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celle de Barbotan, & il la reconnut auflitôt pour
être tombée du ciel. Il me montra enfuite celle
qu il avoit: elle étoit en tout femblable aux nôtres,
« pouvoit pefer environ o k. 48 ( une livre ). C’é-
t^it fa femme qui l’avoit ramaffée devant fa porte
ou elle étoit tombée, & s’é t'oit enfoncée en terre.
La pierre portoit encore des traces de cette chute,
& le payfan me les fit remarquer. Il paroifloit tenir
a cette curiofité ; je ne la lui demandai point. Il
rne dit qu'il étoit du village de Saint-Sommaire.
J ai reconnu depuis que c’eft le canton où il en eft
tombe le plus.
« Un vieillard qui fe trouvoitlà me dit qu’étant
alors a travailler dans un champ près de l’Aigle,
il avoit vu dans l’air un petit nuage, d’où partoient
des explofions qui fe fuccédèrent pendant plu-
neurs minutes : il avoit entendu des pierres lïffler
oc tomber.
» De Sainte-Gauburge à l’Aigle j’interrogeai
pluiieurs payfans , qui s’accordèrent tous avec les
rapports cjue j’avois déjà recueillis. La nuit qui
lurvint m’etnpêcha de multiplier davantage ces informations
, qui d’ailleurs n’auroient pu me rien
apprendre de nouveau, puifque c’étoit de l’autre
coté de 1 Aigle que le météore avoit éclaté. J’arrivai
dans cette ville à dix heures du foir, le jour
meme de mon départ d’Alençon.
M j e me.re.n^,s auflîtôt chez notre confrère Leblond
j mais je ne pus le voir. Je fus d’ailleurs que
toute la ville avoit entendu, au jour & à l’heure
indiqués , un bruit effroyable. Il n’étoit point
tombé de pierres à l’Aigle même : on en avoit feulement
entendu parler. Des perfonnes qui étoient
alors à Caen m’aflurèrent qu’on y avoit entendu
le même bruit à peu près à la même heure, &
qu on avoit vu de plus un globe de feu qui avoit
caufé une grande frayeur.
** Le lendemain de mon arrivée je me préfentai
chez notre confrère Leblond. Je fus aufli heureux
que fhtté de trouver en lui les lumières d’un fa-
vant & la bienveillance d’un ami.
M. & fon beau-frère M. Humphroy,
ancien militaire, avoient tous deux, ainli que le
rcfte de leur famille, entendu le bruit du météore.
C ’étoit comme un roulement de tonnerre, qui
dura, fans interruption, pendant environ cinq minutes
, & qui étoit accompagné d’explolions fréquentes
, femblables à des décharges de moufque-
terie. Dans le premier moment on l’avoir pris pour
le bruit d’une voiture qui paffoit en roulant fur le
pavé, & pour celui que produit un feu violent
dans une cheminée.
« En rapprochant ces récits, faits par des hommes
éclairés, de ceux que nous avons recueillis
dans les campagnes fur une étendue de plus de
dix lieues de rayon, nous voyons qu’ ils font abfo-
lument d’accord pour le jour ^l’ heure & la nature
de l’explofion. Nous pouvons donc, avec toute
certitude, en déduire les conféquences fui vantes :
» I l y a eu aux environs de L'Aille , le mardi 6
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floréal an x ï , vers une heure apres midi , une explo,
fion violente, qui a duré pendant cinq ou fix minutes,
avec un roulement continuel. Cette explofion a été entendue
a près de trente lieues a la ronde.
«Si nous rapprochons le récit fait par le Courier
de Breft, relativement au globe de feu qu’il a
apperçu , de ce qu’ont dit les voyageurs venus de
Caen & de Falaife, & de ce que contiennent les
lettres écrites de cette dernière ville le jour même
de l’explofion, nous trouverons que ces récits s'accordent
pour le jour, l’heure & la dire&ion de ce
météore.
r J’ai fu depuis, par d’autres renfeignemens,
que le même phénomène a été^yu, à peu près au
même inftant, à Pont-Audemer & aux environs de
Verne uil.
» De ces témoignages réunis on peut encore
déduire comme certaine cette fécondé confé-
quence:
« Le mardi 6 floréal an x i , quelques inflans avant
l explofion de V Aigle, il a paru dans Vair un globe
lumineux, animé d'un mouvement rapide. Ce globe \
n a pas été obfervé a l'Aigle y mais il Va été de plu-
fleurs autres villes environnantes , & trés-difi antes Us
unes des autres.
» J’ai pris toutes les mefures nécelîaires pour
avoir des renfeignemens précis & multipliés des
différens lieux où l’on a apperçu ce phénomène,
afin d’en déduire la marche qu'il a tenue, & de le
fuivre, s’il eft poftible , dans toute l’étendue de
fon cours. Mais en attendant, fi l’on confidère le
jour & l’heure auxquels il a été obfervé,-la route
qu'il a prife & l’explofion qui a fuccédé à fon apparition
, nous en tirerons, avec autant de certitude
, cette troifième conféquence :
« U explofion qui a eu lieu le; 6 floréal, aux environs
de L'Aigle, a été la fuite de Vapparition d'un
globe enflammé qui a éclaté dans l'air.
« Et il eft à remarquer que ces réfultats s’accordent
parfaitement avec les defcriptions que l’on a
déjà faites des météores auxquels on attribue la
chute des mafles minérales.
« Je viens maintenant à la queftion même de la
chute de ces mafles; & comme c’étoit là la partie
la plus importante du phénomène, c’eft celle aufi
à laquelle j’ai donné le plus de foin, de détail &
de tems.
« Les premiers renfeignemens que je reçus à
l’ Aigle fur cer objet, me furent donnés par M. Humphroy,
& font relatifs à une pierre pefant 8 k.
( 17 livres & demie) , que l’on dit être tombée à
la yaftblerie, village fitué à une lieue au nord de
l ’Aigle. M. Humphroy, guidé par le bruit public,
étoit allé fur les lieux le jour même, d’après j ’in-
vitation de fon beau-frère M. Leblond. Il avoit
encore vu les payfans affemblés autour du trou
| que la pierre avoit fait en tombant. Elle étoit déjà
réduite à 6 k. ( 12 livres & demie ) , parce que
tout le monde s’ emprefloit de s'en procurer des
mviceaux. M. Humphroy obtint facilement ce qui
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en reftoit, & le porta à fon frère, qui l’envoya
de fuite à Paris. J’en pofiède un échantillon bien
cara&erifé. <
M M. Leblond, faififfant l’importance de ce phénomène
, fe tranfporta auilitôt fur les lieux. 11 vit
encore les payfans aftemblés ; il remarqua avec eux
la profondeur du trou , qui étoit de o m. 5 ( 18 à
io pouces); il vit la terre lancée autour à plus de
4m. 86 ( 15 pieds) de diftance. 11 retira du fond
dit trou trois gros fiiex, qui paroiffoient avoir empêché
la pierre de pénétrer à une plus grande profondeur.
» J’ai vu depuis avec lui cette trace effrayante
du météore ; j’ai entendu ies récits des propriétaires
de cette habitation ; j’ai entendu les témoignages
des enfans qui étoient reftés dans la maifon
lorfque la mafle tomba à vingt pas d’eux, & voici
les renfeignemens que j’en ai reçus.
» Le père de ces enfans revenoit de l’Aigle avec
fa femme & fa belle-fille; ils entendirent tout à
coup dans l’air un bruit de tonnerre extraordinaire,
accompagné d’un roulement femblable à
celui d’un grand feu dans une cheminée. Il n’y
avoit prefque point de nuages dans l’air, fi ce n’ell:
un petit nuage noir 8c quelques autres, comme
on en voit fréquemment, mais point d’apparence
d’orage. Ce bruit fembloit partir du petit nuage,-
& s’éloignoit devant eux en fouflant & bourdonnant
toujours. Ils étoient tous trois extrêmement
effrayés. La jeune femme fe trouva mal, & le père
n’ofoit parler. Ce bruit effrayant ne dura que quelques
minutes. En arrivant chez eux ils virent tous
leurs voifins aftemblés, & crurent qu’ il étoit arrivé
quelque malheur pendant leur abfence : ils s'approchèrent,
& on leur montra la mafle que l’on
venoit de déterrer. Le père la pefa auffuôt : fon
poids étoit de 8 k. 65 (17 livres & demie), comme
je l’ai rapporté.
» Le fils, revenu des champs, me donna des
détails encore plus précis : c’étoit lui & fes frères
qui étoient accourus les premiers au bruit de la
chute de la pierre, & qui l’avoient déterrée.
«Il dînoit avec fes frères & foeurs fous un noyer
u’il me montra. Tout à coup ils entendirent au
effus de leur tête un bruit de tonnerre effroyable,
accompagné d’un roulement fi continuel, qu’ils fe
crurent prêts à périr. Le jeune homme dit à fes
frères de fe coucher par terre, de peur d’être
emportés. Alors ils entendirent dans le pré voifin
un terrible coup, qu’ils comparent à celui d’un
tonneau plein qui tomberoit de haut. Ils couru-'
re,nt à cet endroit, dont ils étoient féparés par
une haie ; ils virent cette pierre qui étoit enfoncée
fi profondément, quelle avoit fait fourdre l’eau.
53 J’ai examiné, avec notre confrère Leblond,
le trou d’où cette mafle a été tirée* Il eft fitué à
l’entrée d’un herbage humide, 6c dont le fol ne
renferme aflurément rien de femblable parmi fes
produits naturels. Peut-on raifonnablement fup-
pofer qu’une mafle aufli confidérable eût exilté
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depuis long-tems, fans avoir été remarquée, dans
un lieu où l’on paffoit fréquemment ? que tout à
coup les enfans de la maifon & les voifins fe
fuflent réunis , par un fimple hafard, pour affirmer
qu’ils avoient eiitendu tomber dans ce même lieu
quelque chofe de très lourd, avec un très-grand
bruit? que toutes ces circonftances eu fient coïncidé
avec ce qui fe paffoit au même inftant a deux
lieues de là, & qu’enfin aucun des fpeétareurs ne
fe fût rappelé d’avoir vu précédemment cette
pierre ? Voilà pourtant toutes les particularités dont
il faudroit fuppofer la réunion pour infirmer la
vérité de ce témoignage.
« Obfervons encore une circonftance très-importante.
Puifque les payfans avoient fur le lieu
même , & en peu d’ inftans, détaché tant de frag-
mens de cette mafle minérale , il paroît qu’elle
n’avoit pas alors l’exceflïve dureté que nous lui
trouvons aujourd’hui. En effet, notre confrère
Leblond afîure que, lorfqu’elle fut portée chez
lu i, elle étoit encore très-facile à caff.r, & les
petits morceaux que l’on en féparoir, s’égrenoient
fous les doigts. Voilà aflurément un fait attefté
par un témoin oculaire, digne de toute confiance.
La même chofe m’a été affirmée depuis dans vingt
endroits différens, & par tous ceux qui ont manié
ces fubftances dans les premiers momens. Or , un
paffage auffi prompt d’un état friable à une foiidité
complète, annonce la préfence d’une caufe qui
avoit récemment troublé leur agrégation. Cela
s’accorde donc avec les témoignages pour prouver
que ces mafles minérales font étrangères aux lieux
où elles fe trouvoient alors, & qu’elles y avoient
été nouvellement tranfportées.
» En revenant de la Vafiolerie, je pris des renfeignemens
propres à me faire connoïtre la route
que le météore avoit fuivie, & l’étendue de pays
fur laquelle il paroiffoit avoir éciaté. Ces premières
informations me donnèrent pour limites la ville
de l’Aigle d’une part, & de l’autre cinq villages,
nommés Saint-Antonin, Glofs, Couvain, la Ferté-
Frefnel & Gauville. C ’étoit une étendue de trois
lieues de long, fur deux lieues de large, que je
me propofai de parcourir complètement le lendemain.
» Je partis à fix heures du matin, accompagné
d'un guide qui connoifloit bien le pays & les habi-
tans. Nous allâmes d’abord au château de Fon-
tenil, où tous les témoignages plaçoient le commencement
de l’explofion. Les maîtres étoient
abfens; je parlai au concierge du château, qui me
parut un homme fenfé & digne de foi. Il avoit
entendu, comme tout le monde, plufieurs coups
violens, femblables à des coups de canon , fuivis
d’un bourdonnement pareil à celui du feu dans
une cheminée. Tout à coup on avoit entendu, fur
la terre de l’enclos qui environne le château , un
grand coup fourd, comme d’un grand arbre qui
tomberoit après avoir été ébranché. Les ouvriers
qui travailloient dans un bois voifin accoururent