
ÎS M A I
de l’autorité , vers l'objet qui procure une vente
plus prompte & plus facile.
II arrivera néceffairement que les marchandifes
qu’on fabriquera fans réglement, feront bonnes
ou mauvaïfes pour la confommation. Si elles font
bonnes, la loi eft inutile ; fi elles font mauvaifes,
elles tomberont par le défaut de débit. La loi
n’eft donc plus nécedaire-: on ne s’obftine pas
longtemps à faire ce qui ne fe vend pas. Ainli
l ’intérêt, .'mieux que tout réglement, invitera à
fabriquer ce qui fe v e n d ,.& tout l’objet fera
rempli pour l’avantage d e l’Etat.
Ceci fert de réponfe àTobjeétion qu’on peut
faire., que la médiocrité de la qualité , fi on.
!aifle le fabricant libre, décréditera nos:fabriques.
Ne doit-on pas convenir que le fabricant fera
întéreffé à faire, la qualité qui lui procurera plus
de vente, il fera ce qui convient à la plus grande
confommation, & par conféquent ce que l’ Etat
doit délirer qu’il fade ? Nous prions encore ceux
qui font cette objection , de conlidérer que la
mévente vient moins du défaut dç perfection positive
, que du peu de rapport de la qualité d’une
é toffe, avec le goût du confommateur, ou, plus
encore du peu de proportion de fon prix avec
celui que, le confommateur exige. Comme nos
réglemens ne poiivoient pas llatuer fur le p r ix ,
ils ne pouvoient pas non plus ordonner une perfection
invariable.
La loi que l’on feroit a l’égard, du prix , ne
feroit pas plus fage que l ’ordonnance de Louis X I I ,
q u i, attribuant l'augmentation des draps , au trop
haut prix de l’intérêt, au lieu d’en diminuer le
»aux, fixa la valeur des draps. Nos réglemens
Je nos corps de métiers caufent ici le même préjudice
j ils fixent la marchandife à la même perfection
, & à la même forme, & par conféquent
au même prix. Il faut donc remédier aux maî-
trifés , & aux réglemens., comme on auroit dû
remédier au taux cfu prêt. Ils portent dans ce
cas nos marchandifes à une valeur trop haute pour
la concurrence. On pôurroir même affurer que
leur fuppreflion procureroit la perfection relative,
la feule qu’on doit délirer.
L e fabricant, maître alors de faire aufli mal
qu’ il voudrojt, n’ignoreroit pas que fes concur-
.rens ont la même liberté : il.ne lui refleroit d’autre
reffource, pour s’attirer la préférence , que de
trouver dans fon économie & dans Ton induftrie,
les moyens de perfectionner au plus bas prixpof-
fible. Il n’auroit pas , comme aujourd’hui , un
degré fixe de bonté qu’ il ne veut jamais paffer,
& en deçà duquel il s’ arrête toujours, dans i’ef-
pérance que fes fautes^feront ignorées ou tolérées
par l ’indulgence ,où par la ^faveur. Enfin,
/’intérêt la concurrence, Jes deux agens les 1
plus puiffans du commerce, font plus efficaces
M A I
que l’infpeCtion & les réglemens. On ctoit donc
devoir conclure que le légiflateur ne pouvoit pas
plus ordonner fur la perfection , la forme & la
qualité , que fur le prix, la couleur , le deflin .,
l’efpèce même. C e font des objets que la vente
feule doit diriger. En vain M. Colbert invite ,
dans l ’article X X V I I des inftruCtions qu’ il donne.
aux infpeCteurs , les fabricans à travailler en drap
plutôt qu’en droguer,, parce-que, dit-il, la mode
des droguets venant à changer, ils Te trouveront
fans travail, & auront perdu Thabitude des draps.
C e n’eft. point,? l’autorité à ordonner quelle ef-
pècé on doit fabriquer : le fabricant, plus éclairé
par fon intérêt que par la] loi-, fera toujours ce
que la vente lui commande & lui preferit.
Nos réglemens caufent des maux plus funeftes
encore à l'induilrie, foit dans l’imitation , foit
dans l ’invention des manufactures.
Nos rivaux nous enlèvent tous les jours la préférence
, par une fécondité prefque inépuifable
d’inventions nouvelles. Il feroit, fans doute, à
délirer que nous fu(fions aufli féconds & aufli
inventifs , ou au moins .que nous puffions les
imiter le plus promptement poffible ; mais notre
légiflation s’oppofe à. ce double avantage.
Suppofons qu’un ouvrier François imite où
invente une fabrique inconnue; nos réglemens,
qui n’ont ftatué'que fur ce qui exilloit alors ,
ne l ’ont ni prévu, ni pu prévoir. Cet ouvrier doit
s’ attendre à l’oppofition de fes copcurreris jaloux.
Ils prendront le règlement pour prétexte
, & le peindront comme un novateur ,
"comme un homme hors de la loi , qui fait
ce qu’elle n’ordonne pas. Ils là feront fervir
d’obfiacle à fès talens. Sa confiance obtiendra
fans- doute que fes épreuves foient fou. mi.fes. à
l’examen de l'infpeCteur > ce juge, dépourvu de
l’intelligence néceffaire dans cette circonftance,
ne pourra porter,qu’un jugement imparfait. Il
en fera cependant au confeil un rapport avantageux
ou défavorable : fi fon avis eft contraire,
lés efforts du fabricant feront perdus pour lui-
même & pour l’Etat. Comment ce citoyen in-
duftrieux pourra-t-il, du fond de la province ,
fe faire entendre dans la capitale? Sa voix pourra-
t-elle percer jufqu’au confeil du commerce ?
Si TinfpeCteur donne un avis favorable , le
fabricant ne fera guère plus heureux. Le confeil
confultera les infpeCteurs généraux. La plupart
fixés à Paris, font-ils înftruits de l’état aCtuel
du commerce, des changemens qu’il exige dans
les fabriques? Ils ne connoiffent de celles-ci.que
.les réglemens & les mémoires , foibles guides
pour les éclairer fur ce que les circpnftances
demandent. L’avis paffera à. M. le contrôleur
générai : çe.miniftre, toujours furchargé, & fou-
vent occupé d’objets, plus preffans , fera une ré-
M A I '
rpoflfc tatdiVe; cette réponfe paffefâ au
du commerce : peut-être du confeil a intend ant,
& de l'intendant à l'infpeâeur. Quelle marche.
quelle lenteur, & qu’elle eft peu propre a favo-
rifer la célérité des opérations de 1 înqultrie 3 qu
ne peuvent être ni trop vives ni, trop prompte? •
L o u v rk r cependant fera des efforts, craignapt
de n'être pas entendu par des mémoires ; : e
tranfportera à Paris, pour folliciter la permt ion
d'être utile au commerce de fa patrie. U achètera
ce privilège par de longues & pénibles démarchés.
Son extérieur fimple, fon maintien modeite a
craintif; Ton élocution embarraffée ; fes mains
portant peut-être encore les marqués Je fon in-
jduftrie y fiigmates ignobles aux yeux de l'opulence ,
ne l'annonceront pas avantageusement. Il parviendra
cependant jufqu’à l’oreille de fon juge;
celui-ci l ’écoutera avec bonté, louera fes efforts,
& encouragera. Tes talens. M a is , quel préjudice
ces longueurs & ces démarches n’apporfent-elles
pas aux progrès de l’induftrie ?
i c . Il y. a peu d’ouvriers qui puiffent faire
des avances aufli confidérables ; ils ovnt plus de
talens que de fortune. §
z°. Le fabricant eft obligé de prélever ces dépendes
fur le prix de ce qu’il invente ou qu’il
imite : l'augmentation du prix eft un grand obftacle
dans le commencement ae l’établiffement d’une
manufacture; la confommation en eft beaucoup
moins grande. p
•3°. Le retard eft le plus grand dommage qu’on
puiffe càufer à l’efprit imitateur , & Limitation
n’eft utile qu’autant qu’elle eft prompte ffe rapide :
peut-être que dans l’inftant q ue 1e fabricant obtient,
î ’inftant de la mode eft déjà pafle. v
4°. Tous ces ^obftacles caufent un double
préjudice pour la concurrence avec nos voifins,
qui font libres, '& qui n’ont que la confom-
mation & le befoin pour règle.
Si nous inventons , ils nous imitent dans le
moment ÿ & partagent le fruit de nos découvertes.
S’ils inventent, nous ne pouvons les imiter aflez
promptement, lis jouiffent de tout le bénéfice de
de leurs inventions ; & quand nous fommes parvenus
à les imiter, ils ont déjà fubftitué une
nouvelle pratique qui les dédommage du bénéfice
que nous partageons avec eux fur les autres
objets.
Le commerce des Suiffes eft une preuve de
ce que nous avançons. Depuis longtemps ils s’occupent
à nous imiter. A peine avons^ious inventé
, qu’ils exécutent ce que nous faifons * en
moindre qualité, il eft- vrai ; mais à bien plus,
bas prfx : ils trouvent par-là , le moyen de nous
inonder de leurs ouvrages, qui nous tentent par
la modicité du prix-
M A I « » 7
Ofine doit doncpas s'étonner, fi nous fommes
prefque toujours devancés par nos rivaux , quoi-
qu’ils n’,aient peut être pas reçu un efprit aufti
a d i f& aufli inventeur. Ont-ilsJes^ mêmes difficultés
à vaincre, les mêmes dégoûts a emiyer,
les mêmes barrières, à franchir ? Notre légiflation
s’oppose à la nature , la leur 1 anime & la provoque.
Combien d’induftrie étouffée I Combien
d’imitations retardées ! Combien d’inventions perdues
par les entraves dans lefquellcs nous avons
enchaîné les talens !
Les infpe&eurs n’ont multiplié les réglemens
que pour multiplier les contraventions & pou^
étendre leur empire. Le confeil, accoutumé a
voir des manufa&ures , par le tableau infidèle
qu’ils tracent à . fes yeux , ne jugé de 1 utilité des
infpeéteurs que par le nombre des infractions
qu’ils expofent : leur intérêt les engage a les multiplier.
Féconds en procès-verbaux inutiles , &
ltériles en opérations héceffaires , ils peignent
fans cefiTe le marchand & le fabricant, qui font
forcés de fe conformer àla confommation, comme
des rébelles qui n’ont d’autre but que de s’-affran-
chir de la loi. Sous ces fatiffes couleurs^, ceux-
ci paroiffent coupables par l’endroit même qui
les rend utiles à la patrie. Retranchés dans l’inflexibilité
des réglemens , les infpeéteurs captivent
l’induftrie, découragent les efforts, coupent les
aîles au génie.
Nous fçavons qu’ il en eft qui font conduits
- par des vues utiles & par l’amour du bien public :
nous faifons avec plaifir cet aveu , & nous leur
rendons toute la juftice qu’ ils méritent. M a is ,
quelles font les lumières, quelle eft l’expérience
du plus grand nombre de ces hommes commis
pour diriger nos manufactures ? La plupart font
tirés d’un état éloigné de toute idée de commerce.
Les uns font élevés à ces places importantes
dans .notre adminiftration aétuelle , par les mains
de la . faveur, qui donne les emplois , mais qui
né donne pas l'intelligence. Les autres , le croi-
roit-ôn , n’ayant pu commercer fans déshonneur ,
ont cru la*ver, par cette commiffion, l’opprobre
dont ils avoient été flétris. VoiLi les guides ,
voilà le flambeau qu’on donne au fabricant pour
l’éclairer. Ces arbitres de la perfeétion de nos
manufaâures , connoiflent-ils les diverfes pratiques
de la main-d’oeuvre , les différentes opérations
de l’ouvrier ? Suivent-ils la méchanique
des inftrumens, des métiers? Quelle feroit leur
meilleure forme , leur ftru&ure la plus parfaits
pour économifer le .travail des hommes ? Con-
. noiffent-ils la meilleure conftruçlion des fouleries,
le temps que le foulon doit y donner, la quantité ,
la qualité d’eau, la meilleure terre qu’il doit employer
? Connoiffent ils l’art des teintures , de^s
apprêts , des blanchiffages > 8cc. ? Leur doit-
on « fur ces objets', des1 idées neuves de pcj.tedii.on
D 1