princes, mais qu ils étoient encore regardés comme des demeures éternelles ( i ) :
car les Égyptiens ne pensaient pas que l’existence fût restreinte aux limites resseiv
rees de la vie (2). Les maisons 11 étoient considérées que comme des hôtelleries,
ou 1 on n etoit qu en passant : ies-demeures véritables étoient les tombeaux que l’on
devoit habiter durant des siècles infinis.
En quittant la partie de là chaîne Libyque ou sont creusées ces grottes nombreuses,
si 1 on monte sur le sommet le plus élevé des rochers calcaires qui forment
la vallee des tombeaux des rois, on domine sur toute la plaine de Thèbés et sur
tout le désert montueux de la Libye. On a presque à ses pieds le tombeau d’Osy-
mandyas, près duquel on peut se rendre par un chemin rocailleux et escarpé, que
l’on suit rarement. A gauche, on voit l’édifice où se trouve un plafond en forme
de voûte, et le palais de Qournah. A droite, les deux statues duMemnonium présentent
leur masse presque informe. Plus loin, Medynet-abou offre aux regards son palais à
deux étages, et ses majestueux pylônes, et son vaste hippodrome. Le petit temple
du sud se perd au loin dans la vapeur. De l’autre côté du Nil, Karnak montre ses
obélisques, ses hautes colonnes, et le long circuit de ses ruines. Louqsor est à l’extrémité
de ce point de vue si riche et si varié ; ses deux beaux obélisques et ses grands
édifices dépassent de beaucoup les maisons Arabes, qu’on aperçoit à peine. Le Nil
superbe poursuit son cours sinueux au milieu de cette belle plaine, qu’il semble se
plaire a arroser. Les îles qu’il forme, les canaux qu’il remplit lors de la crue périodique
de ses eaux, donnent de la fraîcheur et de la vie à ce tableau, dont la vue
peut à peine embrasser l’immensité. Seul sur le point le plus élevé, entouré du vaste
silence des déserts, et soumis à l’impression éloquente des ruines, on se livre
naturellement à des réflexions profondes.
Qu est devenu le temps où une population nombreuse animoit tout ce vaste
tableau! Ces pierres renversées, ces débris de granit dispersés de toutes parts, for-
moient alors des édifices réguliers, des statues de dieux et de héros. Ces colonnes,
maintenant abattues, omoient des palais et des temples qu’embellissoient l’or et les
pierreries (3), et que décoroient les meubles les plus riches et les plus précieux (4).
Cette plaine immense étoit jadis tellement cultivée, que les plus religieux observateurs
du culte des morts ne pouvoient môme en rien réserver pour les sépultures (5).
Sa terre féconde produisoit d’abondantes moissons et nourrissoit de nombreux
troupeaux. L à s échangeoit contre les productions d’une fertile contrée, tout ce
que l’Asie, l’Afrique, l’Inde et l’Arabie offrent de riches tissus et de parfums
(1) Diod. Sicul. Biblioth. /lise. Iib. 1, sect. 2 , pag. 60, Zoega, De origine et usu obeliscorum, sect. IV, cap. I,
ed. 1746. pag. 294 et seq.
(2) D’après les témoignages des anciens auteurs, une (3) Lucian. Imagines, pag. 12. Clem. Alexandrin,
des croyances religieuses des Égyptiens étoit, que les Poedagogus, Iib. I I I , cap. 2.
ames n’abandonnoient les corps que lorsque ceux-ci (4) Voyez les pl. 89 et 92 des tombeaux des rois, A .
avoient éprouvé une entière destruction : alors ces ames vol. II. 1
quittoient les enfers pour venir animer, de nouveaux (5) La loi Égyptienne, qui nous a été transmise par
corps, en commençant par ceux des plus vils animaux, Platon, est énoncée en ces termes ; Qéxaç P tirai, itèv %to-
el s devant par degres jusquaux plus nobles, pendant ehsr tviea plr tpydojiut yzHctxyiï, yoni tî ply s ¡esiii v tfMX.%91
l'espace de trois millèans, au boutdesquels elles rentroient ps\iya. (Plato, de Legibus, Iib. xil.j
dans des corps humains. Kqyeg le savant ouvrage de
précieux (i). Là s’entâssoient toutes les dépouilles des ennemis vaincus, et les tributs
levés sur les peuples conquis, et les offrandes faites dans les temples des
dieux. Mais quel seroit l’étonnement de ces nombreux Thébains dont la dépouille
mortelle existe encore toute entière dans ces grottes profondes, si, tout-à-coup,
secouant les linceuls qui les enveloppent de toutes parts, ils sortoient de leurs
tombeaux, et jetoient les yeux sur une terre qu’ils avoient embellie de tant de
monumens, dont les restes attestent encore la puissance du génie qui les éleva!
Quel spectacle de dévastation et de solitude frapperoit leurs regards ! Aux lieux où
circuloit jadis une foule active et nombreuse, ils ne verroient plus épars çà et là
que quelques hommes indolens et abrutis par le despotisme, errant sur l’emplacement
d’une illustre cité. Là où existoient des habitations somptueuses, résultat d’une
civilisation perfectionnée, ils n’apercevroient plus que de misérables cabanes,
bâties sans art. Ils verroient l’habitation des rois transformée en repaire d’animaux
sauvages., et.le chacal, poursuivi dans les retraites qu’il y a choisies, se montrer
tout-à-coup au sommet le plus élevé des ruines. Ils verroient les sanctuaires des
temples, devenus le réduit de reptiles immondes et de ces animaux hideux qui ne
se plaisent que dans l’obscurité d’une profonde nuit. Ils verroient les palais transformés
en sentines publiques, les champs stériles et abandonnés, et l’habitant stupide
mettant toutes ses jouissances à amasser un peu d’o r, qu’il cherche souvent en
vain à dérober aux agens d’un gouvernement barbare et tyrannique.
Élevé sur cette montagne qui domine tout l’horizon, et planant, pour ainsi dire,
au-dessus de la terre, avec quels sentimens désintéressés on juge les révolutions
et le cours des choses humaines ! Que sert à une cité d’avoir été riche et puissante
, d’avoir soumis le monde à l’influence de ses idées religieuses, d’avoir rendu
tributaires de son commerce les plus riches pays de l’univers ! Que lui sert d’avoir
posé les premiers principes de la civilisation, d’avoir porté dans les pays les plus
éloignés la gloire de ses armes, d’avoir cultivé les sciences et les arts avec éclat,
si tout cela ne peut la sauver de la destruction, si la barbarie et la brutalité
doivent succéder à l’influence bienfaisante d’un gouvernement protecteur, si
de tant de merveilles il ne doit plus rester que des souvenirs qui s’effaceront peut-
être un jour des traditions humaines! Heureux pourtant, entre tous les autres, cet
antique peuple de Thèbes, d’avoir vécu sous un climat si propice à la conservation
des monumens ! Que de nations ont passé sur la terre, sans avoir laissé
aucune trace de leur existence ! Mais il semble que la nature a été d’accord avec
les Égyptiens, en secondant leurs vues grandes et élevées; ou plutôt ce peuple
vraiment observateur avoit reconnu que tout, dans sa patrie, tendoit à éterniser
les monumens qu’il avoit la hardiesse de concevoir et l’audace d’exécuter. Ce n est
donc pas en vain qu’il a entrepris dans le sein de la terre, et porté jusqu’à leur dernière
perfection, des travaux peut-être plus nombreux que ceux qu’il a élevés à sa
surface; ce n’est pas en vain qu’il a enlevé aux montagnes leurs rochers, pour en
former des temples et des palais, pour les façonner en statues colossales et en obélisques
immenses. Si tous les monumens qu’il a élevés ne subsistent point dans
(1) Tacit. Annal. Iib. II.
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