
guères douter qtte les égyptiens, qui ont acsordé
tant d importance à la religion dans le fyftètne
politique, ne l'aient pas fait pour le bien de la
résiliation J & peut-être e ll-c e à ce titre que
* Egypte a été l'école de tous les légiflateurs an-
«en s»
Aufli la plupart des légiflateurs ont - ils cru
dçvon- faire appuyer leurs loix du fuffrage de la
divinité, & fane croire au peuple que les dieux
eux-mêmes les avoient di&ées. Minos en Crète
fe renferme dans un autel facré pour y compofer
fon code de loix , qu’d dit tenir de Jupiter lui-,
meme. Solon fait venir de Crète Épiménide , qui
avo:t la réputation d’être un homme-faint , fort
aimé des dieux , & profondément favant dans les
choies div.nes , fiuvtout pour ce qui concerne
î infpiration , & les cérémonies les plus myfté-
rieufçs & les plus cachées. Ce fut lui qui , à
i aide de la religion , fraya le chemin à Solon
pour publier fes loix , & difpofa le peuple à les
recevoir.
, Lycurgue, avant d’exécuter fon plan de légif-
Ution , va confiilter Apollon à Delphes, ‘ & fe i
fait rendre cet oracle fagieux qui le déclare l’ami
4es dieux & dieu plutôt qu’homme,
N um a ,ch e z les romains, feignit d’avoir un
commerce fecret avec la déeffe Égérie , & d’être
dirigé par elle dans la confection au code de loix
qu’il donne à ce peuple féroce & fauvage. C ’étoit
un moyen de tous les légiflateurs qui, comme
l ’obferve très-judicieuferpent Plutarque, crurent
que, poyr mieux faire recevoir leurs lo ix , il falr
loic s’appuyer de l’autorité des dieux , feule
capable de foumettre ceux en faveur de qui iis
faifoient cette feinte. Diodore de Sicile ( liv. i .
c. 94, ) avoit fait la même remarque. Il cite
l’exemple de Mènes en Égypte, de Mtjnos en
Crète * de Lycurgue à Sparte , de Zàthrautès
chez les arimafpes , de Zamolxis chez les gètes ,
enfin de _Moyfe chez les juifs ; & il dit que le
motif qui détermina ces légiflateurs à ufer de
çette fupercherie, eft la perfuafîon où ils écojent
qûç le peuple, fubjugué par la majeûé de ceux
qu’on fuppofoit être les inventeurs de ces lp ix ,
en deviendroit un obfervateür plus religieux. Diodore
avoit parfaitement bien faifî le génie des
anciens légiflateurs, & le fyftème politique des
chefs dés premières fociétés. C ’eft cette çonnoif-
fance que l ’on avoit du motif qui détermina l’éta-
bliflement des inftitutions religieufes , qui a fait
dire à certains philofophes dont parle Cicéron
< de nat. deor. 1. i . ç. 41. ) , « qUe la religion eft
■ *» un reffort politique imaginé par les anciens
» fages pour contenir dans le devoir, par la force
*> de l’opinion , ceux qu’on ne pouvoit y amener
» par^ la raifort. « Tant il eft vrai que, dans tous
Jçs fiécles, (a raison a toujours été calçmniée par
ceux qui n’ont pas voulu fe donner la peine de
la perfectionner pour conduire les hommes , 8e
qui ont cru qu’il étoit plus sûr de les tromper
que de les inftruire : au moins ce premier parti
étoit plus court , & tous l’ont pris.
Les inftitutions religieufes , connues fous le
nom à!initiations & de myfieres, font donc une
de ces branches d’impofture politique, qui fait
partie de l’art difficile de gouverner les hommes
& de les affujettir. par la perfuafîon. C e fut d’abord
pour les hommes groiiiers, ignorarts & fau-
vages, tels enfin qué ceux qu’inftruifoit Orphée
& que Gérés eivihfa, que ce moyen fut imaginé;
parce qu’eux feuls en avoient befoin , comme eux
feuls pouvoient' s’y laiffer tromper. Il eût infailliblement
échoué auprès de l’homme fage , ôc
chez qui la raifon & la vérité jettent une lumière
toujours redoutable à l’obfcurité des myftères du
paganifme. On crut qu’il y avoit une dalle d hommes
deftïnés à être toujours trompés, & pour
qui il falloir un frein religieux. On les.trompa :
les légiflateurs & les chefs des fociétés en devinrent
plus puiflans, mais les hommes n’en devinrent
güères meilleurs. C ’étoit un faux calcul
dont les myftagogues & les princes feuls profitèrent
, & dont les erreurs coûtèrent fouvent cher
aux fociétés. On peut dire néanmoins que cette
affociation de la religion à la morale & à la législation
, avoit un but louable , quoique prefque
toujours manqué : & dès ce moment la religion
fut ennoblie.
Là terre placée, d’après l’invention de l’Olympe
,'d u Tartare & de i’Élyfée , entre le ciel &
les enfers , vit fa législation fe lier aux idées
d’ordre qui fe manifeftent par-tout dans le monde.
On apprit aux hommes que les dieux eux-mêmes ,
dans l’adminiftrarion de l’univers , leur avoient
donné le modèle de l’harmonie qui doit régner
dans les inftitutions Sociales qui, fans ce lien1»
rentreroient bientôt dans le défordre & le cahos ,
d’où l'ordre & la légiflation les avoient tirées,
fiai conféquence, le tableau du monde fut mis
en fçe&açle dans les fan&uaires, & l’homme y
apprit à étudier fes rapports avec la nature. C ’eft
ce qui fait dire à Clément d’Alexandrie ( Strom.
1*. ƒ• ) 3 ep parlant deTépoptée , qufétoit le dernier
terme de^ la fcience & de la perfection de
Yinitié , ce qu’ elle initioit l’homme aux grands
» fecrets de la nature * toute entière dévoilée à
» fes yeux ».
On y enfeigna aux hommes à demander aux
dieux les Véritables biens , en leur indiquant le
moyen le plus sûr de leur plaire ; ce moyen étoit
de fe rapprocher de leur nature par la pureté
des moeurs ; on célébra leur juftice, au lieu que
jufqu’alors on n’avoit vanté que leur puiflance j
on établit plus qne jamais Iç dogme de la providenee
univerfelle , & dev la furveillance des 1
d.eux fur les aérions des hommes; celui de l’immortalité
de l’ame, bafe néceffaire de la fable
de l’élyfée & du tartare ; & toute la théorie méta-
phyfique de la route des âmes à travers les élé- :
mens & les fphères, foit lorfqu’elles viennent
ici-bas animer des corps, foit lorfque , libres & ;
dégagées de cette nature ténébrtulè , elles retournent
vers le lieu de leur origine. Voilà les
grands fujets que l’on traita dans les fan&uaires,
oiu plutôt dont on donna le fpe&acle aux initiés.
C ’étoit la partie dramatique de la religion qui ,
dans les grands temples tels que ceux d'Eleufis,
devenoit un véritable fpeCtacle à machines, où ,
par l’apparition de fpettres & de fantômes, &
par le changement des fcènes , on inculquoit aux
initiés les grands principes de la morale religieufe.
On regarda le peuple comme un enfant que l’on
n’inftruit jamais, mieux-que lorfqu’on l’amufe ,
ou qu’on l’attache par la furprife & l’étonnement
qu infpire le merveilleux.
Les éloges de l’agriculrure n’y entrèrent que
fubfidiairement. Le grand but fut la légiflation
qu’on fe propofa d’épurer par la morale & la
religion , dont les grands principes furent confa-
crés dans les myftères. On étendit enfuite la prof-
cription fur tous les grands crimes, & principalement
fur l’impiété qui tendoit à affoiblir la
religion, le refpeét, pour lés myftères , & par
contre-coup L s loix qui s’appuyoient fur les opinions
religieufes. On enfeigna' que les fameux
coupables, punis d’un fupp'.ice 'exemplaire aux
enfers 3 l’étoient principalement pour avoir mé-
prifé les faints myitères 5 c’ t.ft par la même raifon
que les épicuriens & les chrétiens en furent exclus
& furent déclarés profanes. La magie, la
goétie, furent aufli un titre dtexclufîon $ ce, fut
au moins le .motif qu’allégua l’hiérophante pour
refufer d'initier \ç fameux Apollorir.us de Tyane-
On , porta les idées de perfection jufqu’à vouloir
que Tinitié s’ affranchît de tous-les mouve-
mens de la haine, de l’envie , & en généial de
toutes les paflions qui portent le défordre dans
Lame, & par une fuite néceffaire, dans la fo-
ciété.
Vinitié ne pouvoit afpirer aux grands biens que
promettoit ^initiation , qu’au tant qu’il rempli f-
foit les devoirs qui lient, un citoyen à fon concitoyen
, un homme à un autre homme. « C ’eft
” pour nous feuls, dit ie choeur des initiés dans
“ Ariftophane , que le foleil brille d’une lumière
w Pour nous f i l obfervons les règles de la
99 piété dahs-notre conduite à l’égard des étran-
» gers & dè nos concitoyens *>.
ticulier, ne pouvoient que gagner à ces milieu
rions} & c’eft dans ce fens qu’on peut dire ave
Cicéron, que les initiations ont été la fource d
grands biens pour les hommes, puifque , par leur
nature & leur objet, elles durent effeâ.vement
en produire. C ’eft ce qui jullifie les éloges pompeux
que les anciens ont prodigués a u x myfieres
d’Eleufis , & en général aux myfieres. C ’eft le plus
beau & le plus grand des biçns, dit Théon, que la
participation aux myfieres.
Il faut convenir que, fi la dc&rine des mÿfla-
gogues fe- fût renfermée dans les bornes -d’une
bonne légiflation, & n’eût établi desrécompenfes
& des peines; que pour les aérions qu’une fage
politique doit punir ou récbmpenfer; enfin que ,
fi la religion & les loix euflfent marché d’un front
égal, fans que l’une eût voulu enchérir fur l’autre,
Y initiation & la do&riné de l’élyfée & du tartare,
qui en faifoit partie, pouvoit être un grand relfort
& un'infiniment utile en politique; mais l’amour
du mieux a détruit le bien qu’on pouvoit attendre ;
& l’homme moral, voulant-' devenir plus parfait,
a fait évanouir l’homme focial , que les premiers
chefs de Y initiation avoient eu deiTein de former.
Ce mal vint de la philofophie pythagoricienne &
platonicienne, qui porta dans la morale la fpiritua-
lité & la myfticité de la philofophie orientale ^ &
qui rédu fit prefque toute la vertu à une oifive
contemplation, & à une efpèce de nullité fociale.
Gn affura aux initiés que les myftères éîevoîent
l’ame jufqu’ à la lumière éthérée, & à ces régions
divines, connues fous le nom déifies Fortunées.
le ls étoient effectivement les avantages que fe
promettoient les initiés. Ils quittoient la vie, remplis
des plus flatteufes efpérances ; & on leur
faifoit croire qu’ ils, auroient une place diftinguée
dans l ’empire des morts, & qu’ils y jouiroient
d’une félicité éternelle.
On ne peut douter que le but de la philofophie
pythagoricienne & celui de Y initiation ne fût le
même, puifque les promeffes étoient les mêmes,
& les préparations légales allez femblables.
CI.ceron, dans le I e liv, des loix, en parlant des
initiations & des myfieres, nous dit que, non-
feulement on y enfeîgne les moyens de vivre heureux,
mais qu’on y donne encore ceux d’emporter
en mourant de flatteufes efpérances. Ifocrate, dans
fon panégyrique, allure également que les initiés
trouvoient dans les myftères les efpérances les plus
confolantes pour le moment de la mort, & pour
toi* le tems qui devoit le fuivre. La mort, fuivanc
Ariftides, ne devoit être peur eux qu’un paffage à
un état plus heureux. On leur promettoit des pré-
feances dans l’élyfée, & ils fe regardoient comme
les privilégiés de l’empire des morts. On alloic
plus loin ; on enfeignoit que les portes de l’élyfée
ne feroient ouvertes qu’ aux feuls initiés ; Bc que
ceux qui auroient négligé de fe faire-initier fe-
roient rejettes dans les ténèbres, pour y ramper
dans le bouibier. Ainfi tous ceux cui n’étoiem
point inferits fur le livre d’ initiation3 de qui né*