énorme monolithe renferme un cube de cent trente-huit mètres (t), et pèse trois cent
soixante-quatorze mille kilogrammes (2). Bien que des fouilles ne nous aient pas
fait connoître comment il se termine, cependant, d’après l’analogie des obélisques
de Louqsor et les représentations de ce genre de monumens que l’on trouve dans
les bas-reliefs (3), on sera porté à croire qu’il s’élevoit sur un socle d’une hauteur
médiocre, tel qu’il est figuré dans l’Atlas (4). Le système de décoration de ce
monolithe est différent de celui des obélisques de Louqsor, et des petits obélisques
de Karnak que nous avons décrits : il se compose d’une ligne d’hiéroglyphes, qui
occupe le riiilieu des faces, depuis le haut jusqu’en bas. A droite et à gauche de cette
ligne, et jusqu’à la moitié de la hauteur seulement, sont disposés des tableaux où
l’on remarque une même divinité, à laquelle des prêtres font diverses offrandes.
L ’obélisque du sud montre encore au loin ses énormes débris dispersés. Un
morceau de plus de dix mètres (y) de longueur, qui renferme tout le pyramidion,
présente une décoration absolument semblable à celle de l’obélisque du nord (6).
Nous avons pu apprécier exactement la perfection rare que les Egyptiens mettoient
dans l’exécution de ces monumens : leurs sculptures sont en relief dans le creux ;
et en adoptant ce parti, ils semblent avoir tout fait pour la conservation de ces
précieux monolithes. En effet, des sculptures exécutées en creux auroient été à peine
distinguées; en relief, elles eussent été plus exposées aux dégradations, et d’ailleurs
elles auroient altéré la forme de l’obélisque. Les Égyptiens ont donc paré à ces deux
inconvéniens, en donnant aux figures un léger relief dans le creux. Toutes les
sculptures sont polies avec le plus grand soin ; celles qui étoient placées loin de
i ’ceil, au sommet de l’obélisque, sont terminées avec autant de recherche et de
patience que si elles eussent dû être vues de très-près.
Il existe encore de nombreux débris (7) dans l’emplacement de l’obélisque du
sud ; mais les habitans en ont exploité la plupart pour faire des meules de moulin.
Ceux qui pourroient avoir encore quelque penchant pour cette opinion singulière,
que les obélisques ont été primitivement élevés par les Égyptiens pour
servir de gnomons, seront entièrement détrompés, en considérant la position de
ceux dont il est ici 'question. En effet, enclavés comme on les voit dans des
constructions, il n’y a point de sol propre à recevoir leur ombre. Les obélisques ne
pourroient être regardés comme des monumens astronomiques que sous ce point
de vue, qu’on y rencontre quelquefois des signes du zodiaque, et qu’il est assez probable
que les anciens Égyptiens, dans leur langage hiéroglyphique, y avoient consigné
leurs connoissancès dans la science du ciel. Quelle qu’ait été d’ailleurs leur
destination, ces monumens si simples, si précieux dans leur exécution, doivent
être considérés comme la production la plus élégante et la plus parfaite de l’architecture
Égyptienne.- Bossuet en a fait le plus bel éloge, lorsqu’il a dit (8) que la
(1) Quatre mille vingt-un pieds cubes.
(2) Sept cent quarante-sept mille neuf cent soixante-
sept livres. Le poids du pied cube de granit est de cent
quatre-vingt-six livres.
(3) Voye^ les bas-reliefs sculptés sur la face même de
l’un des obélisques de Louqsor,pl. t i , fig> i , A . vol. I I I .
(4) Voyez plancheJo,Jig. y , A . vol. I I I .
(5) Trente pieds.
(6) Voyez la pl. 18 et la pl. yo ,fig . y , A . vol. I I I .
(7) Voyez h pl. ¡8 , A . vol. I I I .
(8) Voye^ le Discours sur l’histoire universelle,^. i$ ( f
du tome I I , édition stéréotype de Didot.
puissance Romaine, désespérant d’égaler les Égyptiens, a cru faire assez pour sa
grandeur, d’emprunter les obélisques de leurs rois. En effet, que de soins, que de
constance n’ont point demandés la construction et l’érection de semblables monumens
au milieu du palais de Karnak ! Il n’a pas suffi de trouver, parmi les rochers
de Syène, des blocs d’une étendue immense; il a fallu encore, avec une précaution
infinie, les détacher de la masse sans les rompre, puis les dégrossir, en dresser les
faces, et les orner de sculptures variées. On conçoit à peine comment les arts si
perfectionnés de l’Europe pourroient enfanter un pareil prodige. Et qui oseroit
encore assigner ce qu’il faudroit de temps pour conduire à sa fin une pareille
entreprise ! .■
Plusieurs historiens, et Pline ( i ) entre autres, rapportent que la forme des obéj
lisques est une imitation des rayons solaires, et qu’en égyptien le mot obélisque
ne signifie autre chose que rayon. Zoëga (2) ne partage point cette opinion, et ne
trouve, ni dans la langue Qobte, ni dans la langue Arabe, rien qui justifiç l’étymo-
logie que Pline semble indiquer. Quoi qu’il en soit, il n’est guère possible de douter
que quelques-uns de ces monumens ne fussent consacrés au soleil : la nature des
décorations que présentent les grands obélisques de Karnak, semble le confirmer.
Cette divinité à laquelle se font toutes les offrandes, est certainement l’emblème
du soleil, et les hiéroglyphes expriment sans doute des louanges en l’honneur de
cet astre, J’un des douze grands dieux que révéroit l’Égypte (3). Il paroît cependant
certain aussi que quelques obélisques étoient des monumens élevés à la gloire des
grands rois, pour conserver la mémoire des peuples qu’ils avoient domptés, des
grandes prospérités dont ils avoient joui, et des tributs qu’ils avoient imposés
aux nations vaincues (4 ). Ces monolithes étoient souvent des dons offerts aux
temples par les peuples de l’Égypte ; ils attestoient l’amour des sujets envers le
prince et leur attachement à la religion.
Il n’est aucun voyageur qui, ayant parcouru les ruines de Thèbes, n’ait été
frappé de la beauté du grand obélisque de Karnak : sa hauteur prodigieuse pour
un monolithe, la finesse des détails et l’exécution précieuse des sculptures, la
beauté et le poli parfait de la matière, tout excite l’étonnement.
La porte par laquelle on sort du péristyle où se trouvent les monumens précieux
qui viennent de faire l’objet de notre examen et de nos recherches, se fait remarquer
par sa grande simplicité : tous ses murs sont lisses et sans aucune espèce
d’ornement. Sa corniche seule est décorée d’un globe ailé, en relief sur un fond
de cannelures. Cette porte a quatorze mètres (y) d’élévation, et domine sur les
terrasses du péristyle. Une différence de niveau, trouvée entre le sol de la galerie
et celui des pièces suivantes, a motivé les marches que l’on voit dans la coupe
générale (6). En sortant du péristyle, on pénètre d’abord dans une espèce de vestibule
de six mètres (7) de long et de douze mètres (8) de large, percé de deux portes
(1) Voye^ Pline, Hist. nat. liv. x x x v i , chap. 8. Strdbon, Tacite (Annales), Pline, A m mi e n-M arcelli n.
(2) Voye^ l’ouvrage de Z o ë g a , De usii et origine (5) Qiiarante-cinq pieds.
obeliscorum, pag. 130. (6) Voyez pl.- 2/, fig. 2 , et pl. 24 , A . vol. I I I .
(3) Voyeç Hérodote, Hist. Iiv. II. (7) Dix-huit pieds.
(4) y °y e\J> entre autres auteurs, Diodore de Sicile, (8) Trente-sept pieds six pouces.