conftamment une
fomme d’or & d’argent proportionnée à l'étendue
de fes créances fur les autres nations j &
comme l'art du banquier le plus habile ne fauroit
augmenter cette introduction , il faut au moins,
lorfqu'on fe réfout au facrifice du bénéfice du
fouveràin , fur la fabrication des monnoies £ en
faire jouir le commerce en général j & la con-
ceffion d’un pareil avantage à quelques particuliers
favorifés , doit être mife au rang des largeflfes re-
préhenfibles.
Tels font certainement les principes qui doivent
fervir de guide à l'adminiftration : & j ’ajouterai
que , par-tout où le chef-lieu du gouvernement
fe trouve placé dans une ville méditerranée, 8c
où faute d’expérience, les idées de commerce ne
font pas familières, on doit s'en tenir aux maximes
les plus fimples fur cette matière , & ne jamais
prêter l’oreille aux exceptions. Il y a , s'il
eft permis de s'exprimer ainfi, tant d'affinités dans
la plupart des queftions d'économie politique,
que l’adminiftration de Paris ou de Verfailles ,
n'eft communément, ni aflfez forte en connoif-
fances de ce genre , ni aflfez fécondée par les lumières
générales , pour pouvoir fe défendre des
raifonnemens captieux, que l'intérêt particulier
ne manque jamais d’employer.
Des changemens dans le titre, le poids 3 & la-
valeur numéraire des efpeces.
Si à l’époque d'une refonte générale des cfpe-s
c e s , l’on augmentoit ou diminuoit leur poids,
l'on amélioroit ou altéroit leur titre , cette operation
ne produiroit aucun mal^reel, pourvu que
la valeur numéraire de ces mêmes efpeces, rut
augmentée ou diminuée dans une proportion équivalente}
mais comme le fouveràin , ni perfonne,
ne gagneroit rien à ce changement, il n eft pas
vraifemblable qu'on en donne jamais le confeil}
ce feroit occafionner, fans aucune utilité , beaucoup
d'embarras, de foupçons, & de défiance.
Les opérations fur les monnoies , dont je veux
parler ic i , font d’ une toute autre nature. L'adminiftration
féduite par des apparences trompeufes ,
& troublée par le défordre des affaires, a fouvent
eu recours à des moyens dangereux} & fe fiant
aveuglément à des fyltêmes dont les inventeurs
n’avoient eux-mêmes qu’une idee imparfaite &
confufe j tantôt elle a altéré la valeur^intrinsèque
des efpèces, fans réduire en proportion leur valeur
numéraire, 8c tantôt elle a hauflfe cette valeur
numéraire, fans rien changer à la valeur in- |
trinsèque. Ces deux opérations font abfolument
femblables, & dans leurs motifs , & dans leurs
effets} 8c comme de pareils projets font encore
préfentés dans tous les momens , où quelque embarras
dans les finances fe manifefte , je crois utile
d’en fappeller le danger & les fuites funeftes.
L é fouveràin, en donnant à la monnoie courante
, une valeur additionnelle, & abfolument
idéale, ne fe détermine à une pareille difpofition *
que dans la vue dé s'acquitter envers fes créanciers
, avec une moindre quantité d'or & d’argent
j 8c comme il ne leur doit pas feulement une
fomme quelconque de livres tournois, mais encore
un paiement en efpèces pareilles à celles qu'il
a tacitement promifes, il commet une injuftice
évidente, lorfqu'il manque à cet engagement.
Suppofons qu’on paye les intérêts , ou les capitaux
des créanciers de l'E tat, avec une monnoie
dont on vient de doubler la valeur numéraire ,
fans rien changer ni à fon‘poids , m à fon titre }
ces créanciers voient à l'inftant leur fortune réduite
à moitié, puifque le çrix de toutes les
chofes de la v ie , eflfuie une révolution proportionnée
à l’exhauffement de la valeur numéraire
des efpèces. En effet, les prix ne font pas relatifs
à laMénomination de louis ou d’écu, ni à la di-
vifîon de ces monnoies, en plus ou moins de livres
tournois : ces prix fe rapportent uniquement
à leur valeur intrinsèque } & fi l'on ne répète pas
conftamment dans les marchés : je vends mon
tems, mon travail, ma marchandise tant d'écus,
tant de louis, contenant telle quantité d’or ou
d’argent fin } c ’eft que chacun s’habituant à regarder
la valeur numéraire comme abfolument liée ù
la valeur intrinsèque , on néglige de rappeller une
idée qui n’eft pas moins conftamment fous-en-
tendue.
Ainfi , le fouveràin peut donner aux monnoies
le nom qu’il lui plaît} il peut haufiTer ou diminuer
leur valeur numéraire } il peut, par de nouveaux
tarifs , régler différemment la quantité d or &
d’argent qui doit entrer dans leur compofition } il
peut enfin, déranger & bouleverfer toutes les me*
fûtes employées dans les marchés } mais il ne fau-
roit fubjuguer cette opinion, qui feule détermine >
d’après des rapports réels, ce qu'il faut échanger
contre une pièce d’or 8c d’argent, d’ un tel
poids 8c d’ un tel titre.
La valeur numéraire des monnoies, eft à leur
valeur intrinsèque , ce que les mots font aux
idées} & comme on ne pourroit pas hauflfer le
prix d'une pierre colorée , en l’appellant ,^de par
le r o i, un rubis ou une émeraude, de même on
ne peut pas augmenter la valeur effective d un
louis d’or ou d’un écu , en changeant la dénomination
numéraire de ces efpèces.
Cependant, la léfion qu’éprouveroient tous les
créanciers de l’état, ne feroit pas le feul inconvénient
attaché à l’opération dont je difcute ici les
effets. Le fouveràin auroit encore d'autres reproches
à fe faire : car en détruifant une monnoie
dont il auroit hauflfé la valeur numéraire, fans en
changer la valeur intrinsèque, & en acquittant
fes engagemens de cette manière, il autoriferoic
l'univerfalité des débiteurs, à' en agir de même
envers leurs créanciers ; & l’infidélité du prince
deviendroit celle de la moitié des habitans du
royaume, envers l’autre moitié. Quel trouble !
quelle chaîne d’injuftices & de manquemens de
foi ! & c’eft -le protecteur de la sûreté publique
qui feroit le premier moteur d’un pareil défordre!
Les fuites n’en feroient pas même circonfcrites
dans les limites du royaume j les étrangers qui
! commercent avec la France, y feroient enveloppés
, 8c les uns gagneroient, les autres perdroient
à ce bouleverfement. Ceux q u i, à l’époque de la
variation des efpèces, feroient débiteurs des François
en livres tournois, s’acquitteroient avec une
•fomme d'or & d’argent beaucoup moins confidé-
râble j & ceux au contraire, pour le compte de
qui l'on auroit vendu des marchandifes à crédit,
ne réaliferoient qu’une partie de leurs créances.
Qui ne croiroit, au moins , que tant de maux
ont été produits pour enrichir le tréfor royal ?
c'étoit fans doute le but qu’on fe propofoit ; mais
on eft trompé dans fa combinaifon. Le prince, à
la vérité, diminue de moitié je poids de fes dettes
, lorfqu’ il fe permet de les acquitter avec une
monnoie dont il a doublé la valeur numéraire, fans