4 0 4 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE THÈBES.
L ’effet du tableau des harpes est agréable; on éprouve, en le voyant, une sensation
mêlée de'surprise et de douceur; après l’avoir vu, on sent le désir de le
revoir et l’on y revient avec un nouveau plaisir : il est environné de sujets gais et
familiers qui vous font oublier ce qu’il y a d’austère dans les sombres demeures
où vous êtes descendu. Cette peinture sera toujours un des objets principaux de
l’empressement des voyageurs. L ’intérêt qu’elle présente m’a fait penser qu’on
pourrait y trouver un motif pour imposer un nom à la catacombe qu elle embellit;
c’est ce qui m’a déterminé à adopter la dénomination de catacombe des harpes|
Si l’on entre dans la loge qui fait face 'a celle des harpes (i), on trouve des peintures
qui représentent une collection de meubles et d’ustensiles ; ici, nous, nous
trouvons en quelque sorte admis dans l’intimité des anciens Egyptiens ; nous
sommes initiés au secret de leurs habitudes familières, et nous pouvons saisir
quelques détails de leur manière de vivre dans l’intérieur de leurs maisons. Les
regards se portent d’abord sur une suite de vases qui se distinguent par la pureté
et l’élégance de leurs formes et par la vivacité des couleurs dont ils sont revêtus.
Parmi ces vases, on distingue celui qui est encore de nos jours d’un usage général
et habituel en Egypte; il est connu sous le nom de qouleh ou bardaque (2).-J’ai
annoncé ce dessin dans le Mémoire sur les grottes d’Elethyia, où, après avoir
parlé de la propriété réfrigérante des bardaques, j’ai prouvé que les anciens Egyptiens
l’avoient connue, en avoient fait usage, et avoient même su augmenter son
effet par des procédés aujourd’hui tombés en désuétude (3). Il faut remarquer
dans notre dessin une bordure noire placée autour, de 1 orifice des qouleh. Les
Égyptiens modernes mettent une bordure semblable aux qouleh destinés à la
classe aisée; ils mêlent à la couleur noire un peu de musc, afin de couvrir, par
l’odeur de ce parfum, l’odeur d’argile que conservent toujours ces vases qui
n’ont subi qu’une cuisson légère, et pour masquer le goût de limon dont l’eau du
Nil ne peut être dépouillée qu’avec des soins qu’on n’a pas toujours le temps de
' C’est dans la même loge que se trouvent les lits de repos, les fauteuils et les
' trônes représentés dans la planche Sy. On peut remarquer dans ces différens
meubles que les formes sont élégantes, la décoration riche, et que tout est bien
prévu pour la commodité. Les deux premières figures répondent à la description
du trône de Salomon, qui se trouve dans l’Histoire des rois ; L a partie élevée vers
le derrière de ce trône étoit ronde; ily avoit des bras de chaque coté du siège, et deux lions
étoient.mprès des bras (4)- Il est dit, au verset précédent,.que le trône de Salomon
étoit d’ivoire et revêtu d’un or très-pur : les teintes jaunes et blanches de la,
première figure représentent probablement ces deux matières. La Bible ajoute
que le trône étoit élevé sur une estrade à six gradins ; deux lions étoient placés
sur chaque gradin, l’un à droite et l’autre à gauche, de sorte que, pour arriver
( ,) Cette loge est marquée k , planche7 S , fig. ; , A . manushincetwdeadlocumsessionis.etduoUonesnahant
, , , apud manus. (R o is,.liv . I I I , chap. 10 , ,v. 19. Bible de
M Planche Dr, fig. : A . vol'. I I . Va,able, Paris, ,7 y . ) La version de SauctèsPaguini, que
3 Voyez les Antiquités-Mémoires, pag. ; 7 et ,8 . \ ’ je viens de citer, est plus littérale que la Vulgate, et pre-
( miras rotunda erat solio h pane posteriori, et sente une description plus claire.,
jusquau trône, il falloit passer entre deux lignes de lions. Cette circonstance
rappelle les nombreuses avenues de sphinx que nous retrouvons parmi les ruines
de Thèbes.
Il ne faut pas s’étonner de cette ressemblance entre les meubles de Salomon et
Ceux des Égyptiens; le grand commerce qui se faisoit sous le règne de Salomon,
son alliance avec le Pharaon, dont il avoit épousé une fille, le voisinage de l’Egypte •
et de la Palestine, ont dû établir des relations continuelles entre les deux pays :
1 Egypte étoit alors la puissance prépondérante de cette partie du monde ; elle
surpassoit toutes les autres en gloire, en puissance et en richesses : ses voisins ont
dû être empressés d’imiter ses usages et sa magnificence.
Les figures .enchainees, peintes sur les panneaux du second et du troisième trônes,
semblent dire que ces trônes ont appartenu à des rais guerriers qui avoient remporté
des victoires sur quelque nation ennemie des Égyptiens. Deux figures semblables
sont représentées dans une position encore plus humiliante sur les panneaux
dune escabelle (i). On voit dans un bas-relief du Memnonium un héros Égyptien
assis, dont les pieds reposent sur une escabelle semblable à celle-ci (2) : ce héros
foule aux pieds les images de ses ennemis vaincus. Ces peintures nous donnent
le motif d’une locution figurée employée dans la Bible : Je ferai de tes ennemis
l ’escabelle de tes pieds ( 3 ).
Les figures enchaînées sont vêtues de longues robes; des pièces d’étoffe pendent
de leurs épaules et descendent sur leurs bras comme des mantelets : quelques-unes
de ces figures sont barbues. Les memes costumes se retrouvent dans un bas-relief
de Karnak, qui représente une marche de prisonniers (4) * si l’on parvenoit à déterminer
le pays d ou ces captifs sont originaires, on obtiendrait une donnée qui
serait de quelque intérêt pour 1 histoire des anciens Égyptiens.
Les bas-reliefs de Perscpolis, publies par Chardin et par Corneille le Bruyn, pourront
nous fournir des lumières utiles. Parmi les figures dont ces bas-reliefs sont
composés, il en est plusieurs qui portent un habillement semblable à celui de nos
captifs. Dans les tableaux de Thèbes, ce costume semble être l’attribut de l’abaissement
et de 1 humiliation : dans ceux de Persépolis, au contraire, il est réservé
aux personnages qui remplissent les fonctions les plus honorables; c’est le costume
qui s y reproduit le plus souvent; il est porté par les militaires qui défilent armés de
toutes pièces, et par les chefs de cérémonie qui conduisent des hommes que la
différence de leurs vêtemens désigne comme étrangers. Les personnages qui font
preuve de force et de courage en domptant des animaux à grande stature, en
sont revetus. On voit dans un autre bas-relief un roi assis sur son trône et donnant
audience; un homme de guerre fait la garde derrière.lui. L ’individu admis
a 1 audience porte un habit particulier; mais le roi et l’homme de .guerre ont celui
qui fait 1 objet de nos recherches. D’après toutes ces circonstances, on peut affirmer
que ce costume étoit celui du peuple qui bâtit Persépolis : comment supposer, en
effet, que, dans ses sculptures monumentales, ce peuple ait donné aux étrangers
(0 Planche 8 ; , fig. 6, A . vol. I I .
(2) Planche fit y f i g. 2 , A .vo l. II,
(3) Ponam inimicos tuosscabellumpedum tuorum, (Ps. ! 09.)
(4) Fig. 2 } planche 3 3 , A . vol. I I I .