
Satuâne , Junon eft une des plus anciennes déeffes,
comme le dit Homère.
Et ce privilège d’ancienneté dont les femmes
mortelles font li peu jaloufes , Junon favoit bien
s’ en prévaloir , parce qu’il lui donnoit en même
temps la prééminence.
Aft ego que divum incedo regina , Jovifqu»
Et foror & conjux.
Auffi, une des épithètes que les poètes lui donnent
le plus fouvent, eft celle de fille de Saturne,
& de reine du ciel & des dieux :
Nec minus interea extremam Saturnin bello
Imponit regina manum.
Le titre de reine des deux convenoit très-bien
à la fGeur & à l’époufe de Jupiter , qui en étoic le
roi. Aucune autre déeffe, Venus même la plus
belle , n’ofa jamais le réclamer j & parmi les mortels
il ne le trouva perfonned’affez injufiepour lui
conteiler un droit qui lui étoit fi juftement acquis.
C ’eft fon attribut elfentiel : il eft fi inféparable de
fon e x iften c e q u e la plupart des écrivains le joignent
fouvent avec lés autres attributs 3 & nous
venons d’en voir un exemple dan& le paffige, cité
de Virgile. Le même poète ne le lui épargne point
toutes Tes fois qu’ il en trouve l’occafion. C ’eft avec
la fomilfion d’un fujet refpedtueux devant fa fou-
veràine qu’ il repréfente Eole recevant les ordres de
la reine des cieux:
Tuus ô regina y quid optes
Explorare labor : mihi jujfa capejfere fas eft.
& il la confîdère toujours fous ce même rapport >
quand il lui donne ailleurs le fur nom de regia s
............................... .. Tum . regia Juno1
Acla furore gravi. . . . . . . . . . . . . . . . . .
C e culte pourroit bien avoir été emprunté de
l’Italie. En effet, il paroît avoir pris naiffance chez
les étrufques. Junon étoit adorée fous le titre de
reine, a Véies , avant même que ce culte lui fut
déféré à Rome, & il paroît qu’on ne l’admit dans
cette ville 3 qu’avec la ftatue de la déeffe que Camille
y fit transporter après la prife de Véies.
Outre la eélébrité du temple de Junon fur le
mont Aventin , on lui en éleva encore dans d’autres
lieux de la ville. L’ hiftoire nous apprend que
le conful Æmilius ( Liv. lié. XXX IX . z. ) lui en
voua un pendant la guerre des liguriens > & qu’il
en fit la déc i;ace huit ans après.
.Cependant le coftume du Jwzo«rrcine eft affez
confiant Si ne varie guère j elle paroît toujours la
même fur les médailles du haut & du bas-empire ,
c’eft-à-dire, debout la tête voilée, vêtue d’une
robe blanche, une halle ou un feeptre ,& le paon •
affez-fouvent à fes pieds } elle porte le feeptre,
fymbole de la royauté , & la patère , attribut que
les anciens dennoient ordinairement aux dieux,
foit pour lignifier qu’ils recevoient avec pla fir des
libations en leur, honneur, foit pour marquer que
la meilleure manière de fe les rendre favorables,
étoit dé leur offrir-des facrifices.
De même que Jupiter étoit repréfenté fur plu-
fieurs revers des médailles des empereurs j Junon-
reine l’étoit fur la plupart de celles des impératrices
par une flatterie intolérable, qui faifoit
égaler ces princeffes. à la reine du ciel. C ’eft
ainfi qu'on la voit fur les médailles de Sabine *
de Faulline mène , de Fauftine fa fille , de Luciile ,
de Manlia Scantilla . de Julia Domna, deSaloni-
ne,de Séverina, de Magnia Urbica,d.e Cornelia
Supera „ & de plufieurs autres.
Il y avoit une telle analogie entre certains attributs
de Jupiter & ceux de Junon, que dès que
l’on accordoit quelques prérogatives à l’un, il
falloit néceffalrement que l’autre les partageât.
Il n’ell donc point étonnant de voir fouvent
les mêmes noms donnés à ces deux divinités.
Jupiter ayant été furnommé Opt. Maximus r &
fa fouveraine puiffance une fois reconnue, ç ’auïoit
été cônnoître bien peu le caraélère de la déeffe
qu’on lui donnoit pour époufé y que de la priver
de la part qu’ elle pouvoit prétendre à cet efprit
de domination & de grandeur, auquel les perfon-
nés de fon fixe „ même parmTTes femmes mortelles
, ne font point du tout înfenfibles. G ’étoit
un moyen de la confoler un peu. des petits dégoûts
& des autres privations attachées, à fa qualité de
reine.
Hélénus , dans Virgile ( Æneïd. III. v. 437. )*
lui donne le titre de magna, de domina potens.
Junonis magneprrmum prece numen adora ,
Junoni cane vota libens, dominamque patentent
Supplicibus fupera dohis.
Virgile, en racontant: Faccompîiffèment de fa
prédiétion d’Hélénu-s, & l’exécution du faerifice
de la lave blanche avec tout fon troupeau, donne
à lai déeffe l’épithète de Maxima par excellence.-
Quampius Æneas , tïbi 3. enimy tili maxima Juro
Maftatjfacra ferens & cum gregefiftit ad. aram.
( JEneid. vm . v. 84. )
Et cette épithète n’eft point de la fantaifie du
poète, puifqu’elle eft fondée fur la qualité de foeur
te d’époufe du maître des dieux, & fur l’ analogie
avec celle de Maximus que portait Jupiter i auffi
cil-elle en quelque forte contactée dans l’Enéide ,
où on la trouve plus d’une fois. ( Ibid. ir . v. 371
& x. v. 68y.)
Quand Virgile fait dire à Junon qu’ elle eft la reine
des dieux, il fe fert d’une expreflion heureufe, &
qui eft en même-temps bien remarquable par l’air
de majefté, dé grandeur & de gravité qui la carac-
térife : divum. incedo regina. C e font-là, par exemple
, de ces tours latins dont notre langue ne peut
rendre ni la force, ni l’idée. Cette gravité ma-
jeftueufe de la démarche de Junon a éæ exprimée
par un autre auteur dans ce vers ( Sidon. ) :
Juno gravis, prudens P allas , turrita Cibele,
te cet attribut étoit tellement propre à la déeffe,
<jue cela eft paffé en proverbe : Baàiiuv Hjetioy
4ft7rt9r\vy[Atvov.
Les artiftés doivent avoir grande attention de
faifir cette démarche grave, & cette contenance
majertueufe dans leurs figures de Junon 3 fur-tout
s’ ils ont‘â repréfenter cette déeffe comme la reine
des cieux. Il leur feroit plus important, & peut-
être plus difficile, dè rendre avec le cifeau , ou le
pinceau , l’idée de Virgle , que de couvrir Junon
de perles, comme on en voit, & que de la charger
confufément de vains ornemens placés fans
goût, & qui appartiennent plutôt à une reine de
théâtre qu’à la foeur & à l’époufe de Jupiter.
Jano/z-reine, comme je l’ai déjà remarqué 3 eft
toujours voilée fur les médailles j c’eft ainfi qu’elle
paroît fur une llatue du capitole , fur deux bas-
jeliefs rapportés par Bartoli.
L ’apothéofe des empereurs étoit célébrée avec
la plus grande pompe j 8c le fénat faifoit frap,per
des médailles pour en perpétuer la mémoire, Sur
le revers de ces médailles, qui repréfentent la
tête d’un empereur ou d’une impératrice, on voit
le bûcher ou l’aigle, avec la légende C o n s e -
c r a t io . Le paon , & quelquefois l’aigle, eft fur
celles des.impératrices, avec la même légende.
Souvent l’impératrice y eft repréfentée portée par
un paon qui 1 enlève dans les airs.: ( Médailles de
Fauftine , &c. ) On ne fe contente pas de lui
donner pour attribut l’oifeau de Junon, elle eft
encore figutée comme cette déeffe, & vêtue d’une
robe longue , avec un feeptre, ou la halle qu'elle
tient de la main droite, & la tête voilée , . ce qui'
prouveroit affez que le voile étoit regardé comme
un des fymboies de la divinité. ( JE. I. cabinet de
Pellerin. ) Il eft remarquable fur une médaille de
confécration de Fauftine la jeune j un aigle qui
traverse les airs , porte l’impératrice qui tient de
la droite le feeptre, & de la gauche tient un voile
parfemé d’étoiles & voltigeant au - deftus de fa
tete.
Ên général, on ne verra, guère de moniimeris
fur lefquels Junon ne paroiffe avec beaucoup de
décence , elle n’a même jamais la gorge découverte.
Si l’on remqnte à l’origine de la haine que Junon
portoit aux troyens, il ne fera pas difficile d’en
découvrir là caufe , & il y avoit autant de fondement
que l’on en peut exiger. Un troyen , confti-
tué jugé de la beauté entre trois déeffes , en avoir
préféré une à Junon 3 Paris avoit donné la pomme
à Vénus. Quelle femme mortelle feroit infenfible
à une pareille préférence , feroit-il poffible que
jamais elle oubliât le mépris fait de h beauté ?
Auffi ce jugement trop fincère laiffa-t-il dans Pâme
de la reine des déeffes Une plaie profonde :
.......................Manet alta mente repoftum
Judicium Paridis..'. ................ • *,*..........
Un outrage bien plus fangiant encore, au lieu
d’adoucir cette bleffure, ne fit que 1 açcroitre davantage
j le goût criminel de Jupiter pourun jeune
troyen , l’emploi de verfer le ne&ar dont ce dieu
chargea Ganymède à l’exclufion d’Hébé, fille de
Junon, étoit un de ces affronts qu’il étoit impofll-.
ble de pardonner :
................Spretsque injuria forme ,
Etgenus invifum , & raj>ti Ganymédis honores.
De plus, les troyens tiroîent leur origine de
Dardanus , fils de Jupiter & d’Eleélre î la beauté
de Junon avoit auffi été méprifée par Antigone,
fille de Laomédon , pourquoi elle fur changée en
cigogne. Toutes ces raifons étoient plus que fuffi-
fantes pour autorifer l’ indignation de la déeffe.
Elle avoit outre cela un prétexte qui pouvoit couvrir
fa haine perfonnelle contre les troyens , c’eft:
qu’elle préfidoit aux mariages, comme nous le
verrons bientôt : pouvoit-elle donc voir de fens
froid l’outrage fait par le fils de Priam 3 Méné-
las, dans le raviffement d’Hélène , contre tous
les droits de rhofj-italité? Si u 1e femme en colère
eft à redouter , & fe porte aux plus violens excès :
Furens quid f&mina pojfit.
C ’ eft donc avec juftice que les poètes ( Æneid. I.
v. 283. Val. Place. Argon, lib. VI. v. l’ont
furnommée Afpera pour marquer la dureté de fon
caractère , dureté que Callimaque a très - bien
exprimée par l’épithète de Bapv.%^0^.
Si la paffion delà haine étoit grande dans Junon,
celle de la jaloufïe ne l’étoit guère moins, & ces
deux paffions réunies dans une grande déeffe ,
étoient capables d’occafîonner les plus grands rav
a g e s ,^ de lui faire bou'.everfer la terre & les
cieux- Elle pardonnoic bien moins à une mortelle