
La position de ces massifs porte à croire qu’ils sont l’imitation de deux tours
carrées, placées originairement pour la défense des portes d’entrée : leur hauteur,
et les escaliers intérieurs qui conduisent jusqu’au sommet, peuvent les faire regarder
comme des observatoires, édifices nécessaires chez un peuple dont la religion.étoit
en grande partie fondée sur l’astronomie.
Le premier pylône a trente-neuf mètres (i) de largeur et dix-huit mètres (2)
de hauteur. C'est le plus élevé de tous les édifices de l’île; mais il en existe ailleurs
de bien plus grands : car les monumens de Philæ ne paraissent si considérables
que parce qu’ils occupent une grande partie de la surface de l’île; ils sont petits
par rapport à d’autres monumens de l’Égypte. C ’est ici comme un modèle en grand
des constructions Égyptiennes.
On peut remarquer sur le pylône quelques-uns des caractères particuliers à
ces constructions : les corniches, qui par-tout ont la même forme; la moulure
infeiieure de ces corniches, qui descend en forme de rouleau sur les angles des
édifices; enfin, la distribution des sculptures. A la partie supérieure du pylône,
elles représentent des divinités assises, et devant elles des prêtres debout qui leur
font des offrandes. Chaque scène forme une sorte de tableau sculpté, séparé de
ceux qui le suivent ou le précèdent par des légendes verticales-d’hiéroglyphes.
Dans le rang inférieur, toutes les figures sont debout et d’une énorme proportion
(3). On y voit des divinités qui reçoivent un sacrifice. Le soubassement du
pylône est décoré par les tiges et les fleurs de la plante sacrée du lotus; les mon-
tans et la corniche de la porte sont également ornés de tableaux et de décorations
symboliques. Ainsi ce pylône est sculpté dans toutes ses parties ; et quoique
nous ne voyions encore qu’un monument, et même qu’une seule face de ce monument,
elle nous offre déjà plus de six cents mètres carrés (4) de surface sculptée.
Cette profusion de sculptures est extrême, et cependant il n’en résulte aucune
fatigue pour l’oeil; les lignes de l’architecture n’en sont point interrompues; et ce
système de décoration, quelque nouveau qu’il paroisse, plaît et flatte la vue dès le
premier abord. Cela tient à l’heureuse disposition de cette décoration, à la simplicité
de la pose des figures, à la manière uniforme dont la sculpture est en quelque
sorte répandue sur toutes les surfaces des monumens, et, enfin, sur-tout à son
peu de relief, qui ne produit nulle part ni de grandes ombres ni de vives lumières.
Au-devant du pylône, des obélisques et des lions de granit rouge sont renversésÿ
brisés, et presque entièrement enfouis : c’est à l’imagination à les tirer de la poussière,
à les replacer de chaque côté de la porte du pylône, et à rendre ainsi cette
première entrée des temples une des plus simples et des plus admirables compositions
d architecture que les hommes aient imaginées.
Mais> l’admiration succède bientôt un autre sentiment : dans ces lieux antiques
où tant de peuples divers ont laissé quelques traces de leur passage, les impressions
se suivent et varient à chaque pas. En approchant du pylône et de quelques
restes de constructions qui l’environnent à droite, on aperçoit plusieurs noms,
(3) Elles ont sept mètres [vingt-un piedsJ de hauteur.
{4) Cinq mille quatre cents pieds carrés.
plusieurs
(1) Cent dix-huit pieds.
(2) Cinquante-quatre pieds.
plusieurs petites inscriptions Latines écrites à la hauteur de la main. Voici le sens
de deux d’entre elles :
Moi L. TREBONIUS ORICULA; j ’a i h a b i t é i c i ;
Moi NUMONIUS V A LÀ , j ’ a i d e m e u r é i c i s o u s l ’ E m p e r e u r C é s a r ;
CONSUL POUR LA T R E IZ IÈ M E FOI S ( i ) .
Ces sortes d’inscriptions cursives n’ont rien de solennel ni de monumental ;
on n’y cherche point la date d’un événement, la dédicace d’un temple mais une
autre sorte de curiosité, un autre intérêt, vous attire et vous touche; c’est tm
homme qui n’existe plus depuis bien des siècles, et qui semble encore vous parler.
Il est venu dans ces mêmes lieux comme vous; comme vous, il y étoit étranger;
il a écrit son nom comme vous écrivez le vôtre, et peut-etre étoit-il agite des
mêmes pensées : on se plaît à chercher celles qui l’occupoient ; on vient d’apprendre
son nom, on devine sa profession, on croit le voir avec son costume et jusque
dans la position où il étoit en écrivant. Je me représente ici un soldat de la garnison
Romaine, depuis long-temps éloigné de son pays par des guerres continuelles
: occupé du souvenir de sa, patrie, il distrait 1 ennui de son exil, esperant
pouvoir raconter un jour, au milieu des siens, qu’il a gravé son nom sur les temples
les plus reculés de la mystérieuse Égypte.
Près de ces inscriptions, sous la grande porte du pylône, on en voit une qui perpétuera
dans les siècles un des événemens les plus remarquables de notre âge; elle
consacre la conquête de l’Égypte par le général en chef B o n a p a r t e , la défaite
des Mamlouks poursuivis par son lieutenant le général Desaix jusqu’au-delà des
cataractes, et l’entrée des Français victorieux dans l’île de Philæ.
Plus loin, dans l’intérieur du temple, une autre inscription, gravée dans le
même temps çt presque par les mêmes mains, fixe avec précision la position géographique
de l’île (2). Ainsi ces monumens présenteront à-la-fois le témoignage
glorieux de la valeur des Français, et celui non moins honorable de leurs con-
noissances ; et cette association des sciences et des armes, cette belle idée dont
l’histoire ne fournit point d’exemple, ne sera pas le fait le moins remarquable de
la vie d’un grand capitaine, qui n’avoit entrepris la conquête d’un pays devenu
barbare, que pour y porter la civilisation.
Lorsqu’on a passé sous la porte du premier pylône, on en trouve un second
plus petit et plus dégradé. La cour qui les sépare est une sorte de péristyle,
formé par des galeries de colonnes, l’une à droite, l’autre à gauche. Cette dernière
appartient à un petit temple distinct du temple principal. Ic i, comme dans
la première avenue, les galeries ne sont pas parallèles ; et ce défaut de symétrie
indique que les divers monumens de l’île n’ont point été construits à la meme
époque, ni sur le même plan : les siècles les ont vus s’ajouter les uns aux autres.
(1) Voyez le Mémoire sur les inscriptions recueillies a tracés sur la muraille. Cette erreur est rectifiée dans
en Égypte par M. Jomard. le tableau qui termine le Mémoire de M. Nouet qui a
(2) 11 s’est glissé une erreur dans les nombres qu’on pour titre, Observations astronomiques faites en Egypte.
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