
des finances , il ne fuffit pas de bien a g ir , il
faut encore éviter les fautes : l’occafion d’en
commettre fe préfente à chaque inftant; fouvent
même les premières en .entraînent d’autres, tant
la chaîne des erreurs eft facile à former, &■ tant
les intérêts particuliers veillent de près fur l'homme
public, pour l’ aider à s’égarer , & pour tirer
parti de fes méprifes.
L ’ordre, dans la diftribution du temps & de
-fes occupations , èft infiniment néceffaire à un
miniftre des finances ; car , fans cette attention,
il verra fes momens envahis indifcrettement ; &
s’il veut les regagner par de la précipitation, il
•pàffera rapidement d’ un objet à un autre ; il
s’agitera beaucoup , & il n’approfondira rien.
L’ordre r-dans l’enchaînement de fes.occupations.,
n’eft pas moins important ; il eft des affaires,
qui , liées à là même circonftance , ou foumifes
aux mêmes confédérations, exigent un double travail
, lorfqu’on défunit inutilement leur examen :
il en eft d’autres dont, après beaucoup de peines,
on ne faifit les rapports qu’ imparfaitementparce
qu’on n’ a pas encore établi les principes généraux
d’après léfquels on veut fe conduire.
L ’ordre eft au fouvenir & aux idées, ce qu’ eft
la difcipline dans les armées. L’ordre feul a le
pouvoir de rapprocher les objets ; c’eft la ligne
droite en affaires , & l’on pourroit la définir
comme la ligne en géométrie , la plus courte
entre deux points. C ’eft par pareffe & par
inertie, plutôt que par confiance dans les ta-
len s , qu’on rejette le fecourS' de l’ordre & de
la méthode. Quelquefois auffi l'on s’habitue à
méprifér l’un & l’autre, parce que les hommes
médiocres en font fufceptibles : mais tel qui les
développe dans un petit nombre de combinai-
fons, feroit fouvent incapable d’ un enchaînement
plus étendu J & peut-être que l’ordre, félon la
multitude & là' variété des objets auxquels il
s’applique, eft plutôt une conception qu’une fim-
ple méthode.
Si l’on raffemble un moment, dans fon efprit,
les détails immenfcs du chef de 1 adminiftration
des finances en France, on verra cette multitude
de revenus & de dépenfes , cette diverfité d’imp
ôts , cette bigarrure d’ufages, cette variété de
privilèges, cette incertitude dans les principes,
cette habitude.de toutes les exceptions qui tiennent
aux perfonnes; les prétentions différentes
de la cour, de la nobleffe , des gens de robbe ;
ces intérêts divers du commerce & de la finance ;
ces befoins , enfin, d’ un peuple immenfe , entouré
de toute part parles lacs de l’impôt ; enfin ,
ces rapports continuels du tréfor royal avec toutes
les branches du gouvernement.
Qu’après avoir confidéré quelques inftans ce
tourbillon, que tant de circonftances imprévues
rendent encore plus confus , on arrête fes regards
fur la puiffance commune d’un feul homme,
comparée à une fi vafte furveillance & à une adminiftration
fi compliquée : certainement -3 ce
dont on ferà le plus frappé, c’ eft de l’infuffifance
de l’inftiument pour un fi grand ouvrage.
Mais, puifque telle eft la nature des chofes,
il faut qu’ un adminiftrateur , continuellement
frappé de la difproportion qui exifte entre fes
forces & 1a tâche, étende au moins fes facultés
par tous les moyens qui font en fon pouvoir ;
-& le premier de tous, c'eft l'économie du temps.
Les diflîpations, les plaifirs , n’appartiennent
plus à l’homme public ; il faùt qu’il joigne le
travail au travail, la penfée. à la penfée, & que
le repos néceffaire au renouvellement de fés
forces, fixe la durée de fes diftraélions. Mais,
pour être économe du temps , il ne fuffit pas ,
cependant, de fe dévouer en entier aux devoirs
de fa place , il faut encore s’y appliquer avec
art & méthode , fi l’on veut tenir cette chaîne
générale, que l’adminiftrateur des finances doit
fentir continuellement dans fes mains , s’il ne
veut pas fe métamorphofer luhmême dans un
agent aveugle , & qui ne peut appliquer fa force
qu’aux objets dont il s’approche.
Le premier des confeils qu’on doit donner
à tous les adminiftrateurs des finances, dont les
occupations feront toujours néceffairemént au-
deffus de leurs moyens , c’ eft de ne faire jamais
ce que d’autres peuvent exécuter, ou auffi bien
qu’eux , ou feulement d’une manière fufïîfante.
Les idées de perfection deviennent une penfée
tyrannique , lorfqu’elles dégénèrent dans une
inquiétude minutieufe , & cet efprit ne peut ja»
mais dominer le chef d’une grande adminiftration
, qu’aux dépens d’une attention plus générale
& plus effentielle C e n’eft pas qu’il foit
permis de fe montrer indifférent aux détails ; mais
c’eft bien moins par fon propre travail, que par
le choix intelligent de fes féconds, qu’un ministre
peut remplir cette partie de fon département.
Les hommes propres à être d’excellens premiers
commis font infiniment rares , & ce feroit une
erreur de. penfer qu’on peut fuppléer par le nombre
à la qualité.
La trop grande divifion des départemens ,
occafionne au miniftre une véritable perte de
temps, & ces divifions, qui n’ont lieu que pour
obliger plus de perfonnes , font abfolument contraires
aux principes d’une fage adminiftration.
L es difficultés font bien plus grandes , & la
perte de temps plus copfidérable encore, lo rs que
les chefs de département, dont un miniftre
a fait choix , font d’un état fupérieur à celui
dés premiers commis. 11 n’eft point de prétention
, qui ne prenne un petit efpace : bn ouvre
fon porte-feuille , on étale fes papiers avec plus
de nobleffe & de lenteur; on deftine quelques
momens aux complimens ou aux difcours de
fociété , qui donnent l’air des ufages ou d un
rapprochement entre des perfonnes. Enfin le
rapport des affairer, commence, le miniftre gene
par plus d’égards , a beaucoup de peine à fé
garantir , & des explications fuperflues, & des
diverfions par lefquelles on échappe à ce qu on
ne fait pas , & de l’adreffe qu’on employé pour
développer , non l’efprit néceffaire à la chofe
que l’on traite , mais celui dont, par occafion,
on eft bien aife de faire preuve.
C ’eft, pour ainfî dire , dès les premiers jours,
qu’ iin adminiftrateur des finances apperçoit la
difproportion de fa tâche avec la mefure de fes
forces } car il ne tarde pas à reconnoître , qu’ il
ne içauroit lire ni tous les mémoires qui lui
font adreffés, ni toutes les lettres qui lui font
écrites, ni même quelquefois toutes celles qu’ il
figne. 11 faut donc qu’il fupplée, avec intelligence
, aux facrifices que lui impofent & les
limites du temps, & les bornes de fes facultés.
I l faut donc qu’il adopte une méthode , à l’aide
de laquelle il puiffe difcerner aifément, ce qui
exige de fa part une attention détaillée, & ce
dont il lui fuffit de faifir l’objet principal ; c e ,
qu’il doit connoître par lui-même, & ce qu’il
peut confier à l’examen des perfonnes dont il
a éprouvé le cara&ère & le jugement.
Mais le plus sûr, le plus grand moyen d’ é-
conomifer le temps , c’ eft d’oppofer des principes
généraux aux follicitations injuftes , aux
demandes indiferètes, & de ne s’ en écarter jamais.
C e font les exceptions qui obligent un
miniftre à foutenir thèfe , contre ceux qui argumentent
de ces exceptions, pour en obtenir/
de pareilles* Ils ont alors à lui parler de tout
ce qui leur eft dû , eh raifon de ce qu’on a
fait pour tel autre ; & le miniftre , afin de diffi-
muler fes prédilections , eft obligé d’écouter,
avec patience , tous Jes détails les plus indif-
férens aux affaires publiques : les païens, les amis,
les protecteurs à la cou r, exigent bien plus de
complaifance encore, & le jour fe paffe à jouer
le rôle d’un particulier en crédit, au lieu de
remplir les devoirs de miniftre.. .
C e qui doit vraiment affliger , c’eft que telle
eft l’immenfité des affaires, tel eft le mouvement
rapide qui en preffe le cours, qu’on ne peut jamais
fauver affez d’inftans pour s’inftruire & pour
réfléchir ; & cependant les jours entiers ne .fe-
roierrt pas trop longs pour étmdier tous les abus ,
& pour préparer les plans de réforme.
Soyez donc économes du temps, vous qui en
connoiffez l’importance. Oh ! qu’il a de prix a
ce temps, pour un adminiftrateur des finances,
s’il contemple l’étendue de fes devoirs , & les:
bornes de fes facultés. Oh ! qu’il a de prix ce
temps, pour celui qui eft à portée défaire prefque
à- chaque inftant quelque bien ! Le temps doit fe
préfenter alors à fa réflexion , cotrujie avec une,
forte de Sainteté; & s’il eft profondément fen-
fible, cette idée le fuivra fans ceffe-, ou pour
lui donner des jouiffances , ou pour le tourmenter
de regrets.
Il faut encore mettre la fageffe au rang des
qualités les plus diftinguées de l’efprit d’admi-
niftration ; & c ’eft en n’en faifant qu’une vertu,
de tempérance ou de caraClère , qu’on lui ravit;
une partie de l’hommage qui lui appartient. C ’eft .
cette fageffe qui fixe le point auquel les idées,
les. plus, falutaires commencent à fe dénaturer
c’eft elle qui indique le moment où il faut agir,
& celui où il faut s’arrêter : lente & circonfpe&e
dan?fa marche . c’ eft à prévenir les fautes qu’elle
s’applique effentiellement > elle a l’oeil ouvert fur
les dangers, & , elle pofe des barrières fur le
bord des précipices : fes triomphes font obfcurs ,
parce qu’elle ne fe place point en dehors ; elle,
n’a p oint, comme le. génie, la tête ceinte de-
lauriers; mais, ce n’ eft qu’avec fon fecours, qu’on
peut efpérer d’en recueillir.
C ’e ft, fur-tout , lorfqu’on entre dans la carrière
de l ’adminiftration , dénué des foutiens ordinaires,
& même avec des préjugés à combattre,
que la fageffe eft néceffaire. 11 n’eft pas permis
de faire, des fautes , à celui qui n’a pour appui
que fa conduite J à celui qui d oit, pour ainfi dire ,
forger lui-même fes armes , & élever de fes mains 9
le rempart qui doit lui fervir de défenfe.
Combien n’eft-il pas de difficultés pour un
adminiftrateur qui n’a qu’une fécondé, puiffance ?
Il en eft dans les chofes; il en eft dansée ca-
ra&ére des hommes qui doivent le protéger &
le foutenir ; il en eft dans leurs difpofitioris ; il
en eft que le public apperçoit , mais un plus
grand nombre encore qu’il ignore, & dont on-
ne peut jamais l’inftruire.
Il faut favoir furmonter le genre d’obftacles ;
il faut favoir diftinguer les momens qui conviennent
à la fermeté,•& ceux où la patience & le
ménagement font néceffaires. C ’eft la fageffe
encore qui tempère l’a&ivité dangereufe d’un adminiftrateur
, en Taftreignant à régler l’ordre &
lafucceffion de fes opérations; de manière qu’elles
s’ entre-aident & fe fortifient réciproquement.
Plufieurs de ces opérations ne paroîtroient qu’ une
hardieffe imprudente , fi elles n’étoient pas précédées
par d’autres , propres à préparer la confiance
, & chacune a peut être befpin d’un certain
moment pour réuffir : cette attention, cependant,
eft peu fenue, parce que c’eft un genre