dans une tnêmô profeflîon , plus ils font maîtres
.d’impofer des conditions dures à celui qui a befoin
de, leurs ouvrages. On ne peut empêcher ce monopole
, que lorfque le confommateur pourra
choifir entre le plus grand nombre d’ouvriers du
même art. Cette poflibilité du choix lai fie la
liberté à l’acheteur de comparer & de s’adreffer
à celui qui met Ton travail à plus bas prix.
L ’ouvrier lui-même , inftriiit de la préférence
qu’on veut donner à un autre, fe relâche de fes
prétentions' &: fe contente d’un .gain plus modique.
C-’eft l'effet de la concurrence, le principe
le plus' étendu & le plus fécond du commerce
j onne;fauroit trop lui donner d’âélivité j
tout privilège! èxçlufif s’oppofe à l’avantage qu’il
peut prbcuret 5 mais les corps de métiers font
réellement 'autant de privilèges exelufiffr qui limitent
le nombre des ouvriers j ils font donc
contraires au principe qui opère le plus b^s prix.
On peut s’çn convaincre par les plaintes même
des communautés. Depuis que le luxe a multiplie
nos befoiris , que nos modes'& nos goûts J
adoptés dansprefqüe toutes les cours de l ’Europe,
ont'augmente l’exportation , la portion des hommes
deftinés à cet emploi, eft multipliée ; les
arts font répandus dans un plus, grand nombre
de mains i le 'bénéfice,, en fe partageant ? eft
diminué. On entend tous les jours fe plaindre
qu’on ne fait plus dans le commerce les grandes
fortunes qu’on y faifoit, lorfqu’il étoit entre les
mains de peu de, négocians. On entend déclamer
.contre le trop grand nombre de marchands 8c
d’artifa.ns, fur-tout contre ceux qui fe bornent
à un gain modique. Te l eft le langage de l ’intérêt
particulier , & du défir de faire une fortune
prompte & rapide. 11 eft vrai que plus il y a
de concurrens , plus le gain du particulier fe
partage & diminue. Outre que cette diminution
rend à nous obtenir la préférence fur nos rivaux,
8c à multiplier nos ventes , il importe plus , à
la république , que le commerce compte cent
maifons ailées, que dix maifons opulentes. Ces
cent maifons, qui gagnerontj chacune annuellement
trois à quatre mille livres, fçront plus de
confommation, élever'ont plus :dè citoyens ÿ feront
d’une plus grande reffource dans les befoins
preflans de l’E ta t, que dix maifons de trente
mille livres de rente.
Les corporations noiis offrent .d’autres raifpns
d ’une augmentation foJCée du prix .des marc^an-
difes. Les ouvriers occupés à les fab r iq u e ra i
les teindre & à'leur donner l ’apprêt', Tès marchands
qui les achètent & les exportent , ont
obtenu ce privilège, Toit en confacrantn fe p t ,
jnfqu’à dix ans de leur travail pour lés.maîtres j
foit en débourfant des foihnies confidèrables; pour
la maîtrife ou les charges des communautés. C e t
ouvrier » çe marchand ne peut fe dédcritiriiager de
les dqpenfes qu’en augmentant le falaire de-fon
travail. Il les prélève fur fon induftrie , & fe
revanche réellement fur le confommateur. Si les
ftaîs qu’il a payés pour fon privilège, au lieu
d etre prodigués à des pratiques inutiles, croient
employés à la Conftrudtion des inftrumens, des
métiers & dçs'uftenfiles néceffaires à fa profeE*
lion. Si ces fommesj reftoient entre fes mains ,
! comme un capital utile à l ’achat de fes matières *
8c comme un fonds delliné à fon commerce,
il pourroit travailler & vendre:a meilleur marché,
& ne pas impofer une loi li pefante aux nation-
naux & aux étrangers qui emploient fon induftrie.
Cette augmentation fe répète 8c fe multiplie
für le même objet, par la fubdivifion prefqù'in-
finie des corps de métiers. Suppofons. qu’une
- étoffe, avant d’arriver à fa perfection , palfe né-
celfairement par les mains de cinq ou fix corps ,
qui ont le privilège de faire fur cette. marchan-
dife telle opération j il eft certain que chaque
corps aura impofé fur cette étoffe une augmentation
de prix j que ces cinq ou fix augmentations ,
fi modiques qu’on les fuppofe , feroient, en
fomme , une augmentation confidérable. C ’eft:
ainfi que nous n’avons pas apperçu le tort que
les corps de métiers font à la concurrence, &
à la balance, du commerce, dans lequel il n’y a
point de petite économie. C ’eft ainfi que nos
voifins , affranchis de cette multiplicité d’impôts
& d’exclufions, obtiennent la préférence , en
flattant l’utilité du cbhfommateur. C e que nous
difons n’eft point imaginaire : jettons les yeux
fur la plupart de nos manufactures', & pous
verrons que dans les villes où les corporations
font établies, plufieurs de nos étoffes paffent,
avant l ’exportation , par l ’impôt de cinq ou fix.
communautés. On peut comparer le prix de ces
ouvrages avec celui .des marchand!fes faites dans,
des lieux francs , & fe convaincre de la différence.
C ’eft donc attaquer direét.erçient le prin-.
cipe qui donne le plus d’aélivité & d’ étendue
au commerce , c’eft à-dire la ’modicité du prix«
Le bon marché eft l ’arme, la. plus formidable
avec laquelie;on. puiflfe combattre les efforts de
nos rivaux 5 Je confommateur ne réfifte pas à cet
attrait. Levons donc tous les obftacles qui s’op-
poCent à sla fécondité de.çe: principe. Cés obftacles
font d^augant plus grands, qu’ils font refpecr
tables. 8ç qu’ils.Iportent le fçe^u. de l ’autorité.
Un les rencpntre dans les droits que nous
leyons pour le paffage de nos denrées d ’une pro-^
vince a J’autre, comme fi la France étoit étrangère.
au milieu de fon fein même, de forte qu’une
marefyapdife, par les divers droits qu’elle acquitte
f fe. trouve , fur nos frontières, augmçnçéç
dé‘ cinq 8c quelquefois de Tirait ou dix pou*;
cent..
On trouve ces obftacles dans le haut prix de
l ’intérêt de l’argent , relativement à celui des
Etats, voifins j la progreflion de cette différence ,
foumife au calcul, eftimmenfe & prefqu’incroya-
ble j l’induftrie en fouffre tout le dommage. On
les trouve encore dans les:ft'atuts pour la police
des corps de métiers ,; qui augmentent, comme
nous venons de le voir > le prix de nos ouvrages ',
& dans les réglemens qu’on a donnés aux communautés
, pour la qualité, largeur 8c perfection
des marchandifes,
I Quand on a lu l’immenfe recueil de ces ré-
glemens * voici rimpreffion que ce long & pénible
travail laiffe dans l’efprit du leCteur fatigué.
II compare cette énorme collection à une édifice
fans proportion, dont toutes les parties ont été
conftruites en détail, dépendamment des temps,
de l’opinion, des circonftances : ceux qui les ont
faits n’appercevoient que le côté qu’ils bâtiflbient,
fans confidérer la liaifon qu’il devoir avoir avec
l ’enfemble. On conftiuifoit, félon le befoin , on
oétruifoit de même. On y réconnoît la touche
& la manière dés infpeCteurs , q u i, depuis c in - .
quante ans, n’ont fait dès réglemens que par état
& pour paroître nécelfaires^ Ils font parris d’un
principe qui prouve inconteftablement que ce
fie font pas des commerçans qui les ont faits ,
mais des hommes qui manquaient des connoif-
fànces & de l’expérience que l ’on n’acquiert que
par la pratique & une longue habitude du commerce,
De-là cette cpntradiCrion manifefte qu’on
y reriçontre.
II eft vrai qiie M. Colbert a confulté les négocians
les plus célèbres, pour drefler les réglemens
què nous devons à ce protecteur des arts
& du commerce. Cependant, quoiqu’ils foient
bien ^pluis parfaits que ceux qu’on a faits depuis,
on ,n*y trouve Pas cett€ unité de vue , ce fil
fyftématique de principes qu’on y défireroit : ce
défaut vient de ce que ceux , dbnt il a pris les
avis , ne pouvoient tfaiter que des parties fépa-
rees , que des branches à p a r t, 8c ne diflertoient
que fur la partie du tout qui étoit fous leurs
_yeux ; aufli étrangers pour les autres objets ,
que familiers avec ceux qu’ils traitoient, ils ne
voyoient l’enfemble que fous une feule face.
On devoit voir l ’objet plus en grand, en rapprocher
les différens rapports , en compofer un
corps qui put fayorifer la marche de l’induftrre,
püifer dans fa nature même, le mobile qui l’a-
njme , 1 aiguillonne , la propage & lui donne la
vie.
Ufalloit rapporter à un plan général les divers
matériaux que les obfervations particulières
avoient amanes j c’eft ce qu’on n’a pas fait. Les
parties onp été favamment traitées féparément ;
fiiafs on n’appe^oic aucune liaifon qui les dirige \
’ à^Un cen tre, à un point unique. Le fyftême
pèche par fq§ fondemens même y 8c ne s’eft fou-
tenu que parce qu’on a dérogé aux régies qui
l ’ont élevé : efpèce de paradoxe qu’ il fera aifé
de dévolopper, en faifartt voir 'combien on s’eft
trompé dans les' principes.
On a fuppofé gratuitement, dans tous ces réglemens
, que le fabricant & le marchand n’a-
voient d’autre but que de tromper, d’autre intérêt
que d ’être fripons. Nos ordonnances partant
de cette conviction, ne tendent qu’ à empêcher
la fraude. Toute leur fonction fe borne
a donner des régies pour la qualité de tels ouvrages,
8c a infliger des peines & des amendes contre
ceux qui y contreviendront. V o ilà , en deux mots,
l’efprit de toutes nos ordonnances.
En conféquence on a répandu dans les fabriques
, des infpeCteurs, pour veiller à l'exécution
de ces reglemens. On les a même chargés d’employer
à cet effet la rigueur & la fêvérité.
Voici les propres termes de M. C o lb e r t, art. î
IX , des inltruCtiôns 'qu’il donne aux infpeCteurs.
Il leut enjoint de tenir'/es jurés dans leur devoir 3
& d imprimer la crainte dans l ’efprit des ouvriers
& des façonniers. Nous ne nous arrêterons pas
> a remarquer que cet article étoit inutile pour des
hommes toujours trop portés à appéfantirle poids
de l’autorité : nous nous conténterons de confi-
derer, qu’on devoit puifer les principes de nos
Joix, dans la nature même du commerce, & qu’on
s’en eft écarté.
En effet, loin que le fabricant 8c le marchand
foient conduits par l’envie de tromper, comme on
le fuppofe, il faut qu’on ait conçu une bien faillie
idee des reflbrtsqui foutiennentle commerce, fi
on n elt pas perfuadéque la bonne foi en eft l ’ame’*
la bafe àc J ’agent le plus aCtif.
Le commerce peut-il fubfifter fans le crédit, le
.crédit fans la. confiance, la confiance fans la bonne
.vQ uel el* <*ans tous les temps l’état d’ un homme
qui tait le commerce ? Le voici. 11 eft pofTeffeur
d’ un bien qui n’eft pas entre fes mains, d’un bien .
qui circule dans celles de fes correfpondans, pref-.:
que toujours fur leur fimple parole 5 d’un bien qui
ne rentre chez, lui que pour en fortir avec la même
facilité.
Si un négociant ne peut étendre fes correfpon-
dances , afïurer fon crédit, qu’autant qu’il a de la
bonne fo ij fi fon intérêt l’oblige même plus que
tout autre fujet à en avoir, il falloir que la loi lui
en fupposât.
D ’ un autre cô té , s’ il eft vrai que tous les efforts
du fabricant ou du marchand tendent à augmenter
fon capital, il n’eft pas moins vrai que ce n’eft
pas par un gain illicite & momentané qu’ils peuvent
paryepir à une fortune folide & confiante ,