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dë Ton mafque, dont le fourcil étoit rabattu, &
lorfqu’il changeoit de fentiment , il marchoit fur
le théâtre * & il faifoit li bien, qu’ il préfentoit le
côté du mafque dont le fourcil étoit Froncé , ob-
fervant dans l’une & dans l’autre fituatiôn 3 de
fe tourner toujours de profil. Nous avons des
pierres gravées qui rep'réfentent de ces mafquet
à' double vifage , & quantité qui repréfentent de
fimples mafques tout diverfifiés. Pollux en parlant',
des mafques de caraflères, dit que celui du vieillard
qui joue le premier rôle dans la comedie ,
doit être chagrin d’un côté , & ferein de 1 autre.
Le même auteur dit aufli, en parlant des mafques
des tragédies, qui doivent être caraflérifés , que
celui de Thamiris, ce fameux téméraire que les
IVIufes rendirent aveugle, parce qu’il avoir ofé
Jes défier, devoir avoir un oeil b leu , 8c l’ autre
noir. , ,, .
Les mafques des anciens mettoient encore beaucoup
de vraifemblance, dans ces pièces excellentes
où le noeud naît de l’erreur , qui fait prendre un
perfonnage pour un autre perlonnage, par une
partie des afleurs. Le fpeflateur qui fe trompoit
lui-même, en voulant difcerner deux afleurs,
dont le mafque étoit aufli reffemblant qu’on le
vouloit, concevoit facilement que les afleurs s’ y
mépriffent eux-mêmes. Il fe livroit donc fans peine
a la fuppofition fur laquelle les incidens de la
pic ce font fondés , au lieu que cette fuppofition
eft fi peu vraifemblable parmi nous,^que nous
avons beaucoup de peine à nous y prêter. Dans
la repréfentarion des deux pièces que Molière
& Regnard ont imite'es de Plaute , nous recon- -
noiflons diftinflement ies perfonnes qui donnent
lieu à l’erreur, pour être des perfonnages diffé-
rens. Comment concevoir que les autres afleurs
qui les%oient encore de plus près que nous,
puilfent s’y méprendre ; ce n’ eft donc que par
l’habitude où nous fommes de nous prêter à
toutes les fuppofitions établies fur le theatre par
l’ ufage , que nous entrons dans celles qui font le
noeud de l’Amphitrion & des Ménechmes.
Ces mafques donnoient encore aux anciers la
commodité de pouvoir faire jouer à des hommes
ceux des perfonnages de femmes, dont la déclamation
demandoit des poumons plus robuftes que
ne le font communément ceux des femmes, fur-
tout quand il falloir fe faire entendre en des lieux
aufli vaftes que les théâtres l’étoient à Rome. En
effet, plufieurs paffages des écrivains de l’antiquité,
autre autres le récit que fait Aulugelle de
l ’aventure arrivée à un Comédien nommé Polüs ,
qui jôuoitle perfonnage d Eleflre, nous apprennent
que les anciens diflribuoient fouvent à des
hommes des rôles de femme. Aulugelle raconte
donc que cePolus jouant fur le théâtre d’Athènes
le joie d’Electre dans la tragédie de Sophocle ,
il entra fur la fcêne en tenant unè urne où étoient
véritablement les cendres d’ un de (es enfans qu’il
venoit de perdre. Ce fut dans l’endroit de la
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pièce où il falloit qu’Eleflie parut tenant dans
fes mains l’Urne où elle croit que font les cendres
de fon frère Orefte. Comme Polus s’attendrit
exceflivemént en apoftrophant fon urne, il toucha
de même toute l’ affemblée. Juvénal d it, en
critiquant Néron, qu'il falloit mettre aux pieds
des ftatues de cet empereur des mafques, des
thyrfes, la robe d’Antigone enfin, comme une
efpèce de trophée'qui confervât la mémoire de
fes grandes aftons. Ce difcours fuppofe mani-
feftement que Néron avoit joué le rôle delà fcene
d’Etéocle & de Poljnice dans quelque tragédie.
On introduifît aufli , à l’aide de ces mafques ,
toutes fortes de nations étrangères fur le théâtre,
avec la phyfionomie qui leur étoit particulière.
Le mafque du Batave aux cheveux roux , 8c qui
eft l’objet de votre rifée, fait peur aux enfans,
dit Martial :
Rufi perfona Batavi
Qua tu derid.es y h&c timet ora puer.
Ces mafques donnoient même lieu aux amans
de faire des galanteries à leurs maîtrefles. Suétone
nous apprend que lorfque Néron montôit fut ie
théâtre pour y repréfenter un dieu oit un héros ,
il portoit un mafque' fait d'après fon vilage ; mais
lorfqu’il y repréfentoit quelque dëeiTe ou quelque
héroïne, il portoit alors un mafque qui reflembloit
à la femme qu’ il aimoit aélnellement. Heroùm deo-
rumque , item keroidum vperfonis effe&is adjimili-
tudinem oris JW, &feminaprout quamque diligeret.
Julius Pollux qui cdmpofa fon ouvragé pour
l'empereur Commode, nous allure que dans 1 ancienne
comédie grecque, qui fe donnait la liberté
de caraéterifer & de jouer les citoyens vivans ,
les aéteurs portoient un mafque qui reflembloit à
la perfonné qu’ils repréfentoient d ansja pièce.
Ainfi, Socrate a pu voir fur le théâtre d’Athènes
un aiteur qui portoit un mafqut qui- lui refi
fembloit, lorfqu’Ariilophane lui fit jouer un perfonnage
fous le propre nom de Socrate dans la
comédie des Ntiees. Ce même Pollux nous dçmne
dans le chapitre de fon livre que je viens déciter,
un détail curieux fur les différens caraélères des
màfques qui fervoient dans les rèpréfentations
dès comédies, & dans celles des tragédies. _
Mais d’un autre c ô té ,ç e s mafques faifoiènr
perdre aux fpeâateurs le plailïr de voir naître des
paflions & de reconïioître leurs différens fyrttp-
tômes fur le vifage des afleurs-^ Toutes les ex-
prefilotu d’un homme paflïonné nous affi. tient
bien i mai.s les lignes de la paffion qui fe rendent
fenfibles fut fon vifage, nous affe&ent beaucoup
plus que les lignes de la paflion qui fe rendent
fenfibles par le moyen de fon gefte jj &
par la voix. Cependant les comédiens des anciens
ne pouvoient pas rendre fenfibles fur-, leur
vifage les lignes des paflion s._ Il étoit rare qu’ils
quittaient le mafque , & même il y avoit une
efpèce de'comédiens qui ne le quittoiert jamais.
Nous fouirons bien, il ell vrai, que nos corné-
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ùlens nous cachent aujourd’hui la moitié des 1
Agnes des pallions qui peuvent être marquées fur
le vifage. Ces lignes confiftent autant dans les
altérations qui fur viennent à la couleur du vifage
que dans les altérations qui furviennent à fes traits.
Of le rouge qui eft à la mode depuis 60 ans, &
que les hommes mêmes mettent avant que de
monter fur le théâtre, nous empêche d’apperce-
Vôir les changemens de couleur qui dans la nature
font une fi grande impreflîon fur nous. Mais le
mafque des comédiens anciens cachoit encore l’altération
des traits que le rouge nous laifle voir.
On pourroit dire en faveur de leur mafque,
qu’il ne cachoit point au fpeflateur les yeux du
comédien, & que les yeux font la partie du vifage
qui nous parle le plus intelligiblement. Mais
il faut avouer que la plupart des paflions , principalement
les paflions tendres , ne fauroient
être fi bien exprimées par un afleur mafqué
que par un afleur qui joue à vifage découvert. -
Ce dernier peut s’aider de tous les moyens
d’exprimer la paflion que l’afteur mafqué peut
employer, & il peut encore faire voir des
lignes des paflions dont l’autre ne fauroit s’ aider.
Je croirois donc volontiers, avec l’abbé du Bos ,
que les anciens qui avoient tant de goût pour la re-
préfentation des pièces de théâtre , auroient fa:t
quitter je mafque à tous les comédiens, fans une
raifon bien forte qui les en empêchoit; c’eft que
leur théâtre étant très-vafte & fans voûte, ni couverture
folide, les comédiens tiroient un grand fer-
vice du mafque, qui leur donnoitJe moyen de fe
faire entendre de tous les fpeéhteurs, quand d’ un
autre côté ce mafque leur faifoit perdre peu de
chofe. En effet, il étoit impoflible que les altérations
du vifage que le mafque cache , fufîent ap-
perçuès diftinftement des fpeélateurs, dont plufieurs
étoient éloignés de plus de douze ou quinze
toifes du comédien qui récitoit.
Dans une fi grande diftance , les anciens retï-
roient cet avantage de la concavité de leurs maf
ques, qui fervoient à augmenter le fon de la voix ;
c’eft ce que nous apprennent Aulugelle & Boece
qui en étoient témoins tous les jours. Peut-être
que l’on plaçoit dans la bouche de ces mafques
«ne incruftation de lames d’ airain ou d’ autres corps
fonores, propres à produire cet effet. On voit par
les figures des mafques antiques qui font dans les
anciens manufcrits, fur les pierres gravées, fur Les
médailles , fur les ruines du théâtre de Marcellus
& de plufieurs autres monumens , que l’ouverture
de leur bouche étoit exceflive. C ’étoit une efpèce
de gueule béante qui faifoit peur aux petits enfans :
Tandemque redit adpulpita notum
Exodium 3 cüm perfon& palientis hiaium,
In gremio matris formidat ruftieus infans.
( Juven. fat 3.)
O r , fu iv a n t le s a p p a r e n c e s t l e s a n c i e n s n ’ a u -
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roient pasfouffert ce défagrément dans les mafques
de théâtre, s’ils n’en avoient point tiré quelque
grand avantage 5 & ce grand avantage confiftoic
fans doute dans la commodité d’y mieux ajufter
les cornets propres à renforcer la voix des aéteurs.
Ceux qui récitent dans les tragédies, dit Prudence,
fe couvrent la tête d’un mafque de bois,
& c’ eft par l’ouverture qu’on y a ménagée , qu’ils
font entendre au loin leur déclamation.
Tandis que le mafque fervoit à porter la voix
dans l’éloignement, il faifoit perdre, par rapport
à l’expreflion du vifage, peu de chofe aux fpec-
tateurs, dont les trois quarts n’auroient pas été à
portée d’appercevoir l’effet des paflions fur le
vifage des 'comédiens, du moins afifez dift in clément
pour les voir avec plaifir. On ne fauroit démêler
ces expreflions à une diftance de laquelle on
peut néanmoins difcerner l’âge , & les autres traits
les plus marqués du caraélère d’un mafque. Il fau-
droit qu’une expreflion fût faite avec des grimaces
horribles , pour être fenfible à des fpeélateurs
éloignés de la fcène , au-delà de cinq ou fix toifes.
Ajoutons une autre obfervation ; c’eft que les
a fleurs des anciens ne jouoient pas comme les
nôtres , à la clarté des lumières artificielles qui
éclairent de tous côtés; mais à la clarté du jour,
qui cievoit laifîer beaucoup d’ombres fur une fcène
où le jour ne venoit guère que d’en-haut. O r , la
jufteffe de la déclamation exige fouvent que l’altération
des traits dans laquelle une expreflion
confifte, ne foit .prefque point marquée ; c’eft
ce qui arrive dans les fituations où il faet que
l’afleur laifle échapper, malgré lu i, quelques lignes
de fa paflion.
Enfin, les mafques des anciens répondoientau
refte de l’habillement des a fleu rs , qu’ il falloit
faire parôître plus grands & plus gros que ne le
font les hommes ordinaires. La nature & le ca-
raftère du genre fatyrique demindoient de tels
mafques pour repréfenter des fatyres, des faunes ,
des cÿclopes & autres êtres forgés dans le cerveau
des poètes. La tragédie fur-tout en avoit un
befoin indifpenfable , pour donner aux héros
& aux demi-dieux cet air de grandeur & de dignité
qu’on fuppofoit qu’ ils avoient eu pendant
leur vie. Il ne s’agît pas d’examiner fur quoi étoit
fondé ce préjugé, & s’il eft vrai que ces héros
& ces demi-dieux avoient été récljement plus
grands qué'nature ; il fuffit que ce fût une opinion
établie , & que le peuple le crût ainfi, pour
ne pouvoir les repréfenter autrement fans choquer
la vraifemblance.
Concluons que les anciens avoient l?s mafques
qui convenoient le mieux à leurs théâtres, &
qu’ils ne pouvoient pas fe difpenfer d’en faire
porter à leurs afleurs , quoique nous ayons raifon
à notre tour de faire jouer no^ afleurs à vifage
découvert.