
Vice et 'de la vertu n’étoit point renvoyé à un tribunal invisible : il se faisoit en
présence de tout le monde, lorsque l’homme avoit cessé de vivre. Tous les jours
les Egyptiens étoient témoins de ce spectacle ; et l’attente d’un pareil jugement
étoit bien propre à retenir chaque particulier dans l’exacte observation de ses
devoirs. Voici comment on y procédoit [ i ). Quand on avoit fait tout le travail
de l’embaumement, et que l’inhumation du corps pouvoit avoir lieu, on en annon-
çoit le jour, premièrement aux juges, et ensuite à toute la famille et à tous les amis
du mort. Cet avertissement se faisoit en exprimant le nom du défunt, et en disant
que bientôt il passeroit le lac. Aussitôt s’assembloient quarante juges, qui alloient
s’asseoir au-delà du fleuve. Avant que le cercueil fût placé dans la barque, la loi
permettoit à tout le monde de venir faire ses plaintes contre le mort ; et à la suite
de l’espèce de plaidoyer qui se faisoit, les juges lui accordoient ou lui refusoient
les honneurs de la sépulture. S’il étoit admis à ces honneurs, alors commençoit
un concert d’éloges sur les qualités qui le distinguoient. On prioit les dieux infernaux
de le recevoir dans le séjour des bienheureux, et on le félicitoit de ce qu’il
devoit passer l’éternité dans la paix et dans la gloire. Ce jugement prononcé sur les
bonnes et les mauvaises actions du mort, avant de l’admettre aux honneurs de la
sépulture, étoit sur la terre une représentation du jugement qu’il devoit subir aux
enfers, et dont le bas-relief qui nous occupe offre toutes les circonstances.
Les sculptures peintes d’Eletlryia et le bas-relief du temple d’Isis, rapprochés des
descriptions des anciens auteurs, et sur-tout de celle de Diodore de Sicile, donnent
des notions fort étendues et très-complètes sur les cérémonies funèbres des anciens
Egyptiens, et démontrent que les Grecs ont, à ce sujet, tout emprunté d’eux : mais,
si l’on vient à considérer l’Egypte elle-même et toutes les localités quelle présente,
on en sera encore bien plus convaincu. En effet, on ne pouvoit aller
déposer les morts dans leur dernier asile, et cela arrive encore ainsi aujourd’hui,
sans traverser le Nil, ou quelques canaux qui en étoient dérivés, ou quelques lacs
formés de la surabondance de ses eaux. De là est venu tout ce que nous voyons
peint dans les hypogées, et tout ce que les Grecs nous ont appris de Charon et de
sa barque fatale, du fleuve et des marais fangeux du Cocyte. La ville de Thèbes,
comme la partie de l’Egypte la plus anciennement habitée, a dû Voir naître et se
développer successivement les cérémonies funèbres. Le Nil, qui la sépare en deux,
les hypogées qui sont tous dans la chaîne Libyque, tandis que la montagne Arabique
n’en offre pas de traces, sont autant de circonstances qui ont nécessairement
dû donner lieu à ce qui est représenté dans les grottes sépulcrales et rapporté par les
anciens auteurs.
Le tableau que nous avons décrit est sculpté dans un des sanctuaires (2.) du
temple, et il n’y est sans doute pas placé sans motif. On ne peut guère douter, en
effet, que la pièce où on le voit ne fût destinée aux sépultures. Il résulte du témoignage
des anciens auteurs, et nous en avons déjà parlé avec quelque détail dans la
description du tombeau d’Osymandyas (3), que les Egyptiens ne se bornoient pas
(1) Voyez la citation n.° n i , à la fin de cette section, (2) Voyez l’explication de la pl. 3 5 , Jîg. 2 , A . vol. I I .
pag. 17 1. (3) Voyez la section n i de ce chapitre.
seulement
Seulement à déposer leurs morts dans les hypogées, mais qu’ils les plaçoient encore
dans les habitations et dans les palais ; et ce que nous venons de dire semble prouver
que les temples eux-mêmes servoient de sépultures. A toutes c.cs circonstances se
joint le témoignage d’Hérodote ( 1 ), qui nous apprend qu’à Thèbes on le conduisit
dans une vaste pièce de l’un des temples de cette capitale, et qu’on lui
montra autant de colosses en bois qu’il y ’avoit eu de grands-prétres. Il est facile
de se figurer ce que pouvoient être ces statues, par ce que nous connoissons de
l’état de l’art chez les Égyptiens : c’étoient sans doute des espèces de gaînes semblables
à celles qui décorent les piliers cariatides, ou bien faites sur le modèle de
ces coffres en bois de sycomore que l’on retrouve dans les hypogées, enveloppant
les momies des gens riches. Ces coffres sont, comme l’on sait, enrichis de dorures
et de figures hiéroglyphiques dessinées avec beaucoup de recherche et de-soin.
Tout porte donc à croire que, lorsque les grands-prêtres mouroient, leurs momies
étoient déposées dans l’intérieur de ces statues de bois, que, pendant leur vie, ils
avoient fait placer dans le temple. On sait que c’étoit à Thèbes, la plus ancienne
capitale de l’Egypte, que résidoit le grand collège des prêtres, sous l’autorité duquel
étoient probablement tous les autre» collèges du pays. Celui qui le présidoit étoit,
pour ainsi dire, considéré comme le souverain pontife de toute la religion Égyptienne
: on le nommoit Piromis, mot Égyptien qui, au rapport d’Hérodote (2), veut
dire bon et vertueux. Ce devoit être, après le roi, un des premiers personnages de
l’État : il n’est donc point étonnant que la sépulture de ces grands-prêtres eût lieu
dans un monument remarquable.
Quelquefois, des statues d’une autre nature que celles que nous venons d’indiquer,
recevoient les momies des morts distingués. C’est ainsi qu’au rapport du même
Hérodote ( 3), le roi Mycérinus, voulant inhumer sa fille d’une manière plus recherchée
qu’il n’étoit d’usage pour d’autres défunts, fit enfermer son corps dans une
génisse de bois doré, qui étoit encore exposée, du temps de l’historien, à la vue de
tout le monde, dans le palais royal de Sais. Cette génisse (4) étoit couverte en entier
d’une housse cramoisie, à l’exception de là tête et du cou qui étoient dorés. Entre
ses cornes étoit un soleil d’or. Elle n’étoit point debout, mais sur les genoux, et
elle étoit de la stature des plus grandes génisses. Nous avons dessiné un semblable
sarcophage (y) dans une des petites chambres du cinquième tombeau des rois à
l’est. 11 suffit, pour ainsi dire, de jeter les yeux sur la peinture dont nous parlons,
pour s’assurer de son identité avec le coffre sépulcral décrit par Hérodote. L ’attitude
de la génisse , la draperie dont son corps est recouvert, le disque posé entre
lés cornes, tout, dans notre dessin, est conforme au récit de l’historien.
Ces rapprochemens, auxquels nous avons été naturellement conduits par
notre sujet , tendent à prouver ce que nous avons déjà établi ailleurs (6), qu’une
partie des temples et des palais eux-mêmes, réunis aux hypogées, servoient de
dépôts pour les momies, et qu’ainsi les morts partageoient, en quelque sorte, les
(1) Voyez la citation n.° V, pag. 173.
( 2 ) HtpUfMi J ï t ç t , kclÎ 'Em o cA i y x a c c u r , ko.roç x à y flô ç .
(Herodot. Hist. lib. 1 1 , cap. 143*)
(3) Voyez Is citation n.° V i, pag. 173.
A . D .
(4) Voyez citation n.° V i l , pag. 173.
(5) Voyez la planche 8 7 , fig. 6, A . vol. I I .
(6) Voyez la description du tombeau d’Osymandyas,
réf. I I I de ce chapitre.