que la table put être entièrement dégarnie de toutes les viandes dont elle étoit
couverte. Une très-belle citerne, qu’Haçân-bey avoit fàit bâtir près de son jardin
fournit en abondance les seuls rafraîchissemens qui pussent nous être offerts.
Les habitans dErné sont naturellement doux. Nous avons habité cette ville
pendant près cle deux mois consécutif nous y sommes revenus à différentes
époques et cest la ville d Egypte dont nous conservons le souvenir le plus
agreable (i). r °
Une partie de la brave 2 111 demi-brigade légère, après avoir vaincu et dispersé
les Mam ouks, jouissoit à Esné de la paix quelle avoit conquise, et beaucoup
de ses soldats trouvoient autant de plaisir que de profit à y exercer leurs anciens
métiers. De tous côtés s’élevoient des établissemens Français : les habitans d’Esné
les voyoïent avec plaisir, et en profitoient ; les jeunes Égyptiens se mettoient en
apprentissage chez les ouvriers Français : les usages, les costumes, le langage se
meloient de manière à faire croire qu’ils se seroient bientôt confondus.
Le heu ordinaire du débarquement, ou ce que l’on appelle le port d’Esné , est
a peu de distance de la maison d’Haçân-bey, vers le milieu de la ville. En
mettant p.ed à terre, on voit à sa droite une longue suite de maisons bâties sans
uniformité; elles sont protégées contre le fleuve par les restes d’un ancien quai,
que on aperçoit encore au milieu des décombres. A gauche du port, le Nil est
borde de maisons, dont quelques pans ont été entièrement emportés par le
fleuve. Dans cette espèce de tranchée, faite par le Nil, on aperçoit des restes de
constructions de différens âges, élevées les unes sur les autres : les matériaux que
de tout temps, on a employés à la construction des maisons particulières’
n etoient pas assez précieux pour être recueillis ; les débris d’une maison servoiem
de fondation a celle qui lui succédoit, et le sol de la ville s exhaussoit rapidement.
Au milieu des décombres qui bordent le fleuve de ee côté, on voit aussi
des restes de l’ancien quai, qui devoir être fort étendu; il paroît avoir été élevé
successivement, et à des époques éloignées les unes des autres. On y reconnoît
( 0 Partis du Kaire le 29 ventôse de l’an 7 [ 19 mars 1799]
a vec M M . G ira rd , ingénieur en ch e f des ponts et chaussées,
du Bois-Aymé et D u ch an o y , ingénieurs ordinaires,
De sco tils, Roz iere et Dupuis , ingénieurs des mines, et
C a s te x , sculpteur, nous formions une commission chargée
par le général en ch e f de prendre sur la haute Egypte tous
les renseignemens que l'on pouvoit desirer, tant sur ie commerce,
l’agriculture et les arts, que sur l'histoire naturelle
et les antiquités de cette contrée. Un e des parties les plus
importantes de la mission des ingénieurs des ponts et chaussées
, étoit d'examiner le régime du N il depuis la première
cataracte, et d'étudier le système d'irrigation de la haute
Eg ypte . ( Pqye^ le Mémoire de M . G ira rd , ingénieur en
ch e f, sur le commerce et l’agriculture de la haute E g ypte. )
N otre marche fût souvent ralentie par les opérations
d e 1 armée, t|ui n’avoit point encore achevé la conquête
d e la haute Egypte. Néanmoins, à force de persévérance,
et en nous mettant sous la protection des détachemens
envoyés à la poursuite des M am lo u t s , nous parvînmes
jusqu à 1 lie d e Philæ, et nous parcourûmes plusieurs fois
les deux rives du fleuve.
- N o s compagnons de voyage nous quittèrent successiv
em ent, soit pour remplir des missions particulières, soit
pour porter au Kaire le fruit de leurs travaux et de leurs
recherches. Quant à nous, ayant trouvé dans l’étude des
monumens de la haute Eg yp te une source Inépuisable
d observations intéressantes, nous avions fixé notre séjour
dans cette contrée. Nous profitions de toutes les occasions
qui se présentoient de faire de nouveaux voyages.
Souvent même nous nous établissions sur les ruines
des villes anciennes. C ’est ainsi qu e , dans un premier
vo y a g e , nous sommes restés à Thébes v in g t-c in q jours
d e suite.
N ous étions à Esné lorsque nous fumes rencontrés par
nos collègues réunis en deux commissions chargées par
le général en ch e f de visiter la haute Egypte. Nous
revîmes avec eu x tous les monumens que nous avions
déjà re le ve s, et un nouveau séjour sur les ruines de
Thèbes nous fournit tous les renseignemens que nous
pouvions désirer sur les antiquités de cette ville célèbre,
qui renferme à elle seule plus d e monumens que le reste
de l ’Egypte,
les travaux des anciens Égyptiens, ceux des Romains et des Arabes. Depuis longtemps
il ny a été fait aucune réparation; les habitans d’Esné ne connoissent
actuellement d autres moyens pour se défendre contre les envahissemens du
fleuve, que de jeter sur la rive menacée les débris des maisons ruinées.
Au fond de la petite place qui est devant le port, on trouve à gauche une rue de
dix à douze métrés de largeur,. et de cinquante à soixante mètres de longueur,
qui se dirige parallèlement au Nil. En face de cette rue est la maison d’Haçân-
bey, où étoient réunis les principaux établissemens de la garnison Française. La
rue tourne ensuite a angle droit vers l’ouest, s’élargit successivement, et conduit
à la grande place, qui est à quatre-vingts mètres de la maison d’Haçân-bey. La
grande placé a une forme rectangulaire de quatre-vingts mètres de longueur,
du nord au sud, sur quarante mètres de largeur. Les côtés de l’est, du sud et
du nord, présentent des bâtimens modernes d’une construction assez régulière;
le coté du nord est sur-tout remarquable, parce qu’il est presque entièrement
formé de la façade d’un o’kel très-bien construit : cet o’kel est composé d’une
grande cour, environnée dune galerie qui donne issue à tous les magasins; au-
dessus est une galerie semblable qui conduit aux logemens des marchands et des
voyageurs (i). Le côté occidental de la place est composé de maisons en très-
mauvais état et peu élevées : leur délabrement permet d’apercevoir une partie de
la corniche d un temple qui, sans cette circonstance, seroit peut-être resté longtemps
inconnu aux voyageurs modernes, car ses abords sont à-peu-près impraticables.
On ne peut, en effet, pénétrer dans ce monument que par une ruelle
fort étroite, que l’on trouve à l’angle sud-ouest de la place, et qui est même
presque totalement encombrée par les immondices apportées des maisons voisines:
les habitans de ces maisons n’ont heureusement pas pris la peine de transporter ces
immondices jusqu a 1 extremite du portique, ils les ont déposées dans la partie qui
s est d abord présentée à eux; et la moitié du monument a été protégée par le
rempart infect qu’ils ont eux-mêmes élevé. C ’est cet obstacle qu’il nous fallut franchir
, après nous être assurés que ce passage étoit le seul qui pût nous conduire
dans l’intérieur du monument.
G R A N D T E M P L E D ’E S N É .
Il seroit difficile de peindre l’effet que produisit sur nous l’aspect intérieur du
portique dEsne. Son architecture, dont les autres monumens de l’Égypte ne nous
avoient donné qu’une foible idée, fit sur chacun de nous la même impression:
nous étions saisis d’une certaine admiration confuse, que nous n’osions en quelque
sorte avouer ; e t , jetant alternativement les yeux sur le monument et sur nos
compagnons de voyage, chacun de nous cherchoit à s’assurer s’il étoit trompé
par sa vue ou par son esprit, s il avoit perdu tout-à-coup le goût et les principes
( 0 , U est à-peu-près la distribution de tous les o’kels point le désordre et l’irrégularité qui existent dans les
d e I Egypte. L a simplicité des plans et de la distribution plans des maisons modernes de l’Égypte.
de ces bâtimens est très-remarquable. On n’y trouve