'Le second pylône lait partie du grand temple, où nous allons enfin pénétrer.
Nous voici sous le portique, composé de dix colonnes; il est fermé de tous le^
cotes, et il reçoit du jour par la porte et par la terrasse. Tout ce que nous
apercevons autour de nous, colonnes, murs et plafonds, tout est couvert de
sculptures, et toutes ces sculptures sont peintes de diverses couleurs. Cette
peinture, il est vrai, ne se remarque pas au premier abord ; elle est cachée par la
poussière: mais les chapiteaux, qui par leur forme en ont été préservés, offrent
des couleurs, verte, rouge, jaune, bleue, de la plus grande vivacité. Dans les
parties peu éclairées, les couleurs paroissent fondues; elles sont cependant
appliquées sans dégradation : cette illusion est produite par les ombres des reliefs;
et elle est dailleurs favorisée ici par le jour qui vient d’en haut, et par la manière
dont il se distribue et s’adoucit en passant successivement entre les colonnes pour
arriver Juscju au fond du portique.
N est-il point surprenant de retrouver encore des peintures d’une si haute antiquité:
et si les monumens de l’Égypte ont traversé tant de siècles, ne le doit-on
pas autant à la nature du climat qu’à la solidité des constructions: Toutefois rien
ne saurait lasser le temps : malgré cette solidité, malgré l’uniformité du climat,
ce temple est dégradé dans plusieurs parties. Voyez cette colonne; que de pierres*
en sont détachées! on diroit qu’elle va crouler. Mais l’intérieur de cette colonne,
mais les faces des pierres cachées dans la construction, montrent, sous le ciment
qui les enveloppe, des fragmens de sculptures, des hiéroglyphes tronqués ou renversés,
dont plusieurs ont encore conservé les couleurs dont ils étoient peints.
Ainsi ce temple, que nous jugeons déjà si ancien, est lui-même construit des
débris dun plus ancien édifice; ainsi ces mêmes pierres, ces hiéroglyphes, ces
couleurs, pourraient avoir deux fois l’âge du temple: et de combien de siècles
encore ne faudra-t-il pas remonter dans le passé pour arriver à l’origine de ces arts
et de Ja civilisation qu’ils supposent!
Les salles intérieures sont tout-à-fait obscures, ou ne reçoivent un peu de
clarté que par de très-petites ouvertures : il faut se munir de flambeaux pour y
pénétrer. On traverse successivement trois grandes salles qui communiquent à
diverses chambres latérales, avant d’arriver au sanctuaire placé au fond du temple ■
l’odeur forte et piquante que l’on y respire, est celle des chauve-soUris, les seuff
etres vivans qui habitent actuellement cette enceinte. Ces trois salles, le sanctuaire,
et toutes les autres salles du temple, sont sculptés comme le portique.
Les sculptures, d’un relief extrêmement bas, distribuées par tableaux entourés de
leurs légendes hiéroglyphiques, représentent presque toutes des scènes religieuses;
des offrandes, des sacrifices, des initiations, dont on devine au moins le sens
apparent; mais plusieurs autres ne semblent que bizarres, et font désespérer
qu’on puisse jamais en comprendre la signification. Les plafonds sont autant
sculptés que les murs, et il est impossible de-découvrir une seule surface sans
écornions. Il n’est aucune pierre du temple qui ne soit ornée de sculptures
religieuses, couverte de l’écriture sacrée, et peinte de diverses couleurs. La
moindre partie de l’édifice étoit en quelque sorte sainte, et il suffisoit d’y jeter
le regard pour en recevoir une impression religieuse. Il est.difficile de concevoir
jusqu’à quel point un peuple naturellement porté aux sentimens de piété, et chez
lequel toutes les institutions et jusqu’aux arts d’agrément concouraient ainsi vers
un même but, devoit ressentir l’effet de tant de moyens réunis.
Au fond du sanctuaire, on voit un bloc de granit tout couvert de sculptures,
et dans lequel est taillée une niche carrée, propre à former une sorte de cage :
cetoit celle de l’épervier sacré. On sait qu’il y avoit dans l’île de Philæ un temple
où Osiris étoit particulièrement adoré sous la forme de cet oiseau. Combien
d’hommes ont sans doute, autrefois, fait des voeux ardens pour arriver jusqu’à ce
tabernacle mystérieux, et ne s’en fussent approchés qu’avec une sainte terreur !
Voyez aujourd Iiui quel abandon , quelle solitude ; comme ces murs sont noirs
et couverts de poussière ! On ne marche qu’au milieu des pierres et des décombres;
ils obstruent les passages; ils empêchent de pénétrer dans celui qui
excite le plus la curiosité, dans ce corridor si étroit pratiqué dans l’épaisseur du
mur. Cetoit par-là, sans doute, que s’introduisoit le prêtre qui parloit pour le
dieu et rendoit les oracles.
Dans une des salles on trouve un escalier qui mène sur la terrasse du temple.
Ici même, sur ce temple, encore des décombres et des amoncellemens de terre!
Cette terrasse a été un petit village que les Barâbras ont construit, habité et
abandonne. C etoit, sans doute, pour se défendre contre quelques ennemis, que
les Nubiens de Iîle de Philæ avoient ainsi choisi leur demeure sur ce monument,
et non dans la vue d éviter les inondations, puisque jamais les plus hautes ne submergent
le terrain de l’île.
On trouve également des maisons de terre au-dehors et au pied des murs du
temple . elles seules déforment 1 extérieur des édifices et déguisent leur véritable
hauteur, car ils ne sont point enterres sous le sol de l’île, qui, depuis long-temps,
paraît n’avoir éprouvé aucun exhaussement. Cet extérieur des édifices offre ici |
vers le milieu du jour, un aspect remarquable, et qui est dû au voisinage du tropique
: des que le soleil est un peu élevé, les corniches projettent de longues
ombres qui descendent de plus en plus sur les murs des monumens ; et vers midi,
le soleil étant à plomb, toutes les faces des édifices sont presque entièrement
dans 1 ombre. A cette heure, quel calme règne dans ces climats ardens! L ’air
ny est agité par aucun souffle, et les eaux dans leur cours produisent seules
quelque mouvement. Au milieu de ce repos général, il n’y a que l’active curiosité
des Européens qui puisse encore trouver assez d’énergie pour braver les ardeurs
du midi ..quand les naturels même cherchent par-tout les abris et le repos.
Le petit temple que nous avons laissé à notre gauche, en allant du premier au
second pylône, diffère beaucoup du temple d’Osiris. Une galerie de colonnes l’entoure
de trois côtés; au-devant est un portique de quatre colonnes, qui offre en
petit la, disposition de presque tous les autres portiques Égyptiens. Ce qui distingue
ces portiques de ceux que nous avons imités des Grecs et des Romains, c’est qu’ils
sont fermés latéralement, et que tous les entre-colonnemens de la façade (à l’exception
de celui du milieu, qui est ouvert jusqu’en bas, et forme l’unique porte
A . D . Il a