étude entraîneroit trop loin, et elle conviendra mieux à un ouvrage plus général.
Je me bornerai à l’examen des figures principales de la grande frise déjà citée (i). J ’ai
dit que lé sujet qui domine dans cette frise est un escalier de quatorze marches :
il faut remarquer à son extrémité une colonne de lotus qui en a toute la hauteur;
au-dessus pose un croissant, et le tout est couronné par un oeil; derrière est une
petite figure à tête d'ibis. Je vois là tous les signes de la néoménie du solstice
d’été, ou du premier mois de l’année : le lotus, qui indique la crue du Nil; le soleil
ou Osiris (dont l'oeil est l’emblème, suivant Plutarque), au sommet de sa course;
l’ibis, signe de l’inondation (2) ; enfin le croissant ayant les pointes tournées en
haut, ce qui marque la nouvelle lune, suivant Horapollon (3).
Le premier personnage de toute la frise est encore une figure à tête d’ibis, offrant
le vase, emblème de l’inondation, le vas aquarium d’Horapollon ; le même se
retrouve encore au quinzième rang après l’escalier, et aussi au vingt-septième : il
tient dans la main le même objet qui est sur le croissant, c’est-à-dire, Y oeil d’Qsiris ;
devant lui sont des caractères non moins expressifs de l’inondation et du solstice
d’été, savoir, l’ibis, l’hiéroglyphe de l’eau, et le soleil avec trois jets de rayons, ce
qui peint la lumière dans toute sa force; enfin un petit verseau qui est l’emblème
le moins équivoque. Ce même verseau se remarque devant la vingt-cinquième figure
avec le soleil rayonnant, et aussi devant la trente - neuvième. Enfin la vingt-
sixième figure a parmi ses hiéroglyphes deux groupes de lotus, et au-dessous,
deux phallus, signe de la virilité, de la fécondation. Je.pourrais montrer l’ibis,
le lotus, le vase d’où l’eau s’épanche, et le signe de l’eau lui-même, par-tout
répétés; mais l’examen de la gravure les fera aisément reconnoître au lecteur.
Il est donc extrêmement probable que cette frise représente les circonstances
du solstice d’été (4) et l’instant de la nouvelle lune du solstice. Mais, après avoir
reconnu de quelle époque de l’année il s’agit, il resteroit à rechercher l’époque
céleste, et, par suite, lage qu’elle doit exprimer. Une figure de femme à tête de
lion, répétée fréquemment au commencement de la frise, me paroît propre à
résoudre cette question. Si le solstice d’été, par sa marche rétrograde, étoit déjà
entré dans la constellation du lion; que, pendant le premier mois de l’année, le
soleil eût, par exemple, à parcourir les cinq derniers degrés du lion et les vingt-
cinq premiers de la vierge, et que l’artiste eût voulu exprimer ces circonstances
par une figure unique, il auroit ajouté à un corps dz femme quelque partie d’un
corps de lion, et les convenances de la sculpture devoient lui faire choisir la tête
plutôt que toute autre partie. Or telle est, en effet, la figure que je viens de
désigner (y). Cette figure de la vierge à tête de lion a dans la main une tige de
lotus, autre signe du solstice d’été. On voit encore plusieurs personnages à tête
(1) Voyez pl. $ 8 , fig. z. les étoiles de la queue, et non dans celles de la tête;
(a) Voy. l’Histoire naturelle et mythologique de l’ibis, mais il étoit impossible de composer une figure humaine
par J . C. Savigny. avec.la queue du lion, sans blesser les règles de goût
(3) Quatrième hiéroglyphe d’Horapollon, liv. I . que s’étoient faites les artistes. Ailleurs, ils ont exprimé
(4) L ’exposition du monument tourné au midi est une époque voisine, en employant la queue du lion, mais
peut-etre encore une circonstance qui appuie cette idée, en dessinant deux figures séparées, comme j’aurai occa-
(5) Le solstice, en .entrant dans le lion, étoit dans sion de le faire voir.
de lion, tous accompagnés du vas aquarium. Je pense donc qu’on peut reconnoître
ici l’époque de l’ouverture de l’année, au temps où le solstice d’été, ayant quitté la
vierge, avoit atteint les premières étoiles Au. lio n , c’est-à-dire, les derniers degrés.
L ’importance du temple d’Edfoû me porte à croire qu’il date du renouvellement
d’une période sothique, époque à laquelle je conjecture que l’on consacroit de
grands monumens, ainsi que je l’exposerai ailleurs : or une de ces révolutions a
précisément .expiré lorsque le solstice d’été a touché le vingt-cinquième degré du
lion. On sait de quelle importance étoit pour les Égyptiens une époque pareille
qui concilioit,au bout de quatorze cent soixante-un a n s,l’année fix e ou rurale avec l ’année
vague ou religieuse, époque d’abondance et de joie pour le peuple, et précieuse
pour les astronomes Égyptiens, dont le plus beau titre de gloire est la découverte
de la période sothique (t).
§. V I .
De l ’image du Phénix trouvée parm i les sculptures du grand Temple
et dans d ’autres monumens.
L a période sothique avoit son emblème dans l’oiseau célèbre et fabuleux que
l’on nomme phénix. Il me semble qu’il n’est guère permis d’en douter, quand on
sait que la durée de sa vie passoit pour être la même que celle de cette période,
c’est-à-dire, de quatorze cent soixante-un ans (2). Or il est curieux de trouver à
Edfoû l’image de cet oiseau, et je ne sache pas que personne l’ait encore remarquée
dans aucun monument (3). Si la figure que je cite est bien cèllè du phénix , et
que celui-ci soit en effet le symbole de la période sothique, ma conjecture sur
lage du temple sera presque changée en certitude.
En premier lieu, Hérodote affirme avoir vu le phénix peint sur les monumens,
ayant la figure et la grandeur de l’aigle; il ajoute qu’il ne l’a jamais vu
qu’en peinture. Il est donc certain que cette figure existe parmi les peintures
Égyptiennes. Cet oiseau, dit-on, parvenu à la fin de sa vie, formoit un nid
d’encens et de myrrhe, quittoit l’Inde sa patrie, et venoit mourir dans le sanctuaire
du temple d’Heliopolis, où il renaissoit de ses propres cendres au bout
de quelques jours (4). Bien que le dessin recueilli à Edfoû soit imparfait (5), on
y reconnoît l’oiseau naissant, encore informe,’ et sortant de son bûcher. Les mots
de Pline, inde fie ri pullum, s’y appliquent fort bien. Dans un monument Égyptien
(1) M. Fourier expose en détail la nature et l’histoire
de cette période dans son Mémoire sur les monumens
astronomiques.
(2) Le savant et ingénieux auteur du Mémoire sur
l’origine des constellations vient d’émettre cette idée dans
un nouvel ouvrage, dont je n’ai pu avoir connoissance
quand j’ai compose cet écrit, il y a plusieurs années; il
a eu le mérite de la présenter avec beaucoup de vraisemblance
, bien que privé du secours des monumens, et
trompé par de fausses analogies.
(3) Voyez planche 60, fig. 2 2 , au bas d’une légende
hiéroglyphique.
(4) Consultez Hérodote, liv. i l , chap. 7 3 ; Pline, liv. X,
chap. 2 ; Horapollon, S . Epiphane, &c.
(5) Je n’aurois pas donné comme exemple cette
figure seule, qui a été dessinée incorrectement, mais
d’une manière très-naïve: c’est parce qu’elle m’a conduit
à examiner les autres figures dont je parlerai plus
bas, et qu’elle m’a offert dans mes recherches la première
image du phénix, que j’ai cru pouvoir la citer ici.