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GORGONES. Trois foeurs, filles de Phorcus
Zc de G é to , & foeurs cadettes des Grées. Elles
demeuroient félon Héfiode, au-delà de 1 Océan,
à l'extrémité du monde, près du féjour de la
nuit; là même où les hcfpérides font entendre
les accens de leurs voix.
Les noms des gorgones, font Sthéno, Euryale
St Médufe, fi célèbre par fes malheurs. Celle-ci
étoit mortelle, au .lieu que fes deux foeurs n e-
toient fujettes ni à la vieilleffe, ni a la mort. Le
Dieu fouverain de la mer, fut fenfible aux charmes
de Médufe; & fur le gazon dune prairie,
au milieu des fleurs que le printemps fait eclore,
il lai donna des marques de fon amour.^ Elle
périt enfuite d'une manière funefte ; Perfée lui
coupa la tête. .
Les trois gorgones difent encore les poètes, ont
des ailes aux épaules ; leurs têtes font hériffées
de ferpens, leurs mains font d'airain , leurs dents
font aufli longues que les défenfes des plus grands
fangliers ; objet d'effroi & d'horreur pour les
mortels ; nul homme ne peut les regarder en face,
qu'il ne perde aufii-tôt la vie ; elles le pétrifient fur
le champ , dit Pindare. Virgile ajoute qu'après
la mort de Médufe, Sthéno & Euryale allèrent
habiter auprès des enfers, à la porte du noir
palais de Pluton, où elles fe font toujours tenues
depuis avec les Centaures j les Scylia, le géant
Briariée, l'hydre de Lerne, la Chimère, les Harpies,
& tous les autres monftres éclos du cerveau
de ce poète.
Multaque prsterea vdriarunl monjlrdferarum. . . .
Gorgones , harpi&que. . . .
Il n’y a peut-être rien de plus célèbre dans
les traditions fabuleufes que les gorgones , ni rien
de plus ignoré dans les annales du monde. C ’eft
fous ces deiix points de vue , que l’abbé Maffieu
a envifagé ce fujet dans une favante differtation,
dont le précis, pourra du moins fervir à nous convaincre
du goût inconcevable de l ’efprit humain
pour tes chimères.
En effet, la fable des gorgones ne femble être
inïtte chofe qu’un produit extravagant de1 l'imagination
, ou bien un édifice monftiueux élevé
fur des fondemens, dont l'origne eft l’écueil dé la
fagacité des critiques. Il eft vrai que pjufîêürs
hiftoriens ont tâché de donner à cette fable , une
forte de réalité ; mais il ne paroît pas qu’on puiffe
faire aucun jfond fur ce qu'ils en rapportent,
puifque le récit même-de Diodoré de Sicile &
celui de Paufanias , n’ont l'air que d’un roman.
Diodore affûte que les gorgones étoiene des
femmes guerrières , qui habitaient la L ybie, près
du lac Tritonide ; qu’elle’furent fouvent en guerre
.avec les Amazones leurs v.oifmes; qu'elles avoient
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Médufe pour reine, du temps de Perfée qui lès
vainquit î 8c qu'enfin Hercule les détruifit entier
rement ainfi que leurs rivales, perfuadé que dans
le grand projet qu’il avoit formé d’être utile au
genre humain, il n’exécuteroit fon deffein qu-en
partie-, s’il fouffroit qu’il y eût au monde quelques
nations qui fuffent foumifes à la domination des
femmes.
La narration de Paufanias, s’accorde affez bien
avec celle de Diodore de Sicile ; 8c tandis que tous
les déni font paffcrles gorgones pour des héroïnes,
d’autres écrivains en font des monftres tertiblês.
Suivant ces derniers, les gorgones lie font point
des femmes belliqueufes qui aient vécu fous une
forme de gouvernement, 8c dont la puiffance fe
foit long-temps foucènne ;. c’étoient, difent-rls,
des femmes féroces d’une figure monfttueufe , qui
habitoicnt les antres 8c les forêts, fe jettoient fut
les paffans, 8c faifoient d’ affreux ravages : mais ces
mêmes auteurs qui conviennent fur ce point, different
fur l’endroit au’ils afiîgnent pour demeure a ces
monftres. Produs de Carthage, Alexandre de
Mynde , 8c Athenée les placent dans la Lybie ;
au lieu que Xénophon de Lsmpfaque, Pline 8c
Solin prétendent qu’elles habitoicnt les ifles Gor-
gades.
Alexandre de M-yndè cité par Athenée, ne
veu ' s même que lès gorgones fuffent des femmes
; . que c ’étoient de vraies bêtes féroces,
p- oient les hommes en les regardant.
11 y a , dit-il, ;ans la Lybie , un ahimal que les
Nomades appellent gorgones , qui affez l’aie
d’une brebis fauvage, 8c dont le fouffle eft fi
empefté, qu’il infeéte tous ceux qui l'approchent,
une longue crinière lui tombe fur les yeux,-8c
lui dérobe l’ ufage de’ la vue] elle eft fi épaiffe
8c fi péfante cette crinière, qu’il a bien de la
peine à l’écarter pour voir les objets qui font
autour de lui ; iorfqu’il en vient a bout, par
quelque effort extraordinaire, il renverfe par terre
ceux qu'il regarde, 8c les tue avec le poifon qui
fort de fes yeux : quelques foldats de Marius,
ajoute-t-il, en firent une trille expérience: dans
le temps de la guerre contre Juguuha; car ayant
rencontré une de ces gorgones , . ils fondirent
deffus peur la percer de leurs épeeS; l’animal
effrayé, ’ rebrouffa fa crinière 8c les . renverfa
morts d'un feul regard : enfin quelques cavaliers
Nomades, lui drefsèrent.de loin des embûches,
le tuèrent à Coup de jaVetot ', 8c le portèrent.-aa
général. " f. . _
XénophondeLampfaque .Pline 8cSolinaffurent
que les gorgones étoient des femmes f'Uvages, qui
égaloient par la viteffe de leur courte , le vol des
Oifeaux. Selon’ te premier des auteurs, cité pat
SoliH , Hantton, général des Carthaginois , n’en
put prendre que dxux , dont le ^corps-i.étôit fi
v elu , que pour en conferver la mémoire comme
d’une chofê incroyable, on attacha leur peau dans
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le temple de Junon , où elles demeurèrent fuf-
pendues parmi les autres offrandes, jufqu a la
ruine de Carthage.
Si les auteurs qu’on vient de citer, ôtent aux
gorgones h figure humaine -, Paléphate & Ful-
gence les leur reftituent; car ils’-Coutiennent que
c'étoient des femmes opulentes > qui pofîedoient
de grands revenus, & les faifoient valoir avec
beaucoup d’induftrie : mais ce qu'ils en racontent
paroît tellement ajufté à la fable, qu'on doit
moins les regarder comme des hiftoriens qui dé-
pofent, que comme des fpéculatifs qui cherchent
à expliquer toutes les parties d'une énigme qu'on
leur a propofée.
.Paléphate, pour accomoder de fon mieux fes
explications aux fi&ions des poètes ,■ nous dit que
la gorgone n'étoit pas Médufe, comme on le
croit communément, mais une ftatue d'or représentant
la déelfe Minerve, que les Cyrénéens
appelloient gorgone. Il nous apprend donc que
Phorcus originaire de Cyrene, & qui pofledojt
trois ifles au delà des colonnes d’Hercule, fit
fondre pour Minerve, line ftatue d'or haute de
quatre coudées, & mourut avant que de l'avoir
confacrée. C e prince, dit-il, lailfa trois filles,
Sthénio, Euryale & Médufe, qui fe douèrent
au célibat, héritèrent chacune d'une des ifles de
leur pere; & ne voulant ni confacrer ni partager
la ftatue de Minerve., elles la dépofèrent
dans un tréfor qui leur appartenoit en commun 5
elles n'avoient toutes trois qu'un même miniftre,
homme fidèle & éclairé, qui paffoit fouvent dune
ifle à l'autre pour l'adminiilration de leur patrimoine
; c’eft ce qui a donné lieu de dire qu'elles
n'avoient à elles trois qu'une corne & qu’un oeil »
qu'elles fe prêtaient alternativement.
Perfée, fugitif d’Argos, • courant lés mers &
pillant les côtes, forma le defléin d'enlever la
ftatue d'or, furprit & arrêta le mihiftre des gorgones
dans un trajet de mer: ce qui a encore donné
lieu aux poètes, de feindre qu'il avoit volé l'oeil
des gorgones, dans le temps que l'une le remettait
à l'autre. Perfée néanmoins leur déclara qu'il le
leurrendroit, fi elles vouloient lui livrer la gorgone ,
ceft-à-dire, la ftatuede Minerve,& il en attacha la
tête à la proue de fon vaifleau. Comme la vue
de cette dépouille & L'éclat des expéditions de
Perfée, répandoit par-tout la terreur, on dit qu'avec
la tête de Médufe, il changeoit fes ennemis en
rochers & les pétrifioit. A lire ce détail, ne
crolröit-onpas que tous ces événemens fon réels &
fe font paffe« fous les yeux de Paléphate ? Comme
Fulgence n’a fait que coudre quelques circonftan-
ces indifférentes à cette narration , il eft inutile
de nous y arrêter.
^ Selon d’autres hiftoriens, les gorgones n’étoient
rien de tout ce que nous venons de vorn c'étoient
trois foeurs d’une rare beauté, qui faifoient fur
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tous ceux qui les regardoient des impreflîons fur*
prenantes, on difoit qu'elles les ^ changeoient en
pierre j c'eft par exemple, l’opinion d Ammonius
oerenus ; Héraclide eft du même fentiment, avec
cette différence, qu'il s’exprime d'une manière peu
favorable à la mémoire des gorgones , car il les
peint comme des-perfonnes qui faifoient de leurs
charmes un honteux trafic.
Mais enfin il y a des écrivains aufli anciens
que ces derniers, - q u i, loin d'accorder aux
gorgones une figure charmante 3 nous afiurent au
contraire que c'étoient des femmes fi laides, -iî
difgraciées de la nature, qu'on ne pouvoit jettes
les yeux fur elles, fans être comme .glacé d'horreur.
Tout ceci fuffit fans doute , pour prouver que
tous les récits, des hiftoriens fur les gorgones, font
remplis de contradiélions-f car fous quelles formes
différentes ne nous les ont-ils pas repréfentées ?
Ils en ont fait des héroïnes, des animaux fau-
vages & féroqes, des filles économes & laborieu-
fes, des prodiges de beauté, des monftres de
laideur, des modèles de fagefle qui ont mérité
d'être mifes tantôt au rang des femmes illuftres
& tantôt au rang des courtifanes fcandaleufes.
La moitié de ces mêmes hiftoriens les placent
dans la Lybie i l'autre moitié les tranfporte à
mille lieues de là , & les établit dans les Orcadés.
Les uns tirent leur nom d e y^ y» ^ mot cyrénéen
qui veut dire Minerve : d'autres de yopyav, nom
lybique d'un animal; & d’autres enfin du mot
grec yeepyoV, qui fignifie laboureur* Quel parti
j prendre entre tant d’opinions différentes? Celui
d'avouer qu’elles font à-peu près également dénuées
de vraifemblance.
Ce n'-eft pas tout ; quelques merveilles que les
hiftoriens aient publiées touchant les gorgones,
les poètes ont encore renchéri fur eux; & il ne faut
pas en être étonné. On fait qu’un de leurs droits
principaux eft de créer; s'ils en ufent volontiers
dans toutes les matières qu'ils traitent, on peut
dire qu'ils en ont abufé dans celle-ci; ils fe font
donné pleine carrière, & les frétions qu’ils nous
’ ont débitées fur ce point, font autant de merveilles
dont ils ont furchargé le tableau.
Homère feul s'eft conduit avec la plus grande
referve ; il fe contente de nous dire que fur l'égide
de Minerve, & le bouclier d’Agamemnon ,
fait d’après cette égide, étoit gravée en relief
l’horrible gorgone lançant des regards effroyables au
milieu de la terreur & de la fuite.
Mais fl le prince des poètes eft concis, H é *
flode en revanche s’eft appliqué à fuppléer à cette
brièveté, par des portraits de main de maître,
dont il a cru devoir embellir fon poème du bouclier
d’Hercule & celui de la généalogie des dieux:
on diroit qu'il n'a eu deffein dans le premier ou