PREMIÈRE PARTIE.
Des Exploitations de granit.
§. I.er
Idée générale des Carrières de granit.
A ce mot Je carrières, on se figure orJinairement, ou de vastes souterrains,
ou des cavités découvertes, plus ou moins étendues, plus ou moins profondes,
taillées dans le sein d’une montagne; mais, si l’on excepte deux endroits situés au
sud de Syène, se n’est pas là l’idée qu’il faut se faire de l’exploitation du granit
chez les Egyptiens. Les carrières étoient par tout où il y avoit des rochers granitiques
isolés et faciles à enlever; autour de Syène, à Ëléphantine, vers la cataracte,
vers l’île de Philæ, dans les déserts du voisinage, et jusque dans le lit du Nil (i).
Attentifs à ne pas augmenter les difficultés qu’offroient tles entreprises déjà si
gigantesques, les Egyptiens se bornoient à choisir, parmi les rochers qui les envi-
ronnoient, celui dont la forme convenoit le mieux au monument qu’ils vou-
loient exécuter, et l’exploitation se réduisoit à le séparer de sa base ; souvent
même ils cboisissoient quelques-unes de ces roches anciennement détachées des
montagnes, telles qu’on en voit beaucoup dans les déserts voisins : on ne "saurait
douter qu’ils n’aient enlevé aussi une multitude innombrable de ces masses
énormes qui, sans adhérence entre elles, et posées les unes sur les autres, forment
ces singulières montagnes que l’on a déjà indiquées entre Syène et Philæ (2); et
voilà pourquoi les vestiges d’exploitation, quoiqu’assez nombreux, ne répondent
pas, à beaucoup près, à l’immense quantité de montimens en granit travaillés
par les anciens. Les rochers entiers ont été enlevés; ils ont ainsi disparu sans
qu’aucune trace d’exploitation puisse attester aujourd’hui leur existence. Quelquefois
on a partagé un de ces blocs en deux parties, et quelquefois on a
abandonné l’entreprise avant de l’avoir achevée. Ces travaux à moitié exécutés,
dont on voit plusieurs exemples remarquables dans le chemin qui conduit de
Syène à Philæ, attestent ce que nous venons d’avancer; ils sont précieux aussi, en
ce qu’ils nous permettent de juger des méthodes d’exploitation employées par
les Égyptiens.
Dans les deux endroits au sud de Syène qui méritent plus particulièrement le
nom de carrières, on voit le terrain tout parsemé d’éclats de granit rose, qu’à la
fraîcheur des rassures, à la vivacité des couleurs , on croirait nouvellement
( i ) On pourroit cirer, entre autres monjimens tirés conjecture, que nous discuterons ailleurs, a déjà été avan-
<Iu Nil, le fameux temple monolithe de Sais, décrit par cée par un ancien voyageur.
Hérodote, qui paroit avoir cté détaché des rochers gra- (2) Description de l’île de Philæ.
nitiques qui bordent le fleuve près d’Eléphantine. Cettç
D E ' . G R A N I T . A P P E N D I C E , N . e I . 3
détachés. Parmi les monumens ébauchés qui ont été abandonnés, on remarque un
obélisque et plusieurs colonnes à moitié taillées. Plusieurs raisons nous portent à
croire que ces travaux ne remontent pas à une très-haute antiquité ; qu’ils appartiennent
aux Grecs et aux Romains plutôt qu’aux Égyptiens *. d’abord, l’état d’abandon
de tant d’objets; en second lieu, l’éclat et la fraîcheur des parties de rocher
entaillées, et des fragmens.accumulés sur le sol : car les surlaces découvertes par
les anciens Égyptiens, et sur-tout les hiéroglyphes tracés sur le rocher, offrent
toujours un aspect plus terne.
Une troisième raison, plus décisive, est la nature même des monumens ébauchés.
L ’obélisque pourroit, à la vérité, être regardé comme un ouvrage des Égyptiens;
encore n’est-il pas absolument impossible que les Grecs, que les Romains sur-tout,
qui ont transporté à si grands frais des obélisques en Europe, aient essayé d’en
tailler un eux-mêmes; ceci n’est qu’une conjecture; mais, pour les colonnes ;i l ne-
peut y avoir de doute sur leur origine. Les Égyptiens ont rarement taillé en granit
des fûts d’une seule pièce ; on n’en trouverait pas, un seul dans toute la Thébaïde
qu’on pût regarder comme leur ouvrage (i) : les Grecs, au contraire, en ont taillé
des milliers que l’on retrouve encore aujourd’hui, et qui sont bien reconnoissables
à leur style et à leurs proportions.
Observations sur la composition du Granit de Syène.
L a plus importante des roches dont nous avons à parler, est celle que l’on
a désignée sous le nom de granit Oriental ou de granit rouge de Syène. La vivacité
de ses couleurs, la grandeur des cristaux qui la composent, sa dureté, sa solidité
presque inaltérable, la rendraient déjà très-remarquable parmi les autres roches du
même genre ; mais l’emploi qu’en ont fait les Égyptiens, et à leur exemple les
Grecs et les Romains, lui assure une éternelle célébrité. Si cet écrit étoit uniquement
destiné aux naturalistes, je me bornerais à une ou deux observations sur la
composition de ce granit, pour m’attacher principalement aux circonstances de
son gisement, de son exploitation; mais , pour les personnes peu familiarisées
avec l’aspect des roches, quelques détails deviennent nécessaires à l’intelligence de
ce que nous aurons à dire, d’autant plus que l’on ne trouverait nulle part à y suppléer,
les descriptions de roches que l’on trouve dans les livres n’étant pîopres
qu’aux minéralogistes.
La plus légère attention, soit sur un monument ancien, soit sur les planches
de l’ouvrage où l’on a représenté les diverses variétés de cette roche, ferait aisé-'
ment reconnoître qu’elle est composée au moins de trois et quelquefois de quatre
substances différentes, toutes cristallisées distinctement, intimement unies entre
elles, quoique sans le secours d’aucun gluten, et ayant cependant une telle adhérence
, qu’elles se rompent plutôt- que de se dés'agréger.
(i) On a vu à Alexandrie un ou deux tronçons de par les Égyptiens : mais aussi faut-il bien remarquer que.
colonnes en syénit où étoient gravés des hiéroglyphes; leurs proportions ne sont pas celles des fûts de colonnes