
4 4 G L A
aux gladiateurs victorieux , qui étoit une palme ,
une l'omme d'argent , un prix quelquefois con-
fidérable | & l'empereur Ântonin confirma tous
ces ufages. Mais comme il arrivoit aux maîtres
d efcrimç, qui trafiquoient de gladiateurs , pour
augmenter leur gain, de faire encore combattre
dans d’autres fpeCtacles ceux qui avoient déjà
triomphé j à moins que le peuple ne. leur eut
accordé l'exemption mijfio > Augulte ordonna,
pour réprimer cet abus des laniftes , qu'on ne
feroit plus combattre les gladiateurs , fans accorder
à ceux qui feroient victorieux un congé abfolu,
pour ne plus combattre malgré eux. Cependant,
pour obtenir l'affranchiffement, il falloit au commencement
qu'ils euffent été plufieurs fois vainqueurs
i dans la fuite il devint ordinaire, en leur
accordant l'exemption , de leur donner aufli l’af-
franchiflèment.
Cet affranchiflement, qui droit les gladiateurs
de l'état de fervitude, qui de plus leur permettoit
detefter, mais qui ne leur procuroit pas la qualité
de citoyen 5 cet affranchilfement, dis - j e ,
s’exécutât par le préteur, qui leur remettoit un
bâton noueux, ou un bâton d'épine, le même
qui fervoit d'arme courtoife, & qu'on nommoit
rudis. Ceux qui avoient obtenu ce bâton, étoient
appellés. rudiarii. On joignoit encore quelquefois
à raffrànchiffement une récompenfe purement
honoraire, pour témoignage de la bravoure du
gladiateur ; c’étoit une guirlande , ou efpèce de
couronne de fleurs entortillée de rubans de laine ,
appellés lemnifci, qu’ il mettoit fur la tête. Les
bouts de ruban pendoient fur fes épaules : de
la vint qu'on appelîa lemnifcati ceux qui por-
toient cette marque de diftinCtion.
Quoique les rudiaïres fuflènt libres , qu’on ne
pût plus les obliger à combattre , & qu’ils fuffent
diftingués de leurs camarades par le bâton & le
bonnet couronné, néanmoins on en'voyoit tous
les jours, qui, pour de l’argent, retournoient
dans l'arène , & s'expofoient aux mêmes dangers
dont ils étoient fortis vainqueurs; leur fureur
pour les combats de l’ajrène, égaloit *Ia paflion
que le peuple avoir pour un fpe&acle aufli cruel.
Quand on recevoit des gladiateurs dans la
troupe , la cérémonie fe faifoit dans le temple
d'Hercule î & quand après avoir obtenu l'exemption
, la liberté & le bâton, ils quittoient pour
toujours la profôflîon de gladiateur, ils alloient
offrir leurs armes au fils de Jupiter & d'Alcmène,
comme à leur dieu tutélaire, & Jesatta-
choient à la porte de fon temple.
C n employa fouvent des gladiateurs dans les
troupes , fur-tout dans les guerres civiles de la
république & du triumvirat ; & l'on continua cette
f ratique fous le règne des empereurs.Othcn allant
G E A1
combattre Vîtellîus, enrôla deux mille gladiateurs
dans fon armée ; on en entretenoit toujours à ce
deffin un grand nombre aux dépens du fifc. Sous
Gordien III , on en comptoir jufqu’à mille paires :
Marc-Aurèle les .emmena dans la guerre contre
les marcomans j 8e* le peuple romain les vit partir
avec douleur, craignant que l’empereur ne lui
donnât plus des jeux qui lui étoient fi chers.
Il y avoit dé,à long-temps qu’on voyoit ce
peuple en faire fes délices, lorfqu'il fut défendu,
fous la république , par la loi tullienne, à tout
citoyen qui briguoit les magiflratures, de donner
aucun fpeétacle de gladiateurs au peuple, de peur
que ceux qui employeroient ce moyen, ne gagnaf-
fent fa bienveillance & fes fuffrages au préjudice
des autres poftulans.
Mais la fureur de plufieurs empereurs pour ces
jeux fanguinaires, perdit l'état en les multipliant.
Néron, au rapport de Suétone, fit paroître
en grand nombre, dans ces tragiques fcènes »
des chevaliers & des fénateurs, qu'il obligeoitde
fe battre les uns contre les autres, ou contre des
bêtes fauvages. Dion affure , qu'il fe trouva
même des gens afifez infâmes dans ces deux ordres
pour s'offrir à combattre fur l’arène comme les
gladiateurs , par une honteufe complaifance pour
le prince. L ’empereur Commode fit plus, il exerça
lui-même le métier de gladiateur contre <jes bêtes
féroces.
A cettè époque, on vit aufli les dames romaines
exercer volontairement cet indigne métier,
& combattre dans l’amphithéatre les unes contre
les autres, fe glorifiant d’y faire paroître leur adreffe
& leur intrépidité nec virorum modo pugnas 9fed
&feminarum 3 dit Suétone de Domitien. {capAV.
> . 2. )
Enfin, après rétabliffément delà religion chrétienne
, & le tranfport de l’empire à Byzance ,
de nouveaux ufâges commencèrent à naître 5 des
moeurs plus douces femblèrent vouloir fuccéder.
Je ferots charmé d'ajouter, avec la foule des
écrivains, que Conftantin abolit les combats d!e
gladiateurs en Orient > mais je trouve feulement
qu'il défendit d'y employer ceux qui étoient condamnés
pour leurs forfaits , ordonnant au préfet
du prétoire, de fes envoyer plutôt travailler aux
mines : fon ordonnance eft datée du premier
o&obre 325, à Béryte , en Phénicie. Les empereurs
Honorius & Arcadius tentèrent de faire
perdre l’ufage de ces jeux en Occident j mais ces
affreux divertiffemens ne finirent en rcàlité qu’avec
l’eirtpire romain, lorfqu'il s'affaiffa tout-à-coup
parl'invafion deThéodoric , roi des goths , vers
l'an yco de Jéfus Chrift.
C e n'eft pas toutefois la durée de ces jeux qui
doit furprendre davantage , ce font les recherches
G L A
fines 8s barbares auxquelles "ils donnèrent lieu
pendant tant de fiècles, & qui femblent incroyables.
Non-feulement on rafina fur l'art d’ inftruire
les gladiateurs , de les former, d'animer leur courage,
de les faire expirer, pour ainfi dire , de
bonne grâce j on rafina même fur les inftrumens
meurtriers que ces malheureux dévoient- mettre
en oeuvre pour s'entre-tuer. Ce n'étoit point au
hafard qu’on faifoit battre le gladiateurlîYiïZCt contre
le féduéleur , 011 qu'on atmoic le rétiaire d une
façon , & le mirmilion d'une autre ; on cherchoit
entre les armes offenfives 8c défenfiyes de ces
quadrilles , une combinaifon qui rendît feurs combats
plus longs 8c plus affreux. En diverfifiant leurs
armes , on fe propofoit de diverfifier le genre^ de
leur mort ; on les nourriffoit même avec des pâtes
d’orge , & des alimens propres à les* entretenir
dans l'embonpoint, afin que le fang s'écoulât plus
lentement par les bleffures qu'ils recevoient, 8c
que les fpeétateurs puffent jouir plus long-temps
de leur agonie.
On ne doit pas croire que ces fpe&acles ne
fulfent defiinés que pour la Ire du peuple,,les
ordres les plus diftingués de l'empire afliftoient
à ces cruels amufemens j les veftales elles-mêmes I
ne manquoient pas de s'y trouver : elles y étoient
placées avec diftinétion au premier degré de l’amphithéâtre.
Il eft bon de lire le tableau poétique
que Prudence fait de cette pudeur, qui, colorant
leur front, fe.plaifoit dans le mouvement de
l'arène j de ces regards facrés avides de bleffures j
de ces ornemens fi refpeétables que l’on revêtoit
pour jouir de la mort cruelle des hommes j de
ces âmes tendres qui s'evanouifloient aux coups
les plus fanglans, & fe reveilloient toutes les fois
que le couteau fe plongeoit dans la gorge d'un
malheureux j enfin, de la compaffion de ces vierges
timides , qui, par un ligne fatal décidoient
des reftes de la vie du gladiateur,
......... .............Pefiufque jacentis
Virgo modefla jübet cônverfo pollice rumpi ,
Ne lateat pars alla anima vitalibus imis
Aldus imprejfo dïim palpitât enfe fecùtor.
Il ne faut pas cependant que ce tableau pitto-
refque , joint aux autres détails hiftoriques qu'on
a expofés jufqu'ici, nous infpire trop d'horreur
pour les romains 8c pour les veftales ; il y avoit
long-temps que les romains eux-mêmes blâmeient
leur goût pour les fpeélacles de l’arène, il y avoit
long-temps qu’ ils conn<.ifloient les affreux abus
qui s’y étoient gliffés : l'humanité n’étoit point
bannie de leur coeur à d’autres égards* Dans le
temps même dont nous parlons , un homme paffoit
chez eux pour barbare , s'il faifoit marquer d’un
fer chaud fon efdave qui avoit volé le linge de
table j a&ion pour laquelle les lois de plufieurs
G L A 4T
pays chrétiens condamnent à mort nos domefti-
ques, qui font des hommes d'une condition libre.
D'où vient donc, me dira -1-on , ce contrafte
bifarre dans les moeurs ? D'où vient ce plaifir
extrême qu'ils trouvoient aux fpeélacles de l'am-
phi théâtre ? Il venoit principalement ce plaifir
d'une efpèce de mouvement machinal, que la
railon réprime mal , 8c qui fait par-tout courir
les hommes après1 lés objets les plus . propics a
déchirer le coeur. Le peuplédans tous les pays,
va voir untfpeétacle des plus affreux , je veux dire
le fupplice d'un autre homme, fut - tout fi cet
homme doit fubir la rigueur des lois, fur un échafaud
, par d'horribles tourmens. L'émotion qu'on
éprouve à un tel fpeétacle, devient -une efpèce
d'attendriffement dont les mouvemens remuent
l'ame avec v i o l e n c e o n s’y laiffe entraîner,
malgré les idées trilles & importunes qui accompagnent
& qui fuivent ces mouvemens. Repaffez,
ii vous le voulez, avec l'abbé du B os , qui a fi
bien prouvé cette vérité, l'hiftoire de toutes les
nations lés plus-policées, vous les verrez toutes
I fè livrer à 1 attrait des fpeéïacles barbares, dans
le temps que la nature témoigne par un frémif-
fement intérieur', qu’elle-, fe foulève contre fon
propre plaifir.
Les grecs >,que , fans doute, perfonne ne taxera
de penchant à la cruauté, s'accoutumèrent eux-
mêmes aux fpeclacks des gladiateurs , quoiqu'ils
n euffent point été fàmiliarifés à ces horreurs dès
l’enfance. Sous le règne d'Antiochus-Épiphane ,
roi de Syrie, les arts & les fciences faites pour
corriger la férocité dé l'homme, fiorifîbient depuis
long - temps dans tous les pays habités par
les grecs ^quelques ufages pratiqués autrefois dans
les jeux funèbres, & qui pouvoient reffembier
aux combats des gladiateurs, y étoient abolis
depuis plufieurs fiècles. Antiochus , qui vouloit
par fa magnificence fe concilier la bienveillance
des nations , fit venir de- Rome, à grands frais,
d es gladiateurspour donner aux grecs, amoureux
de toutes les fêtes, ce fpeéfcacle nouveau. D'abord,
dit Tite-Live , l’arène ne leur parut qu’un objet
d’horreur. Antiochus ne fe rebuta point, il fît
combattre les champions feulement jufqu'au fang.
• On regarda ces combats mitigés avec plaifir :
bientôt on ne détourna plus les ^yeux des combats
à toute outrance j enfuite on s y accoutuma in-
fenfiblement aux dépens de l’humanité. II fe forma
enfin des gladiateurs dans le pays j & ces fpec-
tacles devinrent encore dès écoles pour les artiftes :
ce fut là où Ctéfilas étudia fon gladiateur mourant
, daps lequel on pouvoit voir ce qui lui reftoit
encore de vie.
Après tout, je ne difïîmulerai point que les
, romains n’ aient été.le peuple du monde qui a
fait des jeux barbares, fon plus cher divertifTe-
ment \ 8c tout ce que j’ai dit là-deffus ne le