de tous les tems, le plus favorable eft celui où
les eaux baffes viennent peu après des déborde-
mens. Les rivières & les torrens agiffent avec plus
de force contre les mines fur lefquelles elles paf-
fent pendant que leurs eaux font groffes j elles en
détachent plus de parties , qu'on trouve moins
enfoncées dans le fable fi on les va ramaffer peu
après que les eaux font retirées. Les payfans des
environs des rivières de Cèze & du Gardon ne
manquent guère aufli ces heureufes circonftances.
La récolte des paillettes de l'Arriège a été plus
petite l'an paffé ( 17 ■ 7 ) qu’à l'ordinaire , parce
que fes eaux ont toujours été baffes.
» Les paillettes font fouvent fi petites, & en fi
petit.e quantité dans le fable, quelles échappent
aux yeux les plus clairvoyans & les plus attentifs.
Mais il eft fouvent aifé d'appercevoir des endroits
ou le fable a une couleur noirâtre ou rougeâtre ,
& en général les endroits où il eft d’une couleur
un peu différente de celle qu’on lui voit ailk.
ur,s* Ce fable noirâtre ou ce fable d'une couleur
différente de celle du refte eft toujours celui à
qui il faut s'attacher. S'il y a de l'or, c'eft là qu'on
le trouve, ou on l'y trouve plus abondamment
qu'ailieurs.
» Venons à préfent à la manière dont on fépare
ces paillettes du fable : c'eft un ouvrage qui fem-
bleroit ne convenir qu'à ces fourmis . fabuleufes
des Indes. On n'oferoit l'efpérer de l'adreffe des
hommes, fi on ne favoit qu'elle en vient à bout
tous les jours. Tel boiffeau de fable ne contient
quelquefois que deux ou trois grains d'or aufli
petits que la pointe d’une aiguille. On les trouve
pourtant, ces deux ou trois grains j on les fépare
du refte du fable par une manoeuvre très-fimple,
par de feules lotions réitérées. L’idée qu'on
s eft faite des richeffes du Pérou fera peut-être
regarder avec une efpèce de pitié nos amaffeurs
de paillettes, qui vont chercher fi peu d’or dans
de fi grands tas de fable : on ne fait point affez
combien la nature a été avare de ce métal dans
tous les pays. Le Voyage de la mer du Sud de
M. Frézier, voyageur fage & éclairé, imprimé
depuis peu , eft cependant bien propre à faire
revenir de cette^ prévention. Il nous apprend qu’à
Copiago au Chily le caxon des mines les plus
ricnes, c’eft-à-dire, le poids de cinq milliers, ne
donne qu’environ douze onces d’or, & que l’on
n’en tire que1 deux du caxon de celles qui ne paient
que les frais du travail. Chercher deux onces d'or
dans cinq milliers de matière n'eft pas un ouvrage
fi éloigné de celui de nos amaffeurs de
paillettes.
» La principale partie de leur travail, comme
nous l’avons dit, confifte en des lotions : c'eft en
lavant le fable qu'ils en dégagent les paillettes :
cette manipulation eft prefque toujours la bafe de
la préparation des mines, aufli a-t-elle été décrite
amplement par Agricola, Erker & les autres mé-
tallurgiftes. Nous croyons cependant devoir rapporter
les manières de laver les fables , tifîtées en
France.Elles entrent naturellement dans le projet
de 1 hiitoire de nos rivières aurifères, & ceux à
SU1 lè&ure dès auteurs qui en parlent, n’eft pas
familière, y trouveront les principales particularités
de ce travail.
95 Nous avons mis le Rhin à la tête de notre
hue } nous commencerons aufli par la manière
dont °n lave fon fahle, & nous ajouterons dans
I f . en qu°i les pratiques des autres endroits en
different. Après que le laveur (c'eft à préfent le
nom de notre chercheur de paillettes ) a choifi un
endroit au bord du fleuve dont il a bon augure ,
il y établit fes petitesmachines, qui ne demandent
pas grand appareil. La principale pièce eft une
planche longue d'environ cinq pieas, large d’un
pied & demi, & épaiffe de deux pouces, qui de
chaque coté & à un de fes bouts, a un rebord
Q un pouce & demi de haut ou à peu près. kj appuie
le bout qui a un rebord à terre, & pofe l'autre
fur un tieteau d’un pied & demi de hauteur. Sur
cette planche inclinée il cloue légèrement trois
morceaux de gros drap ; ils ont chacun une largeur
égalé a celle de la planche , & environ un pied de
long. Il attache le premier affez près du bout fu-
peneur de la planche, le fécond à un pied du
premier, & le troifième pareillement à u» pied du
fécond.
» Il affujettit de plus, fur le bout fupérieur de
la planche , une efpèce de corbeille faite de bois
de corneiller fauvage , en manière de claie : fon
fond eft un ovale dont la convexité eft tournée
ver* 'e bout inférieur de la planche. Cette corbeille
eft le premier crible au travers duqud il va
facer fon labié pour en féparer les pierres, les
cailloux & le gravier.
» Auprès de cette petite machine il forme un
tas du fable de la rivière : avec une pelle ii rem-
plit la corbeille ; avec une autre pelle il prend
enfuite de l'eau, qui ne lui manque pas; il la jette
dans la corbeille : l'eau délaie le fable ; elle l'entraine
avec elle au travers du crible, dans lequel
notre laveur continue à verfer de l'eau jufqu'ü ce
<P*1 n‘v refte plus que celui qui eft trop gros pour
5 r uî ’ 1 oter <1. remplit une fécondé fois fa claie
de fab.e, & continue ainfi pendant quelque tems
a facer par le moyen de l'eau.
“ On peut diftinguer les grains entraînés par
I eau en trois efpèces, fi on les confidère fimple-
ment par rapport à leur groffeur & à leur pefan-
teur*: 1 * a tÊrre > la pouflîère, tout ce qui eft
extrêmement fin & léger, eft emporté par l’eau
julqu au bas de la planche j 20. les plus gros grains,
poulies par 1 eau & par leur pefanteur, arrivent ;
mais les paillettes font fi déliées, qu'011 n’appréhende
pas qu’elles foient mêlées avec ceux ci 5
* . enfin, les grains fins, mais pefans, & qui nont
pu, comme la pouflîère, être délayés par l'eau,
rencontrent en defcendant la furface de la planche^
iis y font arrêtés par les poils du drap 5 ce
font pour eux autant de petites digues difpofées
d’efpace en efpace, qu'ils n’ont pas la force de
vaincre. C'eft parmi les grains de cette dernière
efpèce que fe trouvent les paillettes d'o r , qui
y font encore confondues avec un volume de fable
qui furpaffe confidérablement le leur.
» Après que la claie ou le crible a été rempli
un certain nombre de fois, les morceaux de drap
font tout couverts de fable, & ne feroient plus
en état d'en arrêter de nouveau : on les détache ,
on les lave dans une cuve pleine d'eau pour leur
ôter le fable qu'ils ont retenu , qui a fait l'objet
du travail précédent. Enfin, on attache une fécondé
fois les morceaux de drap fur la planche,
& on répète les manoeuvres que nous avons rapportées
, jufqu’à ce qu'on ait amaffé une certaine
quantité du fable qui eft retenu par le drap.
» La façon de laver a été jufqu'ici *groflière : on
lave avec plus de précaution le fable riche qu'on
a raffemblé ; on en met une partie dans un vafe
de bois, creux, en manière de nacelle j c'eft la figure
qu'a celui des laveurs du Rhin. Le laveur
remplit d’eau cette nacelle ; il la prend enfuite à
deux mainsî il l'agite plus légèrement, mais
dune manière affez femblable à celle dont on
agite le van à bras pour vanner le blé : le but de
ces deux manipulations eft aufli le même 5 le va-
neurfe propofe de faire venir en deffus les pailles
& les grains les plus légers j notre laveur veut aufli
amener le fable le plus léger au deffus de l'autre ;
il donne aux grains les plus pefans la facilité de
defcendre jufqu'au fond du vafe. C'eft ici pour
ainfi dire une façon de vanner à l'eau. L'eau, qui
foulève.les grains légers, qui les fépare des pe-
lans, donne à ceux-ci le moyen de fe dégager des
autres, de giiffer. Enfin , quand une partie des
grains légers a pris le deffus, on verfe doucement
l’eau j elle*les entraîne. Au refte, il eft aifé de
voir fi ce font les grains légers, qui font deffus :
leur couleur eft différente de celle des autres, &
prefque toujours blanchâtre. Quand on a mis le
vafe dans une pofition inclinée , on diftingue, depuis
fon fond jufqu’à fes bords , trois à quatre
bandes de nuances différentes, qui montrent l'ordre
des matières de différente pefanteur.
• » Ce travail fimple demande ae l'adreffe & beaucoup
de patience. Ceux qui effaient les mines le
favent à merveille , car c'eft de la forte qu'ils fé-
parent les parties métalliques ou le ramentum des
terres & fables.
» A mefure qu’on répète cette opération de
vanner pour ainfi dire à l'eau, on emporte du fable
blanc & léger j celui qui refte , paroït d'une
couleur plus foncée : on commence à y apperce-
voir des brillans d’or femés. Il y en a quelquefois
dans les fables des rivières de Cèze, de l'Arriège
« du Gardon , d’affez gros pour être alors pris
a la main.
M Enfin , quand , après des lotions réitérées , le
fable qui vient en deffus, paroîc peu différent de
celui qui refte en de flou s, ou en petite quantité,
on celle ce travail, & le fable eft dans l'état où on
le veut pour en retirer les paillettes.
» Malgré tout ce qu'on a emporté de matière
inutile, ce qui en refte furpaffe encore fi confidé-
rablement la quantité de paillettes, qu’ on peut au
plus en appercevoir quelques-unes difperfées par-
c i, par-là, & furtout lorfqu’elles font aufli petites
que celles du Rliin & du Rhône. On les fépare
pourtant aifément en lavant pour ainfi dire le
-fable une dernière fois avec le mercure. On fait
fécher & chauffer ce fable : on y verfe du mercure
, on le pétrit même avec la main en quelques
endroits , afin qu'il n'y ait pas un interftice entre
les grains de fable, qui ne foit parcouru par le mercure
; ii fe faifit des paillettes qu'il rencontre ; ce
qui lui échappe, eft une matière inutile. On fépare
enfin par des lotions à l'eau le fable inutile d’avec
le mercure.
» On fait affez de quelle manière on enlève au
vif-argent l'or dont il eft chargé, qu’on le renferme
dans un morceau de peau de chamois, qu'on
le preffe enfuite pour l'obliger de paffer au travers
de la peau, qu’il paffe feul & qu'il abandonne
l'or. L’or qui refte dans le chamois , eft cependant
encore imbibé de mercure qu’on fait évaporer en
le mettant fur le feu dans un creufet.
» Les laveurs du fable du Rhône fe fervent
d’une planche comme les laveurs de celui du Rhin,
mais leur ufage n'eft point d'y attacher des morceaux
de drap ; ils entaillent dans cette planche ,
de quatre pouces en quatre pouces, des rigoles
profondes de deux lignes, & larges de quatre,
parallèles aux bouts de la planche ; le fable fin
s'arrête dans les rigoles comme uans les poils du
drap.
» Les laveurs *des fables des rivières de Cèze
& du Gardon étendent fur leur planche de petites
couvertures $ les uns les prennent de peau
de chèvre, les autres de crin , les autres de laine.
Les paillettes de ces rivières, plus groffes que
celles du Rhin, demandent, pour être arrêtées,
de plus hautes & de plus fortes digues.
» Dans quelques endroits où pafient ces deux
dernières rivières, les payfans font attentifs à ob-
ferver les tems où elles grofliffent. Ils couvrent
alors de peaux de moutons les chauffées des moulins
: fi les eaux viennent à déborder, elles y dé-
pofent des paillettes : ces toifons , moins riches
apparemment que celles des Argonautes, auroient
pu, comme la leur, devenir des toifons d’or s'il
l’eut plu aux poètes.
« Les laveurs des fables de l’Arriège n’ont point
l’ufage de la planche inclinée \ ils commencent &
finiffent leurs lotions dans des efpèces de plats de
bois , fort aplatis vers les bords, & dont le fond
eft peu creux j ils les rempliffent de fable, ôc les
agitent dans l’eau même de la rivière.
» On ne fait aucune récolte où l'on ne perde do
la matière qui en eft l’objet: celle de nos grains