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» Avant de partir, je recueillis fur ces diverfes
queftions tous les renfeignemens que je pus me
procurer. Je.priai M. Haüy de vouloir bien m’é-
claif er de fes lumières fur ce qui concernoit la
minéralogie du pays que j’ai lois parcourir. M. Co-
quebert-Mômbret, correfpondant de la clufîe ,
me fournit les connoifiances qui m'étoient nécef-
faires fur la géographie phyfique du même pays.
Enfin , M. Fourcroy voulut bien me donner une
copie des lettres qu'il avoit reçues de l’Aigle, relativement
à l’apparition du météore.
» Je partis de Paris le 7 meflrdor, emportant
avec moi une bôufiôle, une carte de Gaffini, &
un échantillon de la pierre météorique de Barbo-
tan, qui avoit été remis fur les lieux à notre
confrère Cuvier. Je me propofois de m'en.fervir
comme terme de comparaifon, & de voir quelle
origine lui aflîgneroient les habitans du canton ou
l'on difoit qu’il en étoit tombé de femblables.
» Mais je ne me rendis pas directement dans ce
lieu même. Si l’explofion du météore avoit réellement
été auffi violente qu'on nous l'annonçoit,
on devoir en avoir entendu le bruit à une très-
grande diftance. Il étoit donc conforme aux règles
de la critique de prendre d'abord des informations
dans des lieux éloignés , fiir ce bruit extraordinaire
3 fur le jour & l'heure auxquels on
l ’avoit entendu j d’en fuivre la direction, & de
me laiffer conduire par les témoignages jufqu’à
l’endroit même où l’on difoit que le météore
avoit éclaté. Je devois ralfembler ainlï, dans une
grande étendue de terrain, des renfeignemens
comparables ; car fur le bruit même & les cir-
conftances de l’explofion , les témoignages dévoient
s'accorder, quelque part qu’ils fuiîent recueillis.
D’ailleurs, tous les récits relatifs aux
mafies météoriques font précéder leur chute par
l'apparition d’un globe de feu. Il étoit important
de lavoir fi le météore de l'Aigle avoit été accompagné
des mêmes circonftances , & c’étoit
loin du lieu de l’explofion que je pouvois m'en
affiner.
» Guidé par ces confidérations, je me rendis
d’abord à Alençon, chef-lieu du département de
l'Orne, fitué à quinze lieues au fud-oueft de la
ville de l’Aigle.
»a Chemin faifant, le courier de Breft à Paris
me dit que, le mardi 6 floréal dernier , à neuf
lieues par-delà Alençon, entre Saint-Rieux & Pré-
en-Pail, il vit dans le ciel un globe de feu qui
pur ut, par un tems ferein , du côté de Mortagne,
& fembîa tomber vers le nord. Quelques inftans
après on entendit un grand bruit, femblable à
celui du tonnerre ou au roulement continu d'ürfê-
voiture fur le pavé. Ce bruit dura plu fleurs minutes',
&* fut ferfible, malgré celui de la chaife de
pofle qui rouioit alors fur la terre. L’heure étoit
celle de midi trois quarts, & le tourier me dit
qu’il i’av'oit obfervée auffitôt à fâ montre, parce
que cette vue Lavoie fort étonné. Il ajouta qu'en
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arrivant à Alençon, il avoit raconté ce fait dan*
fa maifon où il étoit defeendu } & cela m'a été
confirmé depuis. Par la marche de ce globe de
feu, par le bruit, & furtout par l’heure, je jugeai
que c’ étoit le commencement du méteore de
l'Aigle.
« A Alençon on avoit entendu parler vaguement
de cè phénomène > mais on n’avoit rien vu,
& aucun bruit extraordinaire ne s’étoit fait remarquer
j ce qui n’eft pas étonnant dans une grande
ville , au milieu du tumulte d’un jour de marchés
Le préfet, l'ingénieur en chef des ponts & chauffées,
les profeffeurs de l'école centrale, n’avoient
aucune connoifiânce de ce météore } mais fi ces
Meilleurs ne purent pas nie donner des renfeignemens
dire&s fur cet objet, ils m’en fournirent
d'autres non moins utiles, en me permettant de
vifiter leurs collections.M. Barthélemy, ingénieur
en chef, homme audi diftingué par fes connoif-
fances, qu’eftimé dans le pays pour fon caractère,
s'occupe depuis cinq ans à raffembler des échantillons
de toutes les fubftances minérales qui fe
trouvent dans le département de l'Orne , afin d'y
chercher les matériaux nécefïaires à l'induftrie
manufacturière ou aux conftruCtions civiles. Dans
cette collection que j'ai parcourue, rien ne ref-
■ femble aux mafies météoriques, & M. Barthélemy
lui-même, auquel je laiffai un échantillon de
celle qui eft tombée en 1790 à Barbotan, n’avoit
jamais rien vu qui s’en rapprochât. Je me trouvois
ainlï éclairé fur un des points les plus importans
de ma million. Je vifitai pareillement la collection
& les cabinets de l'école centrale, & fi je n'y
trouvai rien qui fut analogue à l'objet de mes
recherches, j'en rapportai du moins l’eftime ta
plus fentie pour le zèle, les efforts & la perfe-
verance des profeffeurs qui compofent cet éta-
bliffement.
» M. Lamagdelaine , préfet, n’ayant pu me
donner de renfeignemens par lui-même, me fournit
avec beaucoup de complaifançe tous les moyens
d’en obtenir à l’Aigle & dans les divers endroits
où je m'arrêterois. Le bibliothécaire de l'école
centrale , jeune homme’plein de talent & d’aCti-
vité , voulut bien auffi, fur ma demande ,prendie
quelques informations relativement au météore
de l’Aigle j il ne put recueillir que de limples récits
tranfmis de bouche en bouche, mais qui cependant
s'accordoient entr'eux & avec ce que
nous.favions déjà, N'ayant plus rien à efpérer
pour l 'objet de ma mftfion* je quittai Alençon le
10 meffidor, & me mis en route pour l’Aigle
•avec un guide aCtif & intelligent. Je me propofois
de m'afrêter dans tous les endroits où je
poarrois efpérer des réponfes à mes queftions»
j'avois même le deffein de m'écarter vers les habitations
que j'appércévro'is à-quelque diftance de
là route.
» Le premier endroit habité que nous rencontrâmes,
eft Séfcz, petite ville-à dix lieues au fu<L
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oueft de l’Aigle. Oh y avoit entendu le bruit du
météore : on en indiquoit précifément le jour,
l'heure & les diverfes circonftances. C ’étoit
comme un coup de tonnerre très-fort qui fembloit
partir du côté du nord, & dont le roulement,
accompagné de plufieurs explofions fucceflives,
dura cinq ou fix minutes. Des perfonties qui fe
trouvoient alors fur le cours, crurent d’abord
que c'étoit le bruit d’une voiture.roulant fur le
pavé, & venant d'Argentan ou du bourg de Mer-
leraut; elles ne furent défabufées qu’en ne voyant
rien arriver, quoique le bruit continuât. Ces personnes
furent d'autant ,plus étonnées, que le ciel
étoit parfaitement ferein, fans le moindre nuage,
& qu'on n’y remarquait rien d'extraordinaire. On
difoit de plus que des voyageurs venant de Falaife
& de Ca^n avoient entendu fortement la même
explofion, & qu'ils avoient eu grand’peur : on
ajoutoit qu'il avoir paru un globe de feu du côté
de Falaife, & qu'on avoir remis au fous préfet
d’Argentan un e pierre qui étoit tombée du ciel.
» Ces informations me donnoient lieu de pen-
fer que les effets du .météore s’étoient étendus fur
un efpace beaucoup plus confîdérable que nous
ne l’avions imaginé. Comme mon,but etoit d’abord
de circonferire exactement cet efpace, je
fuivis les indications que je venois de recevoir,
& je me dirigeai vers Argentan.
»» Il y gvoit déjà quelque tems que nous.étions
fur cette route lorfque .nous rencontrârnes un
homme de la ^coonpjfiance de mon guide, & qui
me parut, comme lui, très-intelligent. Cet homme,'
interrogé fur le phénomène dont je cherchois
les traces ,.s’en rappela très- bien le jour & l’heure
il étoit occupé à écrire lorfqu’il entendit l’expio-
fion. Sa fenêtre étant ouverte & donnant du côté
du nord, il avoit levé la tête pour (avoir d’où ve-
noit ce bruit} mais, à fon grand étonnement, il
avoit vu le ciel ferein de n’avoit rien .apperçu dans
l’air. Il ajouta que des gens revenus de Caen y
avoient entendu le même bruit à la même heure ,
mais qu’ il n’étoit point tombé de pierres de ce
coté} que celle qui avoir été rernife au fous-préfet
d'Argentan étoit venue d’ailleurs, & qu'en
général ce bruit lui avoit femblé partir du nord-
oueft, & s'étendre parallèlement à la route d'Argentan
à Falaife.
» C'éc-oit précifément la dire&ion indiquée par
les lettres que nous avions reçues. Sur ces renlei-
gnemens noiss rebrouffâmes chemin &, reprîmes
la route de l'Aigle , bien certains de ne-rien laiffer
en arrière.
f Nous nous arrêtâmes d'abord à Nonant, village
fitué à huit lieues oueft-fud-oueft de l'Aigle.
Les habitans ont tr.ès-diftin£tement entendu l’explofion
du: météore > elle les a fort épouvantés.
Us la comparent au bruit d'une voiture roulant
fur le pavé, ou à celui d'un feu .violent dans
une cheminée. Des employés aux barrières, qui
étoient couchés fur Je bord.de la route, fe rele-
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vérent tout effrayés} ils ne virent rien dans Lan,
qui étoit ferein. Il n’eft point tombé de pierre*
dans cet endroit.
» De Nonant nous allâmes au bourg de Merle-
raut. Chemin faifant, nous rencontrâmes des bergers
qui étoient dans la campagne. Je les interrogeai,
en leur demandant s’ils n'avoient pas eu
bien peur d'un bruit extraordinaire qui s'étoit
fait entendre il y avoit environ deux mois. Ils me
répondirent affirmativement, m'indiquant exactement
le jour, l'heure & la direction du bruit}
ils avoient été également furpris de voir le ciel
ferein. D'autres payfans que j'interrogeai fur la
route, me firent les mêmes rapports.
» Au bourg de Merleraut, à fept lieues oueft-
fud-oueft de l'Aigle, je recueille les mêmes récits
j mais le bruit de l'explofion & la frayeur
qu'elle avoit produite, s’étoient accrus en raifort
de la proximité. Des hommes, des femmes, des
enfans que j'interrogeai, s’accordèrent exactement
pour le.jour, l’heure & la dire&ion du météore
» ils n’avoient rien vu dans l’air, & le ciel
étoit ferein. Des chevaux qui étoient dans une
cour, revenant des champs . & encore attelés,
fautèrent tout effrayés par- deffus une haie, & s'enfuirent
dans la rue, tant étoit grande la force de
l'explofion, quoiqu’à une diftance de plus de fept
lieues. Il n'étoit point tombé de pierres dans ce
bourg j mais on avoit entendu dire qu’ il en étoit
tombé du côté de l'Aigle, & on me donna un
échantillon d'une .de ces pierres, qui avoit été apporté,
comme une curiofité par un roulier. C 'é toit
en effet un morceau pareil à ceux que l'on
nous avoit envoyés.
» De Merleraut nous allâmes à Sain te- Gau bu r ge.
Sur la route jfinterrogeai une foule de payfans j
tant paffagers que travaillant aux champs. Hommes,
femmes, enfans, tous ont entendu l’explofion
le même jour, & la rapportent à la mêma
heure, un mardi, entre midi & deux heures.
» Un petit chaudronnier de dix à douze ans,
qui fàifoit route avec fa tôle fes outils far le
dos, écoutoit une femme du pays à qui je deman-
dois des détails de l’explofion. Ôh ! Monfieur, me
dit-il, on l’a entendue beaucoup plus loin 5 on l’a.
entendue à trois lieues d'Avranches. — Vous avez
donc ouï dire cela ? — Monfieur, je le fais mieux
que par ouï dire, parce que j’y étois. — 11 y a
trente-fix lieues d’Avranches à l'Aigle.
» Dans le village de Sainte-Gauburge, à quatre
lieues oueft-fud-oueft de l'Aigle, les habitans ont
tous entendu l'explofion le même jour & à peu
près à la même heure que partout ailleurs ; mais il
n eft point tombé de pierres météoriques dans cet
endroit. Cependant on avoit entendu parler de
celles qui étoient tombées près de l’Aigle, & plu-
fieurs habitans du lieu en poffédoient des échantillons.
On me conduifit à une chaumière hors du
village, où je trouvai un payfan des environs qui
en .avoit entre les mains. Je lui montrai d'abord
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