«34 T A B
& on le range, avec raifon , dans la claffe des
habiles inventions fifcales > cependant, Ton peut
reprocher à ceux qui l’ont imaginé, ou plutôt
aux circonftances qui* l'ont rendu nécenaire ,
la néceffité où s’eft trouvé le gouvernement, de
profcrire Ja culture du tabac dans toutes les parties
du royaume, aflujetties au privilège exclufif
de la régie royale ; car plufieurs terreins étoient,
les uns favorables, les autres uniquement propres
. à cette efpèce de production.
Cependant, fi la culture du tabac n’avoit pas»
été Interdite, le royaume eût gagné ce qu’il dé-
penfe aujourd’hui pour s’approvifionner de cette
denrée dans les pays étrangers. Les achats de
tabac y pendant le cours de la dernière paix , fe
font montés à environ fix millions par année ;
mais ces achats repréfentent feulement les appro-
vifionnemens de la ferme générale , il faut y joindre
encore ceux des provinces affranchies du privilège
exclufif, & les verfemens furtifs des contrebandiers.
La dépenfe de la ferme générale a plus que
doublé pendant quelques années de la guerre,
non-feulement à caufe de la haulfe furvenue dans
le prix de la denrée , mais auffi parce que cette
cherté , en diminuant l’aétion de la contrebande ,
a donné plus d’étendue aux ventes de la ferme.
L e fouverain, en permettant la libre culture
du tabac dans fon royaume, ne feroit pas obligé ,
.fans doute, de renoncer à toute efpèce de revenu
fur la production de cette denrée 5 mais
le tribut que le cultivateur feroit obligé de payer,
avant d’avoir été rembourfé de fes avances, ne
pourroit jamais égaler le bénéfice que le roi tire
d’une ferme, dont lés recouvremens n’ont lieu
.qu’ à mefure des confommations.
Cependant, dès que les tabacs cultivés dans
le royaume , fe trouveroient renchéris par un
impôt confidérable , il faudroit, pour én favo-
lifer le débit, mettre un droit encore plus fort
à l’introdüCtion du tabac étranger j mais cette
précaution feroit infuffifante î car ce n’elt qu’avec
Je fecours du privilège exclufif dont la régie royale
efl en pofleffion , qu’elle peut réfilter aux efforts
des fraudeurs, & foutenir le prix du tabac dans
une fi grande difproportion avec fa valeur réelle.
Suppofons maintenant qu’on voulût allier la
libre culture de cette denrée avec le privilège
exclufif de la vente, entre les mains du fouve- •
rain ; il faudroit imaginer des înquifitions bien
extraordinaires , pour fe rendre maître des productions
de chaque terroir , & pour empêcher
l ’exercice habituel d’une fraude , encore plus
difficile à prévenir que celle dont il faut fe défendre
aujourd’hui.
Enfin , fi l’on a interdit la culture du tabac {
T A B
dans un têtus où le produit de la vente exclufive
étoit infiniment modique , & dans un tems encore
où , pour fatisfaire aux befoins du royaume,
il falloit recourir à une nation, tantôt rivale> ôc
tantôt ennemie de la France j on ne peut pas
raifonnablement attendre que la liberté de la culture
foit rétablie , à l’époque où la ferme • du
tabac rapporte au fouverain près de trente millions
, & lorfque c’eft avec une nation alliée du
r o i, qu’on peut traiter des approvifionnemens
néce flaires.
Il y a dans toutes les affaires publiques des
circonftances accefloires d’une telle force , qu’on
ne peut les féparer des idées principales , fans
fe livrer à des fpéculations vaines. D ’ailleurs,
fi c’eft un défavantage que d’acheter hors du
royaume, les biens qu'il eft en état de produire ,
on trouvera quelque dédommagement, en s’acquittant
avec des ouvrages d’induftrie : les Américains
en ont befoin, & leurs tabacs font, juf-
qu’à préfent, le principal objet d ’exportation
qu’ ils peuvent donner en échange.
On demandera peut-être fi , fans permettre la
culture du tabac, & fans rien changer à l’état
a&uel des chofes, on ne devroit pas, au moins,
convertir le privilège exclufif exercé par le fouverain
, dans l’établiflement d’un droit à l’intro-
dudtion des tabacs en France ? On préfente, en
faveur de ce fyftême , des réflexions générales
fur la liberté du commerce, & l’on fait valoir
l’avantage qui reviendroit au r o i , s’il pouvoit
économifer toutes les dépenfes d’achat, de fabrication
& de débit. J’ai difcuté des confidé-
rations d’un genre abfolument femblable , dans
le chapitre des gabelles.j j’ ai montré quelle étoit
la liberté du commerce eflentielle au bien de l’Etat*
& je dirai de même , que pour le tabac comme
pour le fe l, le roi ne peut s’ affranchir des' dépenfes
d'achat, de fabrication, de voiture & de
aiftribution, qu’ en faifant retomber cette charge
fur les confommateurs* ce qui feroit une addition
d’impôt. Et fi le gouvernement diminuoit le
droit d’entrée , dans la proportion de ces mêmes
dépenfes , la denrée , à la vérité, ne feroit pas
renchérie, mais auffi le reveçu du fouverain ref-
teroit le même, & le profit d’eeonomie qu’on
fe propoferoit, n’auroit aucune réalité. Enfin ,
les obfervations qui ont été faites dans le chapitre
précédent, fur les effets poffibles du monopole
ou des fpéculations exagérées , trouveroient
également ici leur application} & j’ajouterai
, relativement au tabac en particulier, que
cette denrée n’étant pas , comme le fel , une
production nationale , la hauflfe du prix dans l’é-
trangêr , que la concurrence des acheteurs pourroit
occafionner, tourneroit au défavantage de
l’Etat.
Il eft important encore de ne pas perdre de
T A B
vue, que l'on doit'en partie la grande vogue du 3 S n France , à la perfefhon desmanufac;
tures royales ; & comme cette
reCultat d'une longue fuite d obfervations ce le
toit courir un rifque fans utilité,
des fabriques confommees dans leur a . P
y fubftituer une multitude d etabhffemens
Lits par des particuliers. & qui Pou“ °‘e" r Pé-
vent, à l’envi les uns des autres ,, chercher 1 g
pargne au détriment de la qualité.
Je fais bien qu'on avoir accufé la ferme générale
de manquer d'intelligence & d économie dans
la direétion de fes manufaâures de tabac ; mais
ce reproche étoit uniquement fonde fur la dîne
rence de prix, entre le tabac râpe & le tabac n
râpé : le premier valoit trois livres douze lous ,
& le dernier trois livres deux fous. Cette manutention
, en effet, auroit été trop chere , Il elle
avoit coûté dix fous par livre a la ferme; mais
la trop grande difproportion entre les deux prix,
tournoit au bénéfice du roi. La différence n elt
plus aujourd'hui que de huit fous, & cependant
la ferme préfère encore de vendre le tabac apres
l'avoir râpé ; je crois donc qu'il feroit convenable
de rapprocher davantage les conditions de
ces deux formés de débit, afin qu il n y eut plus
d'intérêt à préférer l'un à 1 autre. L ufage de
vendre le tabac en corde eft le plus ancien, &
pendant long-tems on ne s’en eft jamais écarté;
l’expérience avoit montre que cette méthode ren-
doit la contrebande plus difficile j 1 on remarque
d’ailleurs , que malgré tous les foins qu’on apporte
à la préparation du tabac râpe , te mélangé
d’eau qui s’y trouve , nuit quelquefois a fa con-
lèrvationj l’on s’en eft plaint fur-tout dans les
provinces .méridionales. L’opinion des fermiers
généraux les plus inftruits , eft cependant partagée
fur Ces deux manières de débiter le tabac ;
mai? s’il n’y avoit plus d’avantage pécuniaire à le
vendre râpé, je doute que la controverfe fubfiftât.
Pour terminer cet article , il ne nous ^ refle
plus qu’à dire , que la ferme du tabac , qui étoit,
fuivant ce qu’on a expofé ci-devant, de cinq cents
mille livres, ep 1674, fe trouvoit un fiècle après,
c’eft-à-dire , en 1774* 4e vingt-quatre millions
quatre-vingt-trois mille livres, & qu elle rendoit
trente-un millions cinq cents dix mille livres j
fur quoi déduifant cinq millions quatre-vingt'fept
mille livres de frais d’exploitation & de régie,
__4.,;^ 4»» vinot - fix million®
En 1780, le bail de Salzard a compris la
ferme du tabac pour vingt-fix millions j mais
lorfque l’année fuivante l’édit du mois d août
impofa deux nouveaux fous pour livre fur tous
les droits , on accorda à la ferme générale , par
rapport à cette, augmentation dans le prix du
T A B « 3 5
tabac , qHe ni pour leur garantie à l’égard du roi,
ni pour leur compte de partage dans les* bénéfices
, ils ne courroient point l’evènement de la
diminution pofîible dans le produit de cette partie.
L ’article 4 du réfultat du confeiU du 19 mars
178 6 , portant bail des fermes générales à Jean-
Baptifte Mager, s'explique ainfi qu’il fuit : Le roi
a fait bail audit adjudicataire, ( fous le cautionnement
des fermiers généraux qui font dénommés
, ) « du privilège de la vente exclufive des
» tabacs de toute nature , dans les provinces qui
» y font fujetres, & dans le Clermoncois, au
„ même p r ix , tant en principal que fous pour
„ livre , que ledit privilège a été affermé à N i-
„ colas Salzard , enfemble des quatre fous im-
,, pofés fur chaque livre de tabac , par l'édit
„ d'août 1781 , & dont ledit Nicolas Salzard
» tient compte à fa majefte en fus du prix de
» fon bail, de quoi ne fera tenu ledit preneur,
» comme auffi du droit de trente fous en princip
al, fur le tabac étranger, dans les provinces
,, ou le privilège n'a pas lieu , 8c des fous pour
» livre dudit d toit, darfc leur confiftance a&uelle;
» enfemble de la fomme de huit mille livres pour
» laquelle le pays de Gex contribue à l'impôt
„ du tabac , d'après' l'abonnement accordé par fa
„ ntajefté audit pays ; le tout moyennant un prix
», annuel de vingt-fept millio'ns ; à la charge , par
» ledit preneur , de fournir aux matelots qui fe-
« ront employés pendant la paix , fur les vaif-
» féaux de fa majefté,au fervice du cabotage,
» & pendant le tems feulement qu'ils feront ledit
» fervice , du tabac à diminution de prix , fur
„ Je pied de vingt fous la livre, & dans la pro-
*> ’portion de neuf livres par an pour chaque
» homme.
Il n’eft pas parlé du tabac à fumer , fourni
aux foldats, au-deffous du prix courant, parce
que le roi tient compte aux fermiers dé cette
diminution de prix , ainfi que de celle qui a lieu
fur le fel. C e facrifice eft annuellement de fept
cents mille livres. Il étoit double avant 1780 ,
époque du bail de Salzard, dans lequel la dif-
tribucion du tabac a été diminuée , & celle du
fel augmentée dans une proportion convenable ,
& de fiiçon à réduire la contrebande qui avoit
lieu auparavant fur ces deux denrées.
T A B L E D E MER. ( droit de ) On prétend
que ce droit fut autrefois établi pour l’entretien
de la table de l'amiral de Provence ; mais cette
opinion n'eft appuyée d’aucun monument qui
puiffe y faire prendre foi. Quelques écrivains
rapportent l’ origine de ce droit à 1157 , en di-
fant , qu'il fut Amplement établi pat la ville de
Marfeille ,* fut les marchandifes étrangères, pour
conferver un avantage aux fiennes.
Une autre opinion, non moins probable , 3c
L U I ij