Les monumens situés sur la rive gauche du fleuve attirèrent d’abord notre
attention. Nous nous établîmes à el-Aqâlteh; sa proximité des bords du Nil nous le
fit choisir en quelque sorte pour notre rendez-vous. Cest de là que nous partions
tous les jours, au lever du soleil, pour nous livrer à des travaux qui, entrepris durant
dexcessives chaleurs, nous eussent paru extrêmement pénibles dans toute autre
cnconstance où nous n’aurions pas été soutenus par l’enthousiasme que nous inspirait
la vue des ruines. Nous éprouvions quelque plaisir à penser que nous
allions transporter dans notre patrie tous les produits de l’antique science et de
i industrie des Egyptiens ; c’étoit une véritable conquête que nous allions essayer au
nom des arts. Nous allions enfin donner, pour la première fois,.une idée exacte et
complète de monumens dont tant de voyageurs anciens et modernes n’avoient pu
parler que d’une manière peu satisfaisante. Nous allions réaliser les voeux qu’exprime
au sujet de l’Egypte le plus grand de nos orateurs ( i )■, en ces ternies remarquables :
« Quelle puissance et quel art a fait d’un tel pays la merveille de l’univers, et quelles
» beautés ne trouverait-on pas, si on pouvoir aborder la ville royale, puisque si loin
» delle on u-ouve des choses si merveilleuses ! » Nous étions en effet sur le sol
de cette ville royale, où les indications qu’on avoit eues jusqu’alors, quoique très-
peu précises, promettoient cependant la découverte des plus nobles ouvrages. Et
d ailleurs, quels attraits, quels charmes secrets ne présente pas la vue des ruines ! On
ne recherche pas ce spectacle sévère par une curiosité stérile et momentanée ; on
y est conduit par une passion ardente et vive, qu'il faut avoir éprouvée pour’s’en
faire une juste idée. Combien de fois, entraînés par cette passion, n’avons-nous
pas parcouru la plaine de Thèbes, au risque d’y être assassinés par les Arabes et
parles sauvages habitans de ces contrées! Combien de fois ne nous est-il pas arrivé
d entreprendre des courses longues et pénibles, dans la seule vue de découvrir de
nouveaux monumens et d’interroger quelques débris éloignés !
Le premier objet remarquable, au sortir d’eJ-Aqâlteh, est une vaste enceinte qui
enferme un espace de plus de deux mille mètres (a) de long sur mille mètres h) de
large : c étoit un cirque, un hippodrome, où les anciens Égyptiens s’exerçoient aux
courses a pied, aux courses de chevaux et de chars. Dans le grand nombre d’ouvertures
que présentent encore les débris de son enceinte, on est porté à voir les cent
portes de Thèbes célébrées par Homère et par tous les historiens et les poètes de
antiquité. Ce cirque paraît avoir été entouré de constructions triomphales qui
dévoient annoncer d’une manière tout-à-fait grandiose l’ancienne capitale de
Egypte. Jadis foule par un peuple nombreux, il est maintenant rendu à la culture
et fertilisé par un canal qui y apporte les eaux du Nil lors de l’inondation.
A l extrémité sud de cette enceinte, on aperçoit les restes d’un petit temple
tombe en ruine,-et en avant duquel est une porte dont les grandes dimensions
paraîtraient convenir à un édifice plus considérable : c’est, de ce côté, le dernier
point qui offre des ruines que l’on puisse présumer, avec quelque fondement-, avoir
dépendu de Thebes. En parcourant, à partir de là, ie côté occidental de l’enceinte,
v e i e ll f 0” 0" ’ da”! *°m D ‘SC0UrS SUr rhistoire uni' M Mille vingt-six toises.
(3) Cinq cent treize toises.
on marche sur la lisière du désert, et au pied des premiers monticules de sable et
de pierre calcaire de la chaîne Libyque.
A l’extrémité nord de l’hippodrome, on trouve les ruines de Medynet-abôu.
Elles s’élèvent majestueusement sur une butte factice, et sont entourées d’une
enceinte construite partie en pierre et partie en briques crues. Un petit temple
se montre d’abord au pied des décombres ; mais ce qui attire particujièrement les
regards, ce sont les ruines d’un édifice que l’on juge, au premier coup-d’oeil, avoir été
le palais d’un souverain. Deux étages, des fenêtres carrées, des murs couronnés
d’espèces de créneaux, annoncent un édifice différent des monumens consacrés au
culte Égyptien. Dans le voisinage, vers le nord, s’élèvent des propylées au-devant
d’un temple qui porte l’empreinte d’une grande vétusté. Toutes ces constructions
excitent à un haut degré l’attention du voyageur, et présentent une fouie d’observations
sur lesquelles nous reviendrons bientôt, mais que ne comporte point le coup-
d’oeil rapide que nous nous proposons de jeter sur l’ensemble des ruines de Thèbes.
Ce que l’on remarque sur-tout, ce sont les édifices situés plus loin vers l’ouest, près
de la montagne Libyque. Leur axe est exactement le même que celui du pavillon à
deux étages. Un pylône (1) très-éJevé conduit dans une grande cour presque carrée,
dont les galeries septentrionale et méridionale sont formées de colonnes et de
gros piliers carrés, auxquels sont adossées des statues colossales. Ces espèces de cariatides
impriment au monument un caractère de grandeur et de gravité, dont il est
impossible de ne pas être frappé : elles semblent placées là pour rappeler aux mortels
le recueillement et le respect que l’on doit apporter, en pénétrant dans ces asiles de
la religion et de la majesté royale. Un second pylône termine cette première cour, et
conduit à un superbe péristyle dont les galeries latérales sont formées de colonnes,
et dont le fond est terminé par un double rang de galeries soutenues par des colonnes
et des piliers cariatides. Ce péristyle offre tout-à-la-fois des restes de toutes les reli>
gions pratiquées successivement en Égypte, dans le cours des siècles. Les Chrétiens
y ont élevé une église- où se voient encore de belles colonnes monolithes en granit
rouge. Iis ont peint, sur les murs, des saints avec l’auréole autour de la tête. Quelquefois,
par de légers changemens, ils ont transformé en saints du christianisme
des dieux, des héros ou des prêtres de l’ancienne Égypte. Les Mahométans, venus
ensuite, l’ont destinée à un autre culte ; ils en ont fait une mosquée où tout rappelle
encore l’islamisme. Les colonnes qui la décoroient, quoiqu’elles soient d’un seul
morceau de granit, et rassemblées en assez grand nombre, ne produisent cependant
pas tout I effet qu’on pourrait en attendre. Elles se feroient remarquer bien davan-
tage, si elles fàisoient partie d’un-édifice isolé. Elles semblent réunies ici pour contraster
avec le péristyle Égyptien dans lequel elles sont renfermées, et dont elles
rehaussent la grandeur et la noble simplicité.
Un vaste mur d enceinte, caché en grande partie sous les décombres, renfermoit
plusieurs édifices dont on aperçoit encore quelques restes. Sans doute
(1) Ce mot est dérivé de avx<&r que les Grecs ont et des palais de i’Égypte. Voye^ ce que nous rapportons
employé pour désigner les grandes constructions pyra- à ce sujet dans la seconde partie de la section II I de ce
midales qui forment ordinairement l’entrée des temples chapitre.