
s. x.
Observations sur l ’antiquité des principaux Édifices de l ’île de Philoe.
O n aurait tort d’exiger des voyageurs qu’ils se bornassent uniquement au récit
de ce qu ils ont vu : en effet, il y a des conjectures solides qu’euxseuls peuvent faire
des comparaisons, des inductions qui n’appartiennent qu’à eux/parce qu’elles résultent
de l’observation immédiate et de la vue des objets; ce que le récit le mieux
t et “ plus fidele ne peut jamais remplacer entièrement. Tout ce que l’on doit
exiger deux, c’est que les fkits soient tellement détachés des conjectures, qu’ils ne
puissent jamais être confondus avec elles. C ’est à quoi nous nous sommes attachés
dans les paragraphes précédens, où, tout en donnant la série de nos observations
nous avons été quelquefois conduits à chercher leur mutuelle dépendance • c’écok
un moyen de rendre les faits plus sensibles, de leur donner plus de forcé en les
liant ensemble, et de les mieux graver dans la mémoire, qu’on ne pourrait le
faire en présentant des faits sans liaison et des observations sans but : mais nous
avons dû réserver pour ce dernier paragraphe la recherche de l’âge des monumens
de rhiiæ.
Si Ion considère d’abord dans ces monumens leur état de conservation leur
couleur plus blanche ou plus noirâtre, qu’enfin on veuille juger de leur âge par
eur apparence, on sera porté à croire que le grand temple est le plus ancien
monument de l’île, et que l’édifice isolé de l’est en est au contraire le plus
moderne. Ces indices, il est vrai, seraient insuffisans, si, en examinant ensuite
la position relative des édifices, pour en déduire l’ordre successif dans lequel ils
ont été construits, on ne s'assurait encore que, dans leur distribution irrégulière
ils ont tous été coordonnés par rapport au grand temple. Les irrégularités qui sé
voient dans 1 ordonnance de ces monumens, s’expliquent d’une façon fort raisonnable
en supposant que le grand temple étoit construit d’avance, et précédé de
deux galeries comme celle qui subsiste à l’est; que l’on a voulu depuis lui donner
une longue avenue qui eut son origine à l’extrémité méridionale de l’île, mais que
a forme meme de celle-ci n’a pu permettre que l’avenue fût dans la direction de
laxe du temple; qu enfin le grand pylône a été placé de manière à n’être pas trop
oblique a 1 avenue ni au. grand temple. Nous avons déjà dit ( f . IV ) comment
nous croyions qu’on pouvoir expliquer la position de la colonnade orientale et
celle de ledifice du midi. Quant au temple de l’ouest, il est manifeste qu’il a été
coordonne au grand pylône, auquel il est perpendiculaire; et nous supposons qu’il
a remplace une galerie semblable à celle de l’est, et qui peut-être dès-lors corn-
mençoit a tomber en ruine.
Quant a ledifice de l’est, qui est aussi bien conservé que ce dernier et qui I
meme paraît plus nouveau, soit à cause de sa blancheur, soit parce qu’il n’a jamais
ete achevé, nous sommes portés à le regarder comme un des derniers édifices que
les Egyptiens aient bâtis.
Nous
Nous n’étendrons pas plus loin ces conjectures, qui n’ont que de légers fonde-
mens et peu d’intérêt : il nous suffit d’avoir montré que la disposition relative des
monumens est d’accord avec leur apparence pour faire assigner au grand temple
une époque plus reculée qu’aux autres édifices.
Mais, afin de présumer l’époque des plus anciens, recherchons quel âge on peut
attribuer aux plus modernes. Sans doute, ils ne sont pas postérieurs à la conquête
de l’Égypte par les Perses. Les vainqueurs étoient plus ennemis de la religion que
de la nation même; les troubles, les révoltes, les guerres qui se succédèrent depuis
la conquête, n’ont pu permettre que l’on érigeât de si grands édifices, et d’une si
longue exécution, sur-tout aux limites les plus reculées de l’Égypte, et dans un lieu
où ils devoient rester ignorés. Ces édifices sont d’ailleurs du style Égyptien, sans
mélange : comment croire que les maîtres du pays n’eussent pas mis quelque part
l’empreinte de leur goût, et laissé des traces de leurs arts ! Les plus modernes des
édifices Égyptiens de Philæ doivent donc avoir au moins deux mille trois cents
ans d’ancienneté; voyons s’il ne serait pas possible de trouver, pour quelques-uns
d’eux, des indications plus particulières sur le temps de leur érection.
En décrivant le temple de l’ouest, nous avons parlé d’un déversoir destiné à
faire écouler les eaux qui pouvoient être versées sur. la terrasse du temple ; nous
avons également parlé d’une scène sculptée sur les murs de l’édifice ruiné de
l’ouest, dans laquelle se trouve figuré un pareil déversoir, et nous avons donné
de fortes raisons de penser que ces rigoles avoient un usage religieux, qu’elles
versoient les eaux lustrales, c’est-à-dire, les eaux nécessaires à de certaines purifications
ordonnées par la religion ; enfin nous avons vu que ces déversoirs ou
rigoles sont décorés de la figure d’un lion qui laisse jaillir l’eau par sa gueule, ou
entre ses pattes ( / . V IIJ. Or il faut se bien pénétrer d’une vérité que tout cet
ouvrage confirmera de plus en plus, c’est qu’il n’y avoit rien d’arbitraire dans
e choix des décorations Égyptiennes, et qu’il ne fkut pas, à cet égard, juger de
leurs réglés et de leurs motifs d’après les idées qui nous dirigent dans la composition
de 1 ornement. Chez nous, comme il est arrivé chez les Grecs eux-mêmes
on consulte uniquement l’oeil; c’est l’imagination, c’est le goût du sculpteur qui
sert de réglé à la décoration : chez les Égyptiens, au contraire, chaque ornement
offre un embleme; l’art consistoit à faire servir cet emblème à l’embellissement
de ledifice. En voyant donc ici le lion et l’eau réunis, et celle-ci en quelque sorte
produite par celui-là, on doit se demander quel peut avoir été le motif de cette
reunion, et pourquoi la figure du lion a.été choisie plutôt que toute autre figure
pour décorer les déversoirs des terrasses des temples.
Nous remarquerons d’abord que les ablutions, les purifications par l’eau lustrale
et tous les usages religieux qui sont fondés sur la vertu régénérative de l’eau’
VT T x m ,glnairelnent dC 1Égypte- Cette eau si salutaire, si bienfkisante, c’esi
celle du Nil au temps de l’inondation, où, nouvelle et plus salubre, elle vient remplacer
1 eau stagnante, chasser les maladies, et, se répandant sur toute la face de
Egypte, produire seule l’abondance et renouveler en quelqüe sorte la vie de tout
ce qui vegete ou respire. Ce phénomène de l’inondation revient chaque année