
foin d’infifter fur les preuves. Les Savans ont
enfin reconnu que les années dans la haute antiquité
furent d'efpèces diverfes, & très-différentes
des nôtres ; ayant été compofées tantôt
de fix mois , tantôt de quatre, de trois, &
même d’un feul. Cette découverte, qui appar
tient à notre fiècle, en même-temps qu’elle lui
fait honneur, prouve combien nous fommes
tardifs en connoiflances ; il y a plus de quinze
cents ans que les philofophes avQÎent dit 8c
répété, ce qu’on a renouvellé de nos jours ; 8c
c ’étoit un fait avéré chez les anciens, comme
on en a mille preuves.
« Van le plus ancien d’E g yp te , dit Cenfo-
33 rinus ( i ) , fut de deux mois ; Orus le fit de
53 trois ; le R o i Pifon de quatre ; enfin il fut
5> porté à 1 2,
53 Les Cariens & Ie s Acarnaniens, dit le mê-
33 me auteur, ont eu des années d’un mois j les
33 anciens Arcadiens, de trois mois >3.
Pline ( z ) l’Ancien a fur-tout un pafiage remarquable,
dans leque l, après avoir rapporté
une foale de faits de cette efpèce, 8c cité des
hommes qui avoient vécu deux, trois , d n q ,
& même huit fiècles, il ajoute :
<e S’étonner de ces âge s, & les regarder
33 comme furnaturels, c’eft ne pas eonnoître le
3» génie de 1 antiquité, où Vannée eut des valeurs
>3 bien différentes de celles qu’on lui donne au-
33 jourd’hui -, les uns faifant un an de 1 été &
33 un an de l’hiver : d’autres, comme les Area-
33 diens, compofant l’année de trois mois :
33 d’autres, comme les Egyptiens, d’un feul.
33 Auflî ont-ils des Rois qu’ils rapportent avoir
33 vécu mille ans (3) >3.
Après de pareils éclairciflemens, n’eft-il pas
étonnant qu’on ait autant tarcté de trouver la
folution du problème des grands âges des anciens
? D ’ailleurs, fi l’on y réfléchir, rien n’eft
plus naturel que cette marche. En effet, le
temps eft fufceptible d’une multitude de divi-
fions, félon les différentes mefures qu’on lui
donne. I l eft divifé en jours ou foleils, en lunes
ou mois, en quartiers de lune, en faifons,
(1) Dédie, natal!.
(a) Lib. 7. c. 49.
(?) Voy. à cefujet Diodore, Varron, Mactobe, Plutarque
in Wumd, budoxe ip prod't commenter ad Ti-
maum»
en tropiques ou équinoxes, & c . Dans cette
foule , le choix eft indifférent, arbitraire par
conféquent, 8c variable. L ’homme né ignorant
n a pu d ’abord fe fervir que des plus fenfi-
bles ; il n’a dû s’élever que par une longue gradation
des plus fimples aux plus compofées ;
ainfi, l’on dût d’abord compter par jours, puis
par mois, par faifons , 8cc. 8c Xannée de douze
mois étant la plus compôfée, on ne dût la
eonnoître que la dernière, & ' l’employer que
fort tard ; 8c les faits font en ceci parfaitement
d’accord avec le raifonnement ; car on remarque
généralement chez tous les peuples qui
'-tiennent à une haute antiquité, que toutes
leurs généalogies commencent par ces âges
extraordinaires j c e ft un efprit commun aux
Egyptiens comme aux Chinois ; aux Indjens
comme aux Kaldéens ; aux Baétriéns comme
aux G re c s ; 8c par une autre reffcmblance,
ces grands âges, tous placés dans des temps
obfcurs 8c lointains, diminuent à mefure qu’on
fe rapproche, 8c terminent toujottrs aux temps
: connus par fe ranger au terme aétuel.
C e qui choque nos oreilles en c e c i, c ’eft
d’entendre dire des années faifon> G un mois y à'une parce que l’habitude a rendu en nous
inhérente l'idée de douçe mois au mot année :
: mais pour fentir combien cette répugnance eft
mal fondée, il ne faut que rappeller ce mot à fon
fens propre & originel. Année, tiré du mot latin annus, qui a fait le diminutif annulus, fignifie
proprement un cercle, un anneau; en cette qualité
, Vannée fut d’abord le terme générique'de
toute portion de temps mefurée par la révolution
circulaire, d’un aftre quelconque ; ainfi
il convint à un feul mois comme à plufieurs,
puifque le mois eft mefuré par une révolution
de lune, 8c qui plus eft , au jour mefuré par la
révolution (apparente) du fo le il; 8c ce fut
fans doute fon premier fens ; auffi Xaïn 8c ïaon
oriental, d’où vient Yan^-nus des Latins, veu-
lentrils dire en fens propre le foleil, Une fois
devenu le dénominateur d’une période, il fut
appliqué à toutes les autres ; 8c c’eft par cette
raifon qu’on l’employa pour des périodes plus
compofées encore, que Xannée de douze mois;
, telles que Y année olympique, de 1461 jours; Xannée (othique de 1461 ans; Xannée de 609
ans; la grande année qui eut différentes évaluations
depuis 24,000 8c 36,000 jufqu’à 300,000
ans. U n ancien avoit dit tout cela avant ce
jour: l’année, dit Macrobe, n’eft point bornée \ au fens que l ’habitude ancienne 8c générale lui
fait maintenant donner ; mais toute révolution
d’aftre ou de planete forme une année : ainii le
mois eft Xannée de la lune ; ainfi, le retour des
fixes au même point du ciel qui ne s accomplit,
félon quelques-uns, qu’en 15,000 ans, eft une année ( 1).
Dans l ’ufage c iv il, le nom d annee refta a la
révolution de douze mois, parce qu’elle épuife
tous les changemens fenfibles de la nature ; 8c
par le laps des temps, elle fit oublier toutes les
autres valeurs. Quand par la fuite on recueillit
les monumens, les rédacteurs, qui ignorèrent
ou négligèrent ce fait, introduifirent les erreurs
qui nous donnent aujourd’hui tant de peine.
Ces erreurs eurent lieu chez tous les peuples,
parce que les langues eurent toutes les memes
équivoques ; le J'are des Kaldéens, le" fehiné
des Hébreux n’avoient également que le fens
générique 8c vague de révolution•
Un écrivain moderne (2 ), cite par M . Bailly,
a déjà retiré de cette idée les folutions tres-
heureufes, 8c en a fait plufieurs applications.
Mais je ne fâche pas qu’on fa it encore fait aux
Hébreux. Cependant ils l’exigent manifefte-
ment. Je ne parlerai pas des perfonnages antérieurs
à T h a r é , parce que n’étant rien moins
que des êtres humains, leur âge n’eft j>oint fuf-
ceptible de cette explication-; mats depuis
Tha ré 8c même N a c h o r , il eft inconteftable
que les années n’ont point ete de 1 elpece des
nôtres, mais bien de fix mois, comme on i in-
fere de plufieurs indications.
1'°. Si l’on réduit à moitié la durée de la vie
de toits les hommes cites à. cette epoque, on
la voit revenir au terme commun de la vie ac tuelle
, comme on peut s'en convaincre par ce
tableau.
N a ch o r .. . .
T h a r é . . . .
A b - rah am .
Sara...........
I fa a c ...........
Am r am . . .
I fm a ë l. . . .
Jaco b. . . .
Jofeph. . .
L é v i.- . . j ,
C a a th . . . .
M o y fe . . .
J o fu é . . . .
Age d’engendr. mort*
Ans de fix mois.
, . 7 9 ................... * 4-8
. 7 0 . . . .............................. 145
10Ó'. i ................................. *75
. 9o . , ------ . . . v - ------- ï *7
. s o , ? ..................................18 0
Age d’engendr. Mort.
Ans de douze mois.
59 i ................................. ............. 7 4
35.................... -72 ï
5 0 .................. - - 8 7 i
4 5 .................................................6 * »
3®>......... 9 °
■ ................ 6 8 ■
........................68 §
55
68 I
66 1
60
55
. 1 1 0
, 1 3 7 .
1 3 3*
,1 2 0 .
. 1 1 0
Une circonftance de la vie de Sara vient a
(ft Annus non is folus quem nunc communis ufus (1)
appellat; fed fingulorum feu aftrorum feu planetarum
emenfio , omni caeli circuitu , a certo loco ad eundem
locum reditus annus fuus eft. Sic lunae menlis annus
eft; fic & magnus annus qui, &c.
l’appui : en nous apprenant quelle avoit 50 ans
lorfqu’elle engendra I faac , l’écrivain ajoute,
qu’elle avoit perdu ( depuis quelque temps) ce
qui , chez les femmes, a coutume d’être le ligne
de la faculté d ’engendrer. O r , chez les fem-
I (,) M. Gibert. v.l'Aftro.ancienne, p- 3 7 3 > * 1’**-
cyclopédie art. Chronologie.
(1) Saturn, p. 61, verfo.