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pouvons mieux faire que de copier, fur les arts ,
un écrivain qui étoit très-bon artifte.
« Diofcoride, diuil3 Solon & ces autres artiftes
du premier ordre , qui vinrent Rétablir à Rome
fous Augufte, y apportèrent fart de la gravure en
'pierres, & s'unifiant à cette foule de grands hommes
j qui, dans tous les talens , travailloient à
immortalifer cet heureux fiècle, & à lui faire dif-
puter de célébrité avec celui d'Alexandre3 ils
firent revivre les apollonides, les eronices , & les
pyrgotéles. Des romains, ou plutôt les efclaves
des perfonnes les plus qualifiées d'entr'eûx, furent
bientôt affbci'és à ces travaux,. & fart qu'ils cul*
tivoient acquit un grand crédit & fe foutint dans
un état floriffant jufqu'au règne de Sèptime-
Sévère, & même jufque fous les Gordiens. M. de
Thoms pofledoit une tête d'Antonin-Pie, excellemment
gravée en relief par un grec nommé
. Maxalas ; & l'on voit dans la .collection de C rozat,
.qui a été achetée par le duc d'Orléans, régent,
deux agathes-onyxs, dont le travail eft. digne des
meilleurs maîtres, fur lefquelles font repréfentées
:en creux les têtes de Gordien père & de Gordien
fils, furnommés Africains. »
« Tous les règnes des empereurs ne furent pas
.également féconds en habiles graveurs : on a rer
marqué que ceux pù il fe fit un plus grand nombre
& de plus belles gravures , furent conftamment
ceux qui ont produit les médailles les plus parfaites
j d'où l'on pouvoir inférer, que comme il
s’eft vu dans ces derniers temps des graveurs en
pierres fines > être en même temps graveurs de
médailles, de même chez les anciens ces deux
profeflîons, qui ont beaucoup de rappoit entre
elles, ont pu fouvent fe trouver réunies dans la
même perfonne. C e qui doit paroître fîngulier,
c'eft qu’il n’y ait dans la langue latine aucun terme
pour défigner expreffément lés graveurs en pierres,
tandis que tous les autres artiftes y font tous dif-
tingués par des noms particuliers, ainfi qu'on peut
le remarquer dans les écrits des anciens, & fur-
tout dans les inferiptions. Le mot gemmarius &
celui de flaturarius figillariarius , qu'on lit fur
.quelques marbres., ne peuvent s'entendre que
d’ un marchand de pierres précieufes, & d'un metteur
en oeuvre qui monte des cachets. »
« L 'a r t de la gravure étoit cependant affez
eftimé dans Rome, pour mériter autant qu’aucune
autre profelfion d'avoir un nom 5 & fi on
ne lui en connoît pas en latin, on doit fuppofer
qu'étant venu tard dans cette v ille, & n'étant
prefque jamais forti des mains des grecs, on y
nég’igea de créer un nom appellatif pour ceux qui
î ’exerçoient; peut-être même leur conferva-t-on
celui qu’ils avoient apporté de leur pays ( Aetx.ru-
jaoyxvipot). Le grec n'étoit point alors une langue
étrangère aux romains, tous ceux qui fe pic-
quoient de politeffe affe&oient de le parler. Ou
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faudra t-il dire que ces artiftes ne firent point un
corps particulier, & que confondus avec les orfèvres
ils en prirent le nom, en même tems qu'fis
furent aggrégés à leur collège ou communauté ?
C'eftle fentiment vers lequel femble pencher Gori,
& il. le croit d’autant plus probable, q,ue dans
les inferiptions qu'on a découvertes depuis peu
d'années dans la chambre fépulchrale des domef-
tiques de l'impératrice L ivie, on lit les noms
d’Agathopus & d1 Epitynchanus , deux de les affranchis
, & que les noms de ces deux artiftes,
qui prennent dans ces inferiptions la qualité d orfèvres,
font ceux de deux excellens graveurs, qui
ont réellement vécu dans le même tems, je veux
dire fous Augufte. Le premier eft connu par. une
très-belle tête d'un illuftre romain, qu’on-voit
chez le grand-duc, & que quelques-uns ont cru
être Pompée, & d’autres M . Brutus, le meurtrier
de Céfar 5 le fécond a exécuté en relief, dans le
plus haut dégré de perfection , une tête de Ger-
manicus. Céfar, qui fe conferve dans le cabinet
de Strozzi, après avoir appartenu , ainfi que la
précédente, à M. l'abbé- Andréini de Florence, li
curieux de ces monumèns antiques, & qui favoit
fi bien juger de leur valeur. Ce feroit abfolument
le plus grand des.hafards , s’il étoit poûible qu'il
fe fût rencontré dans deux profeflîons différentes
quatre hommes contemporains , & portant des
noms aufli femblables. On peut ajouter que faint
Auguftin, parlant des orfèvres, les qualifie d’in-
fignitores gemmarum , comme s'il eut voulu faire
entendre que les pierres précieufes acquéroient
un nouveau luftre entre leurs mains, par l'excellence
du travail dont ils les enrichiffoient, & ce
travail pouvoit bien être celui de la gravure, »
« Elle n'étoit point, encore déchue de fa première
fplendeur, lorfque le fîége de l’empire ayant
été transféré à Conftantinople, & les arts étant
repaffés en Grèce à la fuite du prince , celui de la
gravure n'éprouva pas un fort moins funefte que
toutes les autres branches du deflîn j il déclina
peu à peu, & il tomba enfin dans un entier dé-
périfiement. La chute du bon goût fui vit de fort
près celle de l'empire romain. Des ouvriers grof-
fiers & ignorans prirent la place des bons artiftes,
& femblèrent ne plus travailler que pour accélérer
la ruine des beaux arts. Ces gens, fans talens,
avoient une idée fi imparfaite du vrai beau, leurs
yeux étoient tellement fermés fur tes objets même
les plus Amples, qu'ils fe propofoient d'imiter,,
qu'ils ne pouvoient infpirer que du dégoût, pour
des ouvrages qu'ils préfentoient fous une. face fi
défavantageufe. »
« Cependant dans le tems même que ces ouvriers,
je ne puis les appeller d’un autre nom, s'éloi-
•gnoient à fi grands pas de la perfection, le croi-
roit-on, ils fe rendoîent, fans qu'on y prît garde,
utiles & même néceflaires à la poftérité. On en
conviendra fi l’oa fait attention que ces artifans,
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en continuant d'opérer bien ou mal, perpetuojent
les pratiques manuelles des anciens j pratiques dont
la perte étoit fans cela inévitable, & n'auroit pu
que bien difficilement fe réparer. En effet combien
de travaux à effiiyer, combien de découvertes a
faire, fi jamais ces pratiqués avoient difparu, &
qu’on eût entrepris de les retrouver? D’ailleurs
pouvoit-on fe promettre que celles qui auroient
été nouvellement in ventées vaudraient celles qu on
n'avoit plus ? Pour ne point forcir de mon fujec,
la gravure fur les pierres fines,- une fois abandonnée,
feroit bientôt devenue un objet de la plus difficile.,
exécution , & peut-être même un art impraticable.
Que les réglés du deflîn foient totalement
oubliées , on peut fuppofer que tôt ou tard elles
feront reftituées dans leur pureté. L'imitation de.
la nature en eft l'objet 5 & la nature étant conf*
tante dans la formation de toutes fes productions,
il ne faut, pour rétablir le mal, que rencontrer
ùn génie fenfîble au beau , un fujet dont la mémoire
foit heureufé, & qui faillite & rende avec
julteffe ce qu'il voit. Mais il n'en eft pas de même
de la pratique des arts : elle confifte dans un certain
exercice de la main, dans une fuite d'opérations
, dans l'emploi & la forme de quelques
outils fînguliers. Toutes ces chofes paroiflent
fimples & faciles à ceux qui font dans un exercice
& un ufage aCtuel 3 mais, qua nd on.les a perdu de
vue, ces mêmes, chofes deviennent pour tous un
fecret, en quelque façon impénétrable. »
« Si une tradition non-interrompue ne l’avoit
enfeigné, auroit-on imaginé, par exemple, que
la gravure, en pierres fines s'exécutojt fur le tour ,
que le fer feul ne pouvoit mordre fur la plupart
de ces pierres, & qu'encore falloit-il, pour les
entamer, que les outils fuffent finguhèrement
configurés, & que le diamant, ce corps fi dur
& auquel nulle autre pierre ne peut réfifter, f ît
plus de la moitié du travail ? Pline ( Hb. 37. c. i y )
l'avoit bien Indiqué, & s'étoit expliqué avec fa
précifion & fon exactitude ordinaire ; mais c'étoit
j, fi laconiquement que, fans i'infpeCtion dés inftru-
| mens , fans une conuoiffance particulière du mé-
chanifme de l'a rt, on n'auroit pu profiter peut-
être dé ce que cet auteur avoir écrit, & il feroit
refte inintelligible. Il eft donc heureux que l'art
i de la gravure en pierres fines n’ait fouffert aucuné
[ interruption , & qu'il y ait eu uùe fucceflîon fuivie
de graveurs , qui fe foient înftruits les uns les
■ autres, & qui fe foient mis à la main les mêmes
I outils. »
» Ceux d’entr'eux qui abandonnèrent la Grèce,
dans le quinzième fiècle , & qui vinrent chercher
[ un afyle en Italie, pour fe fouftraire à la tyrannie
■ des turcs, leurs nouveaux maîtres, y firent paroître
pour la première fois quelques ouvrages qui,
étant un peu moins informes que les gravures qui
s’y fai foient journellement 5 fer virent de prélude
au renouvellement des arts qui fe préparoit. Les
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pontificats de Martin V & de Paul II furent témoins
de ces premiers eft ai s. Mais Laurent de
Médicis, le plus grand protecteur que les arts
aient rencontré, fut le principal moteur du grand
changement qu’éprouva celui de la gravure j fa
paflion pour les pierres gravées & pour les camées,
lui fit rechercher les meilleurs graveurs y il les
raffembla auprès de la perfonne , il leur diftribua
des ouvrages, il les anima par fes bienfaits, &
l'art de la gravure en pierres fines commença ainfi
à reprendre une nouvelle vie. C e bel art fe répandit
bientôt dans toute l’Italie ; il paffa les Alpes
dans le feizième fiècle, & Coldoré le cultiva avec
un fuccès étonnant fous le règne d'Henri IV* >»
Le cas particulier que faifoient les romains des
perrés gravées, l'ufage qu'ils en faifoient dans
leur parure, & les collections qu'ils en formoient
à grands frais, pour les copferver dans des cabinets
, peuvent nous rendre raifon de la multitude
qui s'en trouve encore dans les collections d antiques.
Les romains en plaçoient dans leurs colliers
( Voye^ C olliers ) , fur leurs chauffures ,
& ils en formoient les agraffes de leur manteau»
La chlàmyde d’une ftatue de Mercure, confervee
à Rome par M- Jenkins, a pour agraffe une fibu.e
fur laquelle eft gravée une tête de bélier.
Pompée conferva dans le capîtole la collection
de pierres qui' avoit appartenue à Mithridate, roi
du Pont ( Plin. 37. c. 5. ). Jules Cefar plaça de
même fîx tablettes de pierres gravées dans le temple
de Vénus ; dont il fe difoit defeendre 3 & Mar-'
cellus, fon neveu, en confacra une dans le petit
temple d'Apollon, placé fur le mont Palatin
( ibidem ). Ces collections étoient défignées chez
les romains fous le nom deDaclyliotheca, ou tréfor
de bagues. On v o it, par une loi du digefte, que
l'ufage de les ramaffer & de les regarder comme
des effets précieux, fubfiftoit encore fous le règne
de Jultinien , c'eft-à-dire, au commencement du
fixième fiècle de notre ère, où le code fut compilé.
Quoiqu'à cette époque les arts fuffent totalement
anéantis, quoique la gravure des pierres
& des médailles de ce temps-là fût également bai-
bare , on ne laiffoit pas de faire encore un trè^-
grand cas des pierres antiques 3 bien que l’on négligeât
entièrement les peintures & les fculptures
des temps les plus floriflans.
« Les anciens graveurs , qui en cela ont été
fuivis par les modernes, me paroiffent, dit.M. Mariette
, n'avoir excepté aucune des pierres fines
& précieufes. Lorfque Pline \ lib. 32. c. 1 .) a fait
obferverque certaines pierres étoient fi recommandables
par elles-mêmes , que ç'eût été un meurtre
de lès faire fervir à la gravure 3 je fuis perfuadé
qu’il ne veut parler que de ces pierres fingulièies,
que l'éclat de leur couleur , la limpidité de leur
eau , la régularité de leur forme leur étendue ,
rendent d’un prix ineftimable. La gravure, quelquç
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