
poètes. Les épithètes d‘aurifères qu'ils ont données
à plufieurs rivières, & même â quelques- j
unes du royaume, font prifes communément pour
des préfens de leur imagination libérale. Nous
avons pourtant en France des rivières qui les méritent,
ces riches épithètes ; i'Arriège même en a
pris fon nom d'Aurigera , qu'elle porte à bon titre.
» A la vérité, nos richelTes en ce genre ne font
pas grandes : l'or qu'on ramaffe à prélent dans nos
rivières fuffit à peine pour faire vivre pendant
quelques mois les payfans qui s'occupent à ce travail
j mais au moins en donnent-elles affez pour
fournir à la curiolité des phyficiens, & peut-être
pour les engager à l'efpècede recherche à laquelle
on applaudiroit le plus , & dans laquelle on aime-
roit mieux les fuivre.
» i°. Le Rhin tient un des premiers rangs parmi
les fleuves qui roulent des paillettes d'or avec
leur fable : c'eft un de ceux où l’on en ramaffe le
plus. Ce n'eft pas, comme nous le verrons dans
la fuite , qu'elles y foient plus abondantes &
plus grolles que dans quelques autres rivières du
royaume ; mais le Rhin tient à ce pays laborieux
où l'on eft attentif à profiter des productions minérales
, & où la métallurgie eft pouflée plus loin
que dans le refte de l'Europe. On trouve des
paillettes d'or parmi le fable de ce fleuve, depuis
Strasbourg jufqu'à Philisbourg. Elles font plus
rares entre Strasbourg & Bril'ac : le Rhin y eft plus
rapide j il entraîne plus loin une grande partie de
fon or : où il en dépofe davantage, c'eft entre le
Fort-Louis & Guermesheim. Le droit de faire la
récolte de ces paillettes appartient aux feigneors
fur les terres de qui il paffe. Le magiftrat de Strasbourg
l'a fur près de deux lieues du cours de ce
fleuve ; il l'afferme à condition que ceux qui y
auront ramaflé l’o r, le lui apporteront à 16 livres
l'once’ , qu'il vend enfuite aux orfèvres fur un
plus haut pied. A vrai dire, s'il afferme ce droit,
.c'eft plus pour fe le conferver que pour le profit
qu'il en retire. Je ne fais fi je dois dire à quel point
nous fommes pauvres, quand je femble étaler nos
richeffe6. 11 ne revient pas au magiltrat de Strasbourg
plus de quatre à cinq onces d'or par an ; il
n'eft pas bien fur aufli que tout celui qui eft ra-
maffé lui foit porté fidellemenr. M. l'Evêque de '
Strasbourg , le comte d'FIanau & divers autres
feigneurs afferment aufli le même droit, chacun
fur leurs terres, à d'autres conditions. Les ou- j
vriers qui s'occupent à chercher ces paillettes ga- ;
gnenr communément 30 à 40 fous par jour 5 le |
tems de ceux des mines du Pérou n'eft pas payé |
fi cher à proportion : il eft dommage que nos ouvriers
ne puiffent être qu’en petit nombre, &
qu'ils ne travaillent que pendant une petite partie
de l’année.
»51°. Le Rhône roule aufli dans le pays de Gex
affez dejaailletres d'or avec fon fable, po.ur occuper
, pendant 1 hiver j quelques payfans à qui les
journées valent à peu près depuis 12 jufqu'à 20
fous. Ils s'attachent principalement à lever £e‘
grolles pierres ; ils-enlèvent le fable qui les environne
, & c'eft de ce fable qu'ils tirent les paillettes.
On eft incertain fi le Rhône entraîne ces
paillettes de fon propre fond , ou fi la rivière
d'Arve ne les lui apporte point avec fes eaux, car
on ne les trouve oue depuis l'embouchure de
cette rivière jufqu'à cinq lieues au deffous; au
moins paroît-il fûr qu’il ne les amènepoint d’auprès
de fa fource ; il les dépoferoit dans près de
vingt-deux lieues de trajet qu'il fait au travers du
lac de Genève.
« 3°. La rivière appelée le Doubs ne mérite pas
d'entrer en parallèle avec les fleuves précédens ;
elle paffe dans la Franche-Comté : fon fable fe
trouve parfemé de paillettes d’o r , mais elles y
font aflez rares : il n'y a encore jufqu'ici que la
curiofité qui les y ait fait chercher.
*» 4e*. Mais une rivière qui, quoique petite,ne
le cède ni au Rhin ni au Rhône fur la quantité de
fes paillettes d 'or, c'eft celle de C è z e , qui tire
fon origine d'auprès de Villefort dans Iss Cé-
vennes. Dans plufieurs lieues de fon cours, on
trouve partout à peu près également des paillettes,
communément beaucoup plus grandes que
celles'du Rhin & du Rhône > fouvent aufli elles
paient mieux le tems.de ceux qui les cherchent:
il y a des jours heureux qui leur valent plus d'une
1 piftole ,-mais ils font achetés par d'autres qui ne
leur produifent prefque rien.
» y®. La rivière du Gardon, qui, comme celle
de Cèze , vient des montagnes des Cévennçs,
entraîne aufli des paillettes d'or, à peu près de
même grandeur, & en aufli grand nombre.
» <°. Nous n'oublierons pas de mettre l’Arriège
dans notre lifle : fon nom avertit qu'elle y
mérite place : on lui trouve des paillettes d'or
dans le pays de Foix j mais où elle eft le plus riche
, c’eft aux environs de Pamiers, & c'eft là
aufli qu'elle paie mieux le tems de ceux qui cherchent
les grains d'or. La,même rivière en roule
aufli dans l'evêché de Mirepoix.
*» y9* On fait tous les ans dans la Garonne, à
uelques lieues de Touloufe , une petite récolte
e paillettes d'or > mais il y a lieu de croire qu'ellè
en tient la plus grande partie de I’Arriège, car ce
n'eft guère qu'au deffous du confluent de cette
dernière rivière qu'on les cherche.
» 8°. & 90. Peut-être que l’Arriège elle-même
reçoit d'ailleurs une grande partie de fon or î du
moins eft>il fûr qu'on en trouve en divers petits
ruiffeaux qui la grofliffent de leurs eaux : on ramaffe
même des paillettes , furtout dans deux de
ces ruiffeaux ; favoir : celui du Ferriet & celui
du Benagues. Us viennent l ’un & l’autre de hauteurs
qu'on a à fa gauche quand on defeend de
Varilhes à Pamiers.
« i©°. Le Salat, petite rivière dont la fource,
comme celle de l'Arriège , eft dans les Pyrénées ,
& qui a fon cours dans le comté de Couferans,
généralité de Pau, le Salat, dis-je, roule aflez de
paillettes d'or pour occuper , pendant quelque
tems de l'année, les payfans d’autour de Saint-
Girons à les amaffer.
m Nous pouvons donc déjà compter dans le
royaume , dix rivières ou ruiffeaux qui roulent
des paillettes d'or dont on fait des récoltes qui
à la vérité ne font pas bien confidérables, Il vau-
droit mieux l’emporter fur les autres pays par la
quantité de la matière, que par le nombre des
endroits où on la trouve. Maisil femble du moins
que nous l'emportons par ce dernier côté : il eft
peu de pays de l'étendue de la France, où il y
ait autant de rivières aurifères, & c’eft un avantage
qu'elle a eu de tout tems, & qui a été plus
connu autrefois. Diodore de Sicile nous apprend
que la nature lui a donné par privilège l'o r , fans
le lui faire chercher par l'art & parle travail3
qu'il eft mêlé avec le fable des rivières 5 que les
Gaulois favoient laver ces fables & en tirer l'or ,
le fondra-, & qu’ils en faifoienc des anneaux, des
bracelets, des ceintures, Scc. G alliant omnem
fine argerito (dit-il), fed aurum ei à naturâ datum
fine arte & fine labore , propter afenas mixtas auro,
quas fiumina extra ripas diffluentia montefque longo
eifeuitu per montes ejîciunt in finitimos agros, quas
fciunt lavare 6’ fundeje , unde homines & femine
foient fibi annulos , ^onas & armillas conficere.
53 Au refte ;, nous ne groflirons point notre lifte
des rivières aurifères indiquées par divers auteurs :
nous n’y ajouterons point le Tarn fur l’autorité
d’Aufonne j nous n’y placerons point non plus la
{>etite rivière de Giers, qui prend fa fource fur
e mont Pila, quelque pofîtif & quelque détaillé
que foit ce que nous dit Duchoul de la manière
dont on y ramaffe l'or. Quoi qu’en ait dit Papire-
Miffon, nous n'y mettrons pas non plus la rivière
de Chenevalet qui paffe en Forez : tout ce
qu'on rapporte du Lot & des Gaves du Béarn ne
nous fuffit pas aufli pour que nous leur donnions
le nom Ü aurifères y peut-être que ces rivières rendront
dans la fuite plus complété une hiftoiredont
nous ne donnons qu'un effai. C'eft même dans la
vue de nous mieux inftruire de ce que nous avons
fur cette matière, que nous l’avons hafardé, cet
effai, tout imparfait qu'il eft. Nous avons cru que
nous réveillerions l’attention fur une matière à
laquelle elle fe prête volontiers. Mais nous nous
fommes propofé de ne mettre au rang des rivières
aurifères que cellés qui le font véritablement.
Telle l'a pu être autrefois , qui ne l’eft plus
aujourd’hui, que celles dont nous avons examiné
le fable & l'o r , & celles fur lefquelles nous avons
au moins des témoignages irréprochables. Malgré
^éloignement, ce font des faits qui deviennent
aifés à éclaircir par la protection que lé Gouvernement
donne aux (cienees, & en particuli-r à
celle '•'qui ont un rapport plus direét au bien public,
& qui font l'objet de l'Académie. Il envoie à
MM. les- incendans les Mémoires que nous dreffons
; il les charge d’apporter toute leur attention
à y fatisfaire. Pour être le premier inftrtiit
des foins qu’ils ont pris, il veut qu’ils lui adref-
fent les éclairciffemens & les matériaux qu'fis ont
raffemblés. Quelles précautions ne prend-on point
pour fatisfaire à fa follicitude ? C’eft pour exécuter
des ordres d'une fi grande fagelfe, que
MM. de Baville, d'Angervilliers, de la Briffe 6C
Dandrezel, bien intentionnés naturellement pour
les fciences , nous ont fait ramalfer avec tous les
foins poflibles le fable & les paillettes du Rhin ,
du Rhône , des rivières de C èze, du Gardon 6c
de l’ Arriège, qui paffent dans leurs généralités,,
-fur lefquelles nous avons fait les obfervations que
nous donnerons dans la fuite de ce Mémoire.
» Afin pourtaht que ceux qui voudront bien
nous aidera découvrir jufqu’où vont nos richeffes
de ce genre, foient inftraits des lieux des tems
les p‘us favorables à ces fortes de recherches,
nous allons en dire un mot, après quoi nous expliquerons
les differentes manières dont on fépare
dans le royaume les p= tirs grains d’or du fable avec
lequel ils font mêlés 3 nous examinerons enfuite
la nature des fables mêmes, & en ftniffant nous
dirons quel eft le titre de l'or qu'elles donnent.
« Les rivières qui ont des paillettes d’o r , les
ont fans doute apportées dans les endroits où. on
les trouve} eiîes n’y ont pas été produites. Si ce
fait avoir befoin d'être prouvé, il le feroic quand
nous examinerons leurs figiftes. Ce font donc ou
les torrens & les ruiffeaux qui fe rendent dans h s
rivières , qui les enrichi fient de l’or qu'ils ont
entraîné, ou les rivières elles-mêmes qui le détachent.
Plus le cours de la rivière eft rapide, moins
il eft aifé aux paillettes de fe précipiter : l’eau les
roule jufqu'à ce qu'elles fe foient engagées affet
avant dans le fable pour réfifter à fon effort : de là
vient en partie que tous les endroits du cours
d'une rivière n'en ont pas également : on en
trouve plus qu'ailleurs où elles couientavec moins
de rapidité, où leur lit s’élargit; mais où elles en
dépofent davantage, c'eft dans des efpèces d'anfes
où l'eau commence à perdre de fa viteffe, & auprès
des coudes où fe change la direèlion de la rivière.
Les pierres qui fe trouvent au fond des rivières
font aufli des digues capables de les arrêter.
Nous avons déjà averti que les payfans qui cherchent
l'or du Rhône, ramaffent foigneufement le
fable qui eft autour des pierres.
» On ne fouille pas à une grande profondeur :
les chercheurs de paillettes de l’Arriège vont au
plus à deux pieds, mais le plus fouvent ils n'enlèvent
le fable que jufqu’à quatre doigts de fa fur-
face fupérieure.
» Le tems propre à cette recherche eft celui,
où les eaux font baffes. On prend alors plus commodément
un fable éloigné des bords. C’eft parce
que les eaux du "Rhône (ont ordinairement baffes
•en hiver, que les payfans n'y vont guère chercher
les paillettes que dans cette'faifon. Mais,