3 8 2 D E S C R I P T I O N G É N É R A L E D E T H È B E S .
§. X I I I .
Ressemblance entre les Usages des anciens et des modernes Habitans de VEgypte.
P arm i les objets variés que nous venons de mettre sous les yeux du lecteur,
rien, sans doute, n’est plus digne d’intérêt que le tableau des moeurs des anciens
Égyptiens, tableau qu’ils ont peint eux-mêmes dans leurs hypogées et que nous
tenons de leurs mains. Aucune histoire n’a un plus haut degré d’authenticité que
de pareilles peintures ; et elles ne laisseraient rien à desirer, si elles étoient complètes.
Un jour les voyageurs, uniquement occupés de ce genre de recherches,
moins distraits par l’étude des grands monumens deThèbes, essaieront de pénétrer
dans d’autres hypogées. Par le secours de moyens mécaniques, ils recueilleront un
plus grand nombre de scènes, rapporteront des empreintes, et compléteront cette
partie attachante du tableau de l’Égypte ancienne. Personne, plus que les membres
de l’expédition Française, ne peut desirer qu’un pareil voeu soit accompli, puisqu’ils
verront confirmer par-là leurs réflexions et leurs conjectures.
Plus on étudiera les peintures des catacombes Égyptiennes, plus on se convaincra
de l’influence du climat sur les moeurs et les usages des habitans. Là constance
de ce climat, le renouvellement périodique des phénomènes naturels à des
époques invariables, ont nécessairement amené des habitudes uniformes et ce goût
pour la stabilité qui caractérise les Égyptiens. Il en est résulté que les habitans du
pays, malgré tant de révolutions successives, malgré les changemens de religion,
ont retenu jusqu’à nos jours beaucoup d’anciennes coutumes. Il ne sera pas sans
intérêt de faire le parallèle de celles-ci avec les coutumes d’à présent. C’est dans la
description qui précède que je puiserai les traits de ce parallèle (1). Quant à la
différence des usages de l’Égypte avec ceux de l’Europe, contraste tant de fois
remarqué depuis Hérodote jusqu’à nos jours, je m’abstiendrai d’en faire mention,
voulant uniquement montrer ce que les habitans actuels ont conservé des moeurs
de leurs ancêtres.
Parmi lès pratiques et les idées communes aux uns et aux autres, la plus remarquable
est le soin des tombeaux. Ce soin s’est manifesté chez les anciens par des
dépenses infinies, par l’érection des pyramides, par l’excavation des montagnes, par
l’emploi des sculptures et des peintures les plus riches; en un mot, par un luxe
magnifique (2). C’est encore aujourd’hui le même goût pour la magnificence des
tombeaux, et les Égyptiens y mettent plus de richesse que dans leurs habitations.
C’est-Ià ce que disoit Diodore de leurs aïeux , qu’ils, considéroient leurs maisons
comme des hôtelleries, comme des lieux de passage où ils devoient peu s’arrêter;
qu’ils prenoient donc peu de soin de les embellir, tandis qu’ils appeloient les tombeaux,
des maisons éternelles, et qu’ils employoient à les construire tout le travail
et tout l’art dont ils étoient capables. La croyance religieuse est totalement changée,
(1) On trouve d’intéressantes remarques sur le même aussi la Description des hypogées de Beny-hasan, ch. X V I
sujet, dans le Mémoire de M. Costaz sur les grottes des Descriptions.
d’Elethyia, Sic. A . Mémoires, tom, I , pag. 49. Consultez (2) Voyez ci-dessus, pag. 306.
et cependant I usage est resté le même. Autour des grandes villes, il y a une ville des
morts: là, chaque famille un peu aisée a une enceinte qui lui est propre, et chaque
tombe est ornee d inscriptions et de sculptures plus ou moins riches ( 1 ).
Comme autrefois, les Égyptiens choisissent pour leurs tombeaux un sol aride,
au-dessus du niveau des terres inondées ou cultivables (2) : le terrain arrosé par le
Nil appartient aux vivans. D’un autre, côté, la charrue troublerait les cendres des
morts, et enfin les eaux du fleuve les disperseraient. A ces motifs se joignoit, chez
les anciens Égyptiens, l’intention de conserver les corps jusqu’aux temps les plus
reculés. ,\r 'X' '
« Quand il meurt un homme de considération, toutes les femmes de sa maison
» se couvrent de boue la tête et même le visage..., se découvrent le sein, se frappent
» la poitrine, et parcourent la ville. » Ces paroles, tirées textuellement d’Héro-
dote (3), sont le tableau fidèle de ce qui se passe tous les jours en Égypte.
Ainsi qu autrefois, les naturels ont 1 habitude de porter certaines charges sur
le plat de la main, le bras ployé, le coude rapproché contre le corps, et les doigts
tournés en arrière (4). Cette attitude donne de la force : l’on voit aujourd’hui les
femmes et les jeunes filles porter ainsi des fardeaux qu’elles ne pourraient soutenir
long-temps ni commodément d’une autre manière; et ce qui le prouve, c’est
qu ainsi chargées elles marchent avec aisance et avec grâce. On sent aisément que
la main étant dans 1 aplomb du coude, le poids ne peut la faire fléchir; elle fléchirait
dans toute autre position.
Une autre manière de porter, commune aux anciens et aux modernes, consiste à
suspendre les fardeaux considérables à un ou deux leviers soutenus par deux ou par
quatre hommes, et à placer ces fardeaux dans des filets (y). Les porteurs marchent
bien d accord, précédés par un guide qui chante et frappe la mesure; ils répondent
par un refrain ou par une exclamation cadencée. Cette allure augmente la force en
apparence, en soulageant la fatigue. En général, les Égyptiens sont très-sensibles
au rhythme ; c est le fruit de 1 éducation qu’on leur donne dans la première enfance.
Quand les eaux de l’inondation parviennent dans les campagnes, les lotus, jus-
qualors ensevelis dans le sein de la terre,se développent, s’élèvent et déploient
leurs fleurs magnifiques au bout d’une longue tige. Au retour d’une époque si chère,
les Égyptiens se livrent à l’alégresse. Ces hommes, que l’on regarde comme si flegmatiques,
s abandonnent en liberté à tous les mouvemens de la joie, et célèbrent à leur
manière 1 ancienne fête du Nil. On les voit, comme jadis, cueillir dans les champs
des tiges de lotus, signes du débordement et présages de l’abondance (6) : ils s’enveloppent
les bras et le corps avec ces longues tiges fleuries, et parcourent les rues
des villes, en chantant et en dansant au son des instrumens de musique. Nous avons
vu également, dans les hypogées, des hommes tenant des lotus à la main, ou chargés
de faisceaux de cette plante, et marchant au son des instrumens (7).
(1) Voyez les planches 61 à 66, E . M . vol.I . (6) Ketyr e lbachnyn, ketyr el N y l; Plusil y a de lotus,
(2) Voyez ci-dessus, pag.30p. plus le Nil s’élève. ( Proverbe Égyptien,)
(3) Hist. liv. I l , chap. 85 , traduction de Larcher. (7) Voyez ci-dessus ¡pag.yy^.; voyez aussi la planche 68,
(4) Voyez ci-dessus, pag.32p. A . vol. IV , consacrée aux hypogées de Saouâdeh dans
(î ) V oye z ci-dessus, pag. 329. i’Égypte moyenne.