et aussi heureuse découverte, et, sur-tout, par le besoin de s’expliquer les merveilles
Égyptiennes. D’ailleurs, ne savons-nous pas que les Égyptiens ont eu en
effet des livres d’histoire et de sciences ! Qui ne connoît le passage de Clément
d’Alexandrie sur les quarante-deux principaux livres que devoient connoître les
hiérogrammates! Parmi ces ouvrages dont Clément fait l’énumération, on comptoit
l’exposition des phénomènes de l’univers, la description du globe et particulièrement
du Nil et de l’Égypte, le cadastre des terres, l’explication du système des
mesures usuelles (i). Combien l’on doit regretter, s’ils sont en effet perdus, ces
volumes sur l’astronomie, la cosmographie, la géographie et les mesures des
Égyptiens ! Le témoignage de Diodore de Sicile n’est pas moins positif que celui
de Clément d’Alexandrie et d’autrès auteurs, sur l’existence des notions astronomiques
en Égypte ; et l’on ne doit rien inférer contre le fait, de l’ignorance de ces
écrivains en matière de sciences. Leur ignorance est elle-même une preuve de la
sincérité de leur récit. On sait encore, par les auteurs, que les Égyptiens avoient
une poésie, puisqu’ils faisoient des odes en l’honneur des dieux et dès héros, et
des poëmes qu’on chantoit dans les festins (2) : et quand les écrivains n’en diroient
rien, on seroit forcé de le supposer, à la vue de leurs instrumens de musique si
perfectionnés et si riches ; car ces instrumens ne servoient que pour accompagner
le chant. Comment pourroit-on douter que les Égyptiens écrivissent les événemens
historiques! C’est sur un papyrus qu’étoit écrit le catalogue des trois cent trente
rois qui avoient régné jusqu’à Sésostris, et ce papyrus a ete montre à Herodote (3).
Selon Proclus fin Tint.), les Égyptiens conservoient la mémoire des événemens
singuliers, des actions remarquables et des inventions nouvelles. Theophraste fait
mention de leur histoire des rois (4); Strabon et Diodore, de leurs commentaires,
et de leurs annales (5); et Joseph dit qu’il est superflu de parler du soin qu’on
avoit en Égypte d’écrire les faits historiques, tant ce soin est connu de tout le
monde (6). Je m’abstiens de citer ici le nombre des livres Égyptiens (livres qu’on
attribuoit à Hermès), parce que les auteurs ne sont pas daccord sur ce nombre,
mais ce qu’il y a de fabuleux dans la quantité des volumes, ne fait rien quant à la
nature de ces ouvrages, et il reste constant que les Égyptiens ont écrit sur le papyrus
des récits historiques et des traités de sciences. Que les sâvans se livrent donc
avec constance à l'étude des papyrus que nous possédons aujourd hui.
Quand même ils n’y trouveroient que des prières ou des liturgies, ils y pui-
seroient du moins la connoissance de la véritable langue du pays, dont on possède
p ie r r e s q u i fo rm e n t -le s a r c h i t r a v e s e t le s p la fo n d s d e s
g r a n d s é d i f i c e s , q u o iq u ’ à u n e h a u t e u r c o n s id é r a b l e . B e a u c
o u p d e c e s p ie r r e s o n t u n e lo n g u e u r d e o n z e m è t r e s ,
s u r u n m è t r e e t u n q u a r t d ’ é q u a r r i s s a g e : l e v o lu m e d e
c h a c u n e e s t d e p lu s d e d i x - s e p t m è t r e s c u b e s , o u c in q
c e n t t r o i s p ie d s c u b e s ; e t le p O id s , d e p lu s d e q u a t r e -
v in g t s m i l l i e r s d e l i v r e s . On c o n ç o i t q u e , s a n s d e s m é t
h o d e s p a r f a i t em e n t c a l c u l é e s , i l a u r o i t e t e t r è s - d i f f i c i l e ,
p o u r n e p a s d i r e im p o s s i b l e , d e Ju x t a - p o s e r u n g r a n d
n o m b r e d e p ie r r e s d ’ u n e s i lo u r d e m a s s e . S i 1 o n e u t d é v i e
t a n t s o i t p e d d u n iv e a u e n le s p la ç a n t s u r le s s u p p o r t s , o u
q u e c e u x - c i e u s s e n t m a n q u é d ’ a p l o m b , i l e s t v i s ib l e
qu’elles atfroient croulé en peu de siècles. Loin de là, ces
plates-bandes énormes sont encore intactes, contiguës,
enfin dans l’ état où on les a posées. Au reste, c’est à la conservation
des toitures que l’on doit celle des monumeos.
( 1 ) Clem. Alex. Strôrn. fib. V I , cap. 4 .
(2) Ibid, et Plat, de Legibus, lib. i l ; Herod. Hist.
lib. 1 1 , cap. 7 9 , &c.
(3) Herod. Hist. lib. I I , cap. 100.
(4) Theophr. lib. de Lapid.
(5) Strab. Geogr. lib. V I I ; Diod. Sic. Bibl. hist, lib. I
et X V I .
(6) Joseph, contra Apion. lib. I.
à peine quelques lambeaux : par conséquent, ils seroient en état d’interpréter les
volumes qu’on apportera par la suite, et de lire dans les archives de l’histoire
Égyptienne, si elle a jamais été écrite quelque part. D’un autre côté, l’étude des
caractères de ces manuscrits fait voir clairement que leur forme dérive de celle des
hiéroglyphes (i). Il est donc grandement probable que la connoissance du langage
alphabétique vulgaire conduira quelque joui- à l’interprétation partielle, sinon totale,
de la langue hiéroglyphique. Or il seroit déraisonnable de nier que les Égyptiens
eussent déposé, dans l’une ou dans l’autre de ces écritures, les connoissances scientifiques
ou morales que l’antiquité Grecque admiroit, étudioit chez eux. Comment
les scènes d’histoire, les peintures astronomiques, les représentations civiles, enfin
les images du commerce, de l’industrie ou de l’agriculture, accompagnées constamment
de colonnes d’hiéroglyphes, ne seroient-elles pas elles-mêmes décrites et
commentées dans ces inscriptions ! Quatre ou cinq grands manuscrits, formant un
développement de dix-sept mètres [cinquante-deux pieds], composés de soixante-
une pages Egyptiennes en écriture vulgaire et de cinq à six cents colonnes en
écriture hiéroglyphique (2) ; près de cent tableaux avec leurs hiéroglyphes, dix obélisques
inédits, plusieurs monolithes, cuves et sarcophages couverts d’écriture
hiéroglyphique, une multitude de scarabées et d’antiques portant des caractères
sacrés, enfin .une collection de légendes et de phrases puisée dans les temples et
les palais, voilà des ressources que la Description de l’Egypte offrira aux laborieux
amis de l’antiquité pour la solution de ce grand problème. Ne dissimulons pas,
toutefois, que ces matériaux, si neufs et si abondans, eu égard à la disette qu’en a
éprouvée jusqu’ici l’Europe savante, sont peu de chose en comparaison de la récolte
qù’on pourroit encore faire en Égypte; et sans parler des centaines de papyrus
qu’on trouvera, si l’on veut, sur les momies, combien de tableaux et de sujets il
reste encore à dessiner dans les monumens ! Nous attachant, comme nous devions
le faire, à recueillir des scènes complètes, nous donnions à chacune- un temps
considérable, et nous n’avons pu réussir, malgré nos efforts, qu’à en copier une
foible partie: tant est grande la richesse, l’étendue ou la quantité des tableaux
hiéroglyphiques.
Je ne répéterai point ici ce qu’on peut trouver dans Pline et dans les auteurs
modernes, touchant l’origine des volumes écrits sur le papyrus; je ne parlerai pas
davantage de l’emploi qu’ont fait de cette plante plusieurs peuples de l’Orient et de
l’Occident, pour le même usage que les Égyptiens (3) : tous ces faits sont plus ou
moins connus; et ils ne serviroient qu’à prouver une chose incontestable, c’est que
l’écriture sur papyrus a pris naissance en Égypte. Cette plante, aujourd’hui très-raie
sur les bords du Nil, y étoit jadis indigène (4). Son nom biblos est originairement
(1) Voyez ci-après, pag. j y i . (4) Le papyrus de Sicile, quelque différence qu’o/i ait
(2) On ne comprend pas ici les rouleaux rapportés cru observer entre cette plante et celle d’Egypte, a san^
par M. Denon, et par les voyageurs Anglais qui nous doute été apporté de ce dernier pays avec l’usage même
ont succédé. du papier et les autres arts dont la Sicile est redevable
(3) Voyez Plin. /. X f l l , c. // ; Theophr./. i v , c .p ; aux Egyptiens. Quant à celui de l’Inde, c’étoit le même
le P. Mabillon, deye diplomat. y Montfaucon, Paloeograph. que celui de l’Egypte, au rapport deStrabon. Voyez, dans
¡Grcec.; Maffei, Istor. diplomat.; et une dissertation de la dissertation de Caylus, les additions de Bernard de
Caylus, Alérn. de VAcad. des inscr. t. X X V I , i r &c . Jussieu, pag. 297.