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que dans quelques endroits, on a afîîgnc à ces
monnoies , un cours fixe , autorifé par le fouve-
xain.
Il eft donc raifonnable de compter fur une dimi"
nution quelconque de numéraire 3 depuis 1716
jufques à nos jours ; mais j'ai voulu montrer feulement
, qu'on auroit tort de s'en former une idée
exagérée , je crois aller affez loin 3 en évaluant
cette diminution de trois à quatre cents millions.
Et fi cette fuppofion étoit jufte 3 il faudroit
eftimer le numéraire exiftant a&uellement dans le
royaume 3 à près de deux milliards deux cents millions.
Sur l'augmentation progrejjlve du numéraire en
France,
Tant qu'on n'apperçoit aucune circonftance qui
_puifle déranger fi-tôt la balance avantageufe du
commerce en faveur de la France 3 c ’eft par l'exemple
du paffé , qu'il faut affeoir des conje&ures
fur l'accroiffement progreffif du numéraire national.
Dirigeons donc nos premières recherches de
cette' maniéré.
Depuis le commencement de 1763 , jufques à
la fin de 1777 j efpace de quinze années , & qui
comprend toute la durée de la derniere paix , on
a fabriqué aux hôtels des monnoies de France,
pour fix cent foixante - quinze millions cinq cent
mille livres , d'efpeces d'or & d'argent.
Suppofonsque, fur cette fomme,foixante-quinze
millions & demi aient été diflipés , ou par la fonte,
ou par une difperfiorî dans les pays étranges , refilera
fix cent millions, fomme qui doit répréfienter
l ’augmentation réelle de numéraire , pendant les
quinze ans qu'on vient d'indiquer 5 ce qui fait ,
pour l’année commune, quarante millions.
On peut donc, en jugeant de l’avenir par le
paffé , eftimer à cette même fomme , l'augmentation
future du numéraire j & cette quantité ,
comparée à la maffe de deux milliards deux cents
millions , qui exiftent actuellement , formeroit
un accroiffement annuel , d'environ deux pour
cent.
C ’eft un grand fujet de réflexion que cette pro-
greflion continuelle du numéraire : on y voit le
motif, & du renchériffement du prix des chofes ,
& de l’augmentation naturelle du produit des'
impôts , & de l'accroiffement, en même tems,
de plufieurs dépenfes publiques , & de la diminution
enfin , de la .valeur des fortunes de tous les
fimples rentiers. A mefure , en effet, que l'or &
l'argent deviennent plus abondans , les productions
de la terre & de l’induftrie doivent hauffer
de prix 3 & l ’on apperceyroit, d'une maniéré bien
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plus fenfible , cet effet de l’augmentation du nu-
meraire , fi par des confédérations d'ordre public ,
la fagefie des fouverains ne tempéroit pas , en
diverfes circonfta-nces, l ’effor des fpéculations fur
les grains, ce qui arrête le progrès naturel du prix
de cette production 5 & comme la plupart des fa-
.laires fe proportionnent au cours des denrées de
neceffite , il arrive que le prix général des chofes
n'augmente pas en raifon exaCte de l'accroiffement
du numéraire,
Il faut d'ailleurs obferver , que fi dans cet inf-
tant l'augmentation annuelle des efpèces nationales
, eft à la maffe aâuelle de ces mentes efpèces
y dans une proportion de deux fur cent ,
cette proportion fera moins forte avec le -tems.
En effet, lorfque dans une vingtaine d’années , il
y aura , comme il eft probable, près de trois
milliards de numéraire en France , l’augmentation
annuelle , en la fuppofant toujours de quarante
millions, ne repréfentera plus qu’ un & demi pour
cent, delà maffe générale exiftante alors 5 & cette
meme proportion ne fera plus que d’un pour cent
dans cinquante ans , fi le numéraire fe trouve , à
cette époque , deux fois plus confidérjtble qu’au-
jourd’hui : enfin , plus la fomme générale des
efpèces nationales augmentera, & moins l’accroif-
fement annuel fera fenfible. Cette obfervation doit,
je crois , fixer l'attention de ceux qui s’arrête-
■ roient à préfager les effets avenirs de la progrelfion
annuelle du numéraire.
Je ne fais f i j en arrêtant fon attention fur l’ac-
croiffement du numécaire de la France , pendant
le cours^ de la précédente paix , on aura , comme
je l'ai éprouvé , la curiofité de découvrir le rapport
qui a pu exifter entre cet accroiffement &
l’augmentation du numéraire dans le refte d e l’Eu-
rope i mais cette recherche ayant quelque importance
, je vais halarder d'indiquer, à cet égard ,
le cours de mes idées.
On peut réunir des notions vraifemblables fur
la fomme d’or & d’argenr introduite en Europe a
pendant le cours de la derniere paix.
On peu évaluer d’affez près, la quantité de ces
métaux expédiés, pour les Indes, la Chine , le
levant, & les côtes de Barbarie,
Suppofant donc qu’on connût la fomme d'or
& d’argent arrivée en Europe , & la fomme qui
en eft fortie , on auroit la mefute des quantités
qui y font reliées ; & ces quantités une fois arbitrées
, fi l’on favoit la part obtenue par la France ,
on jugerait néceffairement de celle qui a dftappar-
tenir au refte de l'Europe.
Recherchons donc ces divers élémens.
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Il paroît, d’ après les enregiftremens , quf<!,e“
puis 1763 jufques en 1777 j on a reçu , tant a Ca
dix qu'à Lisbonne , environ feize cents millions de
métaux d’or & d’argent, expédiés des Indes occidentales.
Il faut ajouter à ce capital, les parties non en-
régiftrées qu’on a débarquées clandeftinement ; oc
perfonne ne peut en avoir de connoiffance exacte,
il vient de plus, chaque année, une petite
tité de poudre d’or , apportée des cotes d Arri-
que j enfin, les productions de quelques mines
d'argent, éparfes dans toute l ’Europe , augmentent
encore d’une autre maniéré, la fomme des
métaux précieux.
J'eftimerai de deux à trois cent millions , 1 efl-
femble de ces différens objets.
Les introductions d’or & d’argent , pendant
les quinze années de le derniere paix, compofe-
roient donc une fomme dedix-huit-cerit-cinquante
millions.
Mais tout ce capital n’ eft point reftéen Europe :
la France feule , foit pour fuffire à fon commerce
, foit pour fubvenir aux frais d'adminiftration ,
dans fes poffeflions au-delà du cap de Bonne-
Efpérance, a fait paffer près de cent millions en
piattres , tant aux Indes , qu’ à la Chine , & à
l'Ifle-de-France , pendant, le cours des quinze années
, dont on forme ici le calcul. Les autres nations
ont également fait des envois d’argent pour
leur. commerce à la Chine 3 & les tranfaCtions
des européens , au Levant & fur les côtes de Barbarie
, doffnent lieu à une modique exportation
de piaftres , de taleris & de monnoies d’or.
Je ne faurois indiquer, avec exactitude , la
fomme-d’or & d'argent que ces différens befoins
ont fait fortir de l’europe 3 mais je ne m'écarterai
gueres de la vérité , en évaluant cette exportation
à environ trois cent millions.
Que fi l ’on déduit cette fomme, des dix-huit-cent-
cinquante millions introduits en Europe, on trouvera
que l’augmentation des métaux précieux dans
cette partie du monde , a dû s’élever à quinze-
cent-cinquante millions , pendant l’efpace qui s’eft
écoulé depuis 1763 , jufqu’à la fin de 1777. |
Voyons maintenant quelle a été la part de la
France dans cet immenfe tréfor.
On a déjà vu que pendant le même intervalle
de tems , elle avoit augmenté fon numéraire de
fix cents millions y mais il faut- joindre à l'acquifi-
tion de ce capital, toutes les.fommes d'or & d’argent
qui ont été employées dans le royaume , foit
à l'augmentation du luxe national, en ouvrages
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riches de toute efpèce , foit uniquement au remplacement
de la partie de ces magnificences qui fe
diffipe par Je tems.
Il eft bien difficile de fe former une idée jufte à
cet égard : cependant d’après différentes notions ,
je ne crois pas courir le rifque d'une grande erreur,
en évaluant cette confommation des métaux précieux
, à dix millions par an , en tems de paix >
ce qui feroit, pour quinze années cent cinquante
millions. A in lf, depuis 1763 3 jufqu’ à la fin de
1 7 7 7 , le royaume paroîtroit avoir acquis fept-
cent cinquante millions d'or & d’argent, dont les
quatre cinquièmes auroient fervi à l’accroiffement
réel de fon numéraire.
Or , puifque la fomme de ces métaux accumulés
en Europe durant le même efpace de tems ,
s'eft élévée à quinze cent cinquante millions, il
s'enfuit que la part des autres Etats a dû être de
huit cent millions.
Et comme la fomme employée par ces diverfes
nations , à l'augmentation & à l ’entretien de
leur luxe en ouvrages riches , doit naturellement
être plus grande que celle qui a été employée en
France au même ufage , il eft probable que fur la
fomme de huit cent millions , dévolue à tous les
Etats de l’ Europe, la France exceptée, il n'y a eu
que fix cent millions deftinés à l’augmentation du
numéraire,
Ainfî , l'accroiffement du numéraire de la France
, pendant quinze ans , feroit égal à l'accroiffement
du numéraire des autres pays de l’Europe ,
durant le même intervalle.
L'on ne doit point conclure de ce rapprochement
, que la maffe générale du numéraire de la
France , foit dans une pareille proportion avec la
maffe générale du numéraire du refte de l'Europe :
car pour tirer une pareille indudion , il faudroit ,
qu'antérieurement à l'efpace de tems qu'on vient
de parcourir , la répartition de l'or & de l’argent
en Europe , eût été conftamment la même ; &
c ’eft ce qu'on ne peut point calculer. Mais j’ob-
ferverai feulement que fi la fubdivifion future de
ces métaux , étoit long tems telle qu’on vient de
la préjuger pour toute la durée de la derniere
paix , la différence de proportion qui pourroit
exifter dans le partage antérieur de ces métaux »
deviendroit imperceptible.
Sur les avantages ou les inconvéniens de 1‘abondance
du numéraire.
Le produit annuel des mines d'or ou d’argent a
& l’introdudion de ces métaux précieux en Europe
, font les premières fources de l’accroiffement.
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