quelle est constante dans tous les hypogées. On l’a également faite et dans ceux
de Memphis et dans ceux de la ville de Thèbes. Au paragraphe suivant, on
reviendra sur ce sujet.
§. IV .
D e l ’État actuel des Hypogées, et des Obstacles qu’on trouve en les parcourant.
P a r m i les caveaux qui sont ouverts aujourd’hui, non-seulement on nen
trouve point d’intacts, mais tous offrent l’aspect d’un bouleversement total. Les
momies ne sont point dans leurs caisses ni à leurs places; elles sont renversées à
terre, pêle-mêle, et le sol en est jonché; quelquefois même le passage en est
encombré entièrement. On est obligé de marcher sur les momies; elles se brisent
sous le poids du corps, et souvent l’on a de la peine à retirer le pied embarrassé dans
les ossemens et les langes. Au premier abord, on en ressent de l’horreur : mais
peu à peu on se familiarise avec ce spectacle; et ce qui y contribue beaucoup,
c’est que les momies n’ont rien qui répugne, soit à la Vue, soit à l’odorat. L ’odeur
bitumineuse, quoique très-forte, n’a rien d’absolument désagréable, rien sur-tout
qui ressemble aux exhalaisons des cadavres. Un autre sentiment que le dégoût
occupe et inquiète le voyageur : tous ces corps embaumés, enveloppés d’épaisses
toiles chargées de bitume, peuvent s’embraser par une étincelle ; si l’incendie s allu-
moit, comment en échapper, sur-tout dans les grottes profondes et contournées,
ou dans celles dont les galeries et les portes sont obstruées à tel point, qu’il faut
ramper sur le ventre pour y pénétrer ou pour en sortir! Comme on ne reçoit de
jour dans ces caveaux que par les flambeaux qu’on porte.il est aisé de juger du
péril qu’on y court, et combien, en se traînant sur ces corps combustibles, on a
de peine à en écarter la bougie qu’on tient péniblement d’une main, tandis qu on
s’appuie sur l’autre pour avancer. L ’idée d’un incendie vient d’autant plus naturellement
à l’esprit, que souvent les Arabes rassemblent, à la porte des catacombes,
des momies qu’ils ont brisées, et allument, avec ces débris, de grands feux qui
s’aperçoivent au loin. Ces feux sont très-durables ; j’en ai vu se prolonger pendant
une nuit entière. Soit dessein, soit accident, il est arrivé plusieurs fois que des
momies se sont allumées dans l’intérieur même des hypogées; car les plafonds et
les parois en sont noirGis fortement. Si quelque Européen a péri ainsi dans ces
labyrinthes, victime de sa curiosité, sa mort a dû être un supplice horrible.
Outre les milliers de momies qui recouvrent le fond des hypogées, on rencontre,
épars sur le sol, des amulettes, des statues portatives, des fragmens de
statues plus grandes, soit en terre cuite ou en porcelaine, soit en pierre, en
albâtre ou en granit, la plupart d’une conservation parfaite; au lieu que ces
mêmes objets, trouvés dans la basse Egypte, sont mutilés ou d’une moins bonne
exécution, ou même quelquefois de fabrique moderne. Il n est donc pas sans
intérêt de recueillir ces fragmens , qui seroient déjà précieux par leur authenticité
et par des séries de signes hiéroglyphiques. On en a rapporté un grand
nombre; on en a fait un choix, et on les trouvera gravés, soit parmi les planches
des hypogées, soit à la fin de l’Atlas. Tous ces objets sont comme confondus au
milieu d une multitude d’éclats de pierre qui garnissent le sol de plusieurs grottes,
sur-tout de celles qui ont essuyé l’action du feu; le plafond en a été attaqué,
fendillé ; il s est éclaté peu à peu : un léger effort en fait tomber à terre des morceaux.
Jattribue cet effet au feu principalement, quoiqu’il puisse s’y joindre une
autre cause indiquée plus haut, la formation des cristaux salins. Cet état des
plafonds contraste avec celui des parois, qui sont lisses et polies.
Tel est le désordre qui règne actuellement dans les catacombes de Thèbes.
Les peintures et les bas-reliefs n’ont pas autant souffert. On voit bien quelques
fragmens peints ou sculptés, détachés des murailles et renversés à terre, mais
ce n’est que dans les grands hypogées dont l’abord est facile, et où les voyageurs
eux-mêmes ont essayé de détacher des échantillons de peintures, pour les transporter
en Europe.
On omettroit une circonstance particulière de l’état actuel des hypogées, si
1 on passoit sous silence la multitude de chauve-souris qui remplissent les puits et
les caveaux, et qui volent perpétuellement, en faisant siffler l’air avec un bruit
aigre et perçant (i). Il faut être poussé par une curiosité bien vive, pour surmonter
le dégoût qu’on éprouve après une heure ou deux de séjour au milieu de
ces animaux hideux, sur-tout dans un air excessivement chaud, qui résulte, d’une
part, de la chaleur produite par les flambeaux et par la respiration dans des
caveaux étroits, et, de l’autre, de la température habituelle des lieux souterrains en
ÉgyPte- ^-n effet, le thermomètre de Reaumur se tient constamment à 22 degrés
dans ces souterrains ; on a même observé qu’il en marquoit 25 dans le puits
des^ pyramides (2). Cette température élevée, commune aussi à l’eau du Nil, et
à 1 eau de la mer sur les côtes d’Egypte, tient à des causes générales, dignes
des recherches des physiciens.
Si 1I on supposoit qu’un artiste Européen passât deux ou trois années de suite
dans 1 intérieur des catacombes, le temps et les forces lui manqueroient pour
dessiner toutes les peintures et tout ce qui frapperoit son attention; mais, outre
la difficulté matérielle d’observer et de copier une si grande multitude d’objets
différens, il trouveroit devant lui des obstacles d’une autre nature, et son courage
succomberait avant sa curiosité. Quelle fatigue n’éprouve-t-on pas à parcourir
tous ces détours tortueux ! On vient de voir par quelles causes la température '
s élève si fortement dans ces caveaux : qu’on y ajoute la qualité impure et malsaine
de I air qui n a, pour se renouveler, qu’une issue souvent très-éloignée, l’action irritante
qu exercent sur les poumons 1 odeur du baume et sur-tout l’odeur fétide et
intolérable des exerémens de chauve-souris entassés depuis tant de siècles, la
(1) Horoère a connu et décrit parfaitement ce vol »les airs de ses cris, la foule rapide et serrée de ces
des chauve-souris au milieu des grottes. « Tels, dans les »ombres, &c. » (CWyrr. ch. x x tv , traduct. deBitaubé.)
» ténebres, des oiseaux nocturnes, perçant l’air de cris (2) Cette remarque a été faite par M. Coutede, qui a
» aigus et lugubres, volent du fond d’un antre sacré dès bien voulu nous permettre d’en faire usage, et à qui l’on
»que Iun s en échappe, attachés l’un à l'autre et for- doit une collection précieuse d’observations météorolo-
»mant une longue chaîne; telle vole, en faisant frémir giques faites en Egypte avec beaucoup de soin. ‘