
artiftes 8c les grands hommes dans tous les genres,
& fi Ton avoit foin de les placer à la tête du
gouvernement, en leur difant : reflouvenez vous
que Miltiade, Thémiftocle, Ariftide 8c Cimon
s'élevèrent peu à^ peu au rang de chefs 8c de
fauveurs de la Grece. Ces générali Aimes n’étoient
pas mieux logés & mieux nourris que les autres citoyens
; on.ignoroit alors l’abus de ruiner les provinces
pour élever, comme aujourd’hui , aux
commandans, aux intendans, &c. des palais qui
leur font fouvent, dans les Indes, oublier ce
„qu’ils doivent à l’état 8c à l’humanité.
La fculpture, 8c enfuite la peinture , ont été
perfectionnées avant l’architeéture , parce que le
itatuaire trouva fes règles en contemplant la nature j
au lieu que l’architeéte fut obligé de chercher les
fienneé dans la combinaifon des proportions, &c.
La fculpture a précédé la peinture dans la Grece,
ainfi que dans l’Egypte.
Pline croit que la peinture, chez les grecs, ne
remonte pas au-delà de la guerre de Troye. Le
Jupiter de Phidias , & la Junon de Policlète,
c ’eft-à-dire , les deux plus parfaites ftatues de
l’ antiquité, exiltoient déjà avant que les peintres
grecs fuflfent placer le jour & les ombres dans
les tableaux. Euphanor introduifir dans les peintures
la fymmétfie & la perfpeétive du coloris.
La peinture fe perfectionna plus tard 8c moins
facilement que h fculpture 8c la gravure, parce
que les peuples préféroient les pierres gravées 8c
les ftatues aux tableaux j parce que, pendant
plufieurs fièclesi l’on ne permit point aux peintres
de renfermer leurs ouvrages dans les temples..
C ’eft par la même raifon que chez les grecs la
poéfie parvint plutôt au fublime que l’éloquence j
ce qui a fait dire à Cicéron ( de Orat. £ib. I. n°. $.),
que la Grece a produit plus de grands poètes que
de grands orateurs.
Winckelmann obferve, fur l’efTence de fa r t ,
-que les meilleurs ftatuaires & les meilleurs peintres
de l’école romaine n’ont point eu une idée jufte
du beau ’ idéal , qui-eft infiniment fupérieur au
beau phyfique c’eft-à-dire, à la collection de
toutes les beautés que Ton trouve éparfes fur le
g ’obe terreftre. Les modernes fe bornent au beau
phyfique, qui eft toujours accompagné de défauts
; mais les grecs fe font élevés au beau idéal
dans tous les genres. Par exemple, Michel-Ange
a connu le beau de l’expreffron, mais il n'a pas fu
contenir fon cifeau 8c fou pinceau : l ’expreflion
de fes ouvrages dégénère en contorfions, il emploie
de grands mouvemens pour opérer de petits
effets. Les grecs au contraire employoient peu
de mouvement pour produire de grands effets.
Raphaël a donné trop de tendreffe 8c de mollefle
•aux femmes qu’il a peintes j les grecs ont été plus
retenus , même en repréfentant leur Vénus publique.
Les figures de Bernini & de Rubens reffemblent
à des gens que le caprice de la fortune
a élevés rapidement de la lie du peuple aux premiers
honneurs. On reconnoît la foibleffe du flyle
de Barocci à fes nés écrafés 8c à fes mauvaifes
draperies. Les mentons de Pietre de Cortojie
font courts 8c applatis en dtffous ; l’ on ne vo t
aucun de ces défauts dans les ttatùes du grand
grec, c’eft-à-dire du grec par excellence.
Les grecs commencèrent par copier fer vilement
la belle nature : leurs premiers effais, dans le
fécond âge du bon goût, nous offrent des ftatues
dont la tête eft communément trop groffe 5 mais
à force de voir de belles perfonnes dans les gym-
nafes, dans les amphithéâtres, dans les bains, &c.
où la nature paroiffoic fans voiles, ces grecs * fem-
blabJes à l’abeille, qui du butin des fleurs cora-
pofe fon-miel, réunirent les yeux les plus admirables
à la bouche la plus parfaite, 8cc. Ils fe
composèrent par ce moyen un type du beau dan's
le genre féminin. Nous pouvons découvrir leur
fecret à force de méditer fur leurs ouvrages & de
les mefurer. Dans Apollon, .ils réunirent une
partie des belles formes 8c des belles proportions
de l ’homme & de la femme la plus paifaise : la
fingularité du corps des prêtres de Cybe lle, que
l’on réduifoit au genre neutre par. h caftration ',
leur donnèrent peut-être cette idée, & c . Leis
grecs repréfentèrent Apollon jeune , parce que
la dp.uce fleur de la jfunefle eft très-propre à.inf-
pirer I l’amour 8c la tendreffe, il paroît planer
fans toucher terre avec la plante des pieds 5 la
légèreté indique la nature Spirituelle. Les grecs
donnèrent à la figure de Faune une proportion
mitoyenne entre cèlle d’Apollon & celle de
l’homme le plus parfait : ils repréfentèrent différemment
Hercule-homme & Hercule-déifié 5 ils
favoient faire diftinguer par le trait le: héros du
dieu. Une feule teinte de joie tendre dans le
regard de Battus, qui eft en bas-relief fur les médailles
de Cyrène, l’auroit transformé en Bacchus ;
& fi l’on y eût ajouté un trait de grandeur divine,
l’on en auroit fait un Apollon. Le héros em-
ployoit plus de mouvement & d’aétion pour exécuter
un projet , que la divinité repréfentée dans
la même circonftance.
La fupériorité fur les déeffes, & la fierté,
s’annoncent dans Junon par fa haute'taille, par
des yeux bien ouverts 8c arqués , qui donnent à
fe» regards toute la majefté de la reine, qui veut
également infpirer l’amour & le refpedt. Pallas,
cette vierge qui a vaincu l’amour même,;, a
les yeux moins ouverts & moins arqués ; eùle
ne porte point la tête élevée, fon regard eft modelée
8c baille j elle paioît occupée de quelque
douce réflexion. Vénus a la paupière,inférieure
plus élevée, ce qui lui donne de la douceur $ fes
yeu x, moins ouverts, annoncent la tendreffe &
la langueur. Diane paroît uniquement occupée
de U chaffe , elle a tous les attraits de fon sèxe î
niais elle paroît les ignorer j fa taille eft plus^le-
éète & plus mince que celle de Junon, ou meme
due celle de Pallas. Nous avons rapporte toutes ;
ces obfervations pour mettre les leSeurs'a- portée
de vérifier tout ce que nous avons dit fur la manière
donc les grecs caraétérifoiem les hommes, :
les héros, les demi-dieux, &c. Il elt_facile de
s’en convaincre, en examinant les médaillés 8c
les pierres gravées par les grecs 3 ou du moins
leurs empreintes en foufre, en plâtre, 8cc. La
forme- des divinités eft fi confiante chez tous les
artifies des différentes villes de la Grece, de forte
que l’on feroit quelquefois tenté de croire qu elle
avoit e'té preferite 8c déterminée par une loi.
Winckelmann fait obferver, dans l’Apollon
du Vatican qui décoche une fléché fur le ferpent
Python, que le ftatuaire , voulant reprefenter le
plus beau des dieux, a eu foin de cajaéterifer dans
la figure le calme ou la tranquillité ; mais il n’a
exprimé la colère de ce dieu que dans fes narines,
qu’il foulève un peu, & il a caraétérife fon dédain
pour le vil ferpent, en foulevant un peu
le milieu de la lèvre inférieure : il décoche le
trait fans employer la moitié de fa force j il
paroît qu’il méprife affez fon ennemi pour re-
fufer de lui faire face, 8c de chercher à acquérir,
par ce moyen, plus de force & de facilité pour
le percer. Ces obfervations démontrent que '•les
grecs étoient perfuadés que plus on met de mouvemens
& de contorfions dans les traies 8c: dans
les mufcles., plus on détruit la nobleffe. Le grand
homme gefticule p eu, & s’affe&e rarement y un
trait indique fa pafllon : mais on voit en même-
temps les efforts qu'il fait pour la contenir 8c
pour la modérer fuivant les règles de la prudence,
de la juftice 8c de la décence. Les attitudes des
dieux font conformes à leur dignité j l’on n*a
. trouvé que deux divinités grecques, avec les jambes
croifées, 8c les pieds pofés dans une attitude
ruftique : mais on préfume que le ftatuaire a eu
des raifons pour agir ainfi. Ces obfervations démontrent
encore combien il eft dangereux pour
un jeune artifte de copier fervilement les caractères
des paffions, deffinés par le fameux peintre
François Charles le Brun : ce grand homme les
a tracés dans leur .excès le plus outré pour les
rendre fenfibles, même aux yeux des ignorons.
Nous déterminerons la beauté des parties des
figures grecques dans l’article Proportion î nous
y rapporterons la nouvelle méthode que Winckelmann
a publiée relativement à la tête. A l’égard
de la beauté des. parties du corps ; nous
remarquerons en paffant que le profil du vifage
des ftatues du grand grec confifle dans une ligne
prefque droite, c’eft-à-dire, très doucement enfoncée
dans l’alignement du nez 8c du front : la
grandeur & la nobleffe font exprimées par le trait
droit, 8c la tendreffe eft produite par des inflexions
douces 8c légères. Plus l’inflexion qui ft'pare 1 e
nez du front eft profonde, plus le profil elt ail-
gracieux : la beauté des fourcils confifte dans la
finefle des poils : plus le trait eft fin 8c peu
courbé, plus l’oeil annonce de calme 8c de tranquillité.
Chaque paffion peut fe caraftérifer par le mouvement
ou l’inflexion des fourcils. Les grecs fa-
voient, comme nous , que les yëux qui ne font
i ni trop faillans , ,ni trop enfoncés , ni trop
grands, ni trop petits, font les plus beaux : mais
pour travailler dans le beau idéal, ils les te-
noient un peu au-deffous de ce que nous ^appelions
, dans le beau phyfique , à p u r de tète ; ils
agiffoient' ainfi pour rendre l’os qni les «ouvré
plus Taillant, 8c l’oeil de leurs ftatues plus facile
à diftinguer par fon ombre ; dans quelques ftatues,
les grecs mettoient les prunelles en argent
ou en émail j 8c de couleur naturelle. Dans là
jeuneffe le front doit être petit, il fe perd fous
les cheveux qui le couvrent : uu grand front libre
& élevé convient à la vieilleffe. L’oeil doit avoir
pour longueur le cinquième du diamètre moyen
de l’ovale ) le nez 8c la bouche ne doivent avoir
que là même étendue : le nez doit être droit >
l’aügnement des narines 8c de la bouche parallèle
pour défigner l’état de tranquillité j les lèvres teintes
du plus bel incarnat : la lèvre inférieure plus pleine
que la fupérieure, pour amener la rondeur du
menton : le menton fans foffette, car fa beaute
confifte dans la rondeur pleine de fa forme voûtee,
& la foffette eft un accident 8c une fingularité de
nature dans le menton 8c dans les joues. Les anciens
ne donnoient l’air riant qu’aux fatyres : cet
air défignoit l’amour de la débauche , 1 intempérance
dans les paffions, en un mot la groffièrete
& la folie.
La fureur des hommes 8c du temps a laiffé fub-
fifter peu de mains 8c de pieds parmi les ftatues
grecques. Les mains de la Vénus de Médicis font
modernes j la partie du bras au-deffous du coude
de l’Apollon du Belvédère eft auffi une pièce rapportée.
La beauté d’une jeune main grecque confifte
dans une plénitude modérée , avec des traits
à peine vifibles > femblabîes à des ombres douces î
fur les articulations des doigts , où doivent fe
former des foffettes dans les mains pleines, l’art
n’indique aucune jointure dans les articles, fur-
. tout il ne courbe point le dernier article des
doigts, comme font les artifies modernes. Les
anciens ne refferroient point leurs pieds comme
nous 5 moins le pied eft ferré , plus il eft dans f i
forme naturelle. Dans les liâmes antiques , les
ongles font plus applatis que dans les modernes.
L’ élévation d’une poitrine, régulièrement voûtée ,
étoit regardée comme une beauté dans les figures