celle de la portion.des piédestaux qui est cachée sous les dépôts du N il, pour avoir
le niveau de la butte factice (i ) sur laquelle les colosses ont dû être placés, afin
d’être garantis des eaux de l’inondation, au temps de leur érection (2). Ainsi nous
pouvons conclure un minimum de deux mètres quatre-vingt-neuf centièmes pour
l’exhaussement de la plaine de Thèbes, depuis l’époque de la construction des
monumens dont nous avons parlé. Nous nous en tiendrons à cette limite inférieure,
mais certaine, bien que des hypothèses particulières, plus ou moins fondées,
puissent autoriser à admettre un exhaussement plus considérable. Si l’on parvenoit
à déterminer le temps précis où les monumens ont été construits, on pourrait en
tirer quelque conséquence pour la quantité de l’exhaussement par siècle : mais les
résultats que l’on admettrait seraient toujours de la plus grande incertitude, si l’on
ne connoissoit point, d’une manière certaine, la hauteur exacte au-dessus de la
plaine inondée, de la butte factice sur laquelle ces monumens auraient été construits
; et c’est ce qu’on ne saura probablement jamais.
Ce qui démontre encore incontestablement l’exhaussement du sol de la vallée
de Thèbes, c’est l’inscription Grecque (3) que l’on trouve sur le côté sud du piédestal
du colosse du nord : elle est enfouie d’environ soixante-cinq centimètres (4).
Qu’on y ajoute encore soixante-cinq autres centimètres pour la hauteur d’un homme
qui s’assied par terre pour écrire, ce qui est le moins que l’on puisse supposer, on
trouvera un mètre trente centièmes pour l’élévation du sol, depuis l’époque où
paraît avoir été gravée cette inscription, qui date du règne de l’empereur Anto-
nin (5); car on ne peut croire qu’on a fait fouiller la terre pour graver cette
inscription dans.l’endroit où on la voit maintenant.
S il falloit de nouveaux faits pour justifier les conséquences que nous avons tirées,
relativement a 1 exhaussement du sol de la vallée de Thèbes, nous ne serions point
embarrassés d en citer. Nous nous bornerons à ceux que nous avons recueillis dans
des lieux peu éloignés de Thèbes. A Esné (6), le pavé du petit temple du nord
se trouve maintenant au niveau de la plaine; celui du grand temple est très-inférieur
au sol de la ville actuelle, et il s’en faut de bien peu qu’il ne soit au niveau
de la plaine environnante. Ces faits sont des indices certains de l’exhaussement du
sol ; car on ne peut raisonnablement supposer que lès anciens Égyptiens n’aient
pas mis ces édifices à labri de l’inondation. L ’expérience devoit certainement leur
avoir fait connoître les changémens qu’éprouvoit la vallée d’Égypte. On ne peut
pas croire quils etoient moins instruits que les habitans actuels du pays, dont la
(1) II est tres-remarquable que toutes les fondations tropique, sont les mêmes qu’autrefois; ce qui est infiniqui
ont ete découvertes a Esné, a Louqsor, à Karnak, ment probable. En supposant que l’on puisse admettre
a Syout et a Heliopolis, sont établies sur un sol de dé- une différence , elle ne peut provenir que de I’extencombrés;
dou Ion peut conclure que, dans les temps sion plus ou moins grande et de la répartition des eaux
anciens, comme actuellement encore , les villes et les du fleuve, facilitée par des débouchés plus ou moins
édifices étoient bâtis sur des buttes factices. nombreux.
(-) Nous supposons ici que les eaux s’élèvent main- (3) Voyez la planche 2 2 , f g . / et 6, A . vol. I I .
tenant au-dessus de la plaine de Thèbes, de la même (4) Deux pieds.
quantité dont elles s’élevoient dans les temps les plus (5) Voyez l’inscription, planche 2 2 , fig. 6 , A . vol. //,,
anciens. On ne voit pas de raisons pour qu’il en soit et l’interprétation d’une partie de cette inscription, n.° 1 1 ,
autrement, si les causes qui produisent les déborde- pag. ¡oy.
mens du fleuve, c e s t-a -d ire , les pluies périodiques du (6) Voye^ la Description d’Esné, chop. V il,
conduite suppose cette cohnoissance (1). Mais,sans nous tenir ici dans ce vague
didees, nous ferons remarquer que les anciens Égyptiens eux-mêmes nous fournissent
une preuve non équivoque de l’expérience qu’ils ont eue de l’exhaussement
du sol de l’Egypte : nous la trouvons dans un lieu voisin de Thèbes, à Denderah,
autrefois^ Tentyris. La plate-forme sur. laquelle s’élève le magnifique temple que
1 on y voit, surpasse encore de plus de quatre mètres et demi le niveau de la plaine
environnante. Si 1 on n avoit eu pour but que de garantir le temple de Denderah
des inondations, au temps seulement de sa construction, où étoit la nécessité
de le tenir à une aussi grande élévation au-dessus de la plaine ? Mais les anciens
Égyptiens connoissoient le fait de l’exhaussement de la vallée de l’Égypte.
Heiodote rapporte (2) que, sous le roi Éthiopien Sabacos, on condamnoit les
coupables à travailler aux levées et aux chaussées près des villes; qu’elles avoient
déjà été rehaussées sous le regne de Sésostris (3), mais qu’elles le furent bien
davantage sous la domination de l’Éthiopien. D’ailleurs, les prêtres de Memphis,
d’Héliopolis et de Thèbes, avoient fourni d’autres preuves de ce fait à Hérodote!
dans les entretiens qu il avoit eus avec eux. Il est extrêmement vraisemblable
qu’ils ne mettoient pas moins de soin dans l’observation de ce phénomène terrestre
, qui devoit singulièrement les intéresser, que dans celle des phénomènes
celestes, attestée par 1 histoire. On est même bien fondé à croire, d’après le témoignage
de Diodore de Sicile (4 ) , que tout ce qui avoit rapport à l’exhaussement
de la vallée, étoit consigné dans les registres publics, ainsi qu’on le faisoit pour
les crues du fleuve. Il nous paraît donc incontestable, d’après tous ces faits et
tous ces rapprochemens, que les architectes Égyptiens, ou les prêtres qui les diri-
geoient, ne se bornoient pas a garantir de l’inondation les édifices au temps seulement
de leur construction, mais qu’ils vouloient les en préserver pour les siècles
a venii, en les établissant sur des plates-formes très-élevées au-dessus du niveau
moyen de la plaine. D ailleurs, les Égyptiens, très-bons observateurs, avoient dû
s apercevoir que, les inondations moyennes et les inondations extraordinaires se
reproduisant nécessairement à de certains intervalles d’une manière semblable,
ou, ce qui est la même chose, le volume des eaux du fleuve étant à peu près invariable,
si les traces des inondations selevoient, après un laps de temps déterminé,
à une plus grande hauteur, cela ne pouvoit provenir que de l'exhaussement général
du lit du fleuve et de la vallée qu’il arrose. Nous n’avons point eu égard à ce que,
par suite de 1 élévation meme du sol, la vallee s est étendue, et que les eaux se sont,
en conséquence, répandues sur une plus grande surface, et élevées à une hauteur
un peu moindre, toutes choses égales d’ailleurs, c’est-à-dire, la distribution des eaux
ayant ete également favorisée. Cette considération ne contrarieroit point les conséquences
auxquelles nous sommes conduits.
(1) Tons les villages de l’Égypte sont élevés sur des (2) Herod. H ht. lib. 1 1 , cap. 1 3 8 , pag. 14 2 , edit.
buttes factices, dont le niveau est bien supérieur aux plus 16 18 .
grandes inondations. Pendant la dernière année du séjour (3) Voy^ la citation n." I I , à la fin de cette section,
des Français en Egypte, la crue du fleuve a été très-con- pttg> u6.
sidérable, et nous n’avons pas appris qu’aucun village ait (4) Voy^ la citation n.» 1 1 1 , à la fin de cette secété
submergé par l’effet de l’inondation. tion, pag. u6.