¡’inspection des planches les fait beaucoup. mieux et plus exactement connoître ;
ce qui précède suffit pour donner une idée de leur grandeur peu ordinaire :
j’y reviendrai seulement à la fin de cette Description, en parlant des mesures
principales qui présentent des rapports très-remarquables.
Le monument est bâti avec un grès dont l’espèce est d’un grain fin et assez dur,
susceptible de recevoir une sorte de poli et un travail ferme et moelleux : aussi la
sculpture de cet édifice, principalement celle du portique, nous a-t-elle paru
encore plus fine et plus délicate qu’ailleurs.
L ’encombrement, qui est, pour ainsi dire, total dans l’intérieur du temple, est
peu considérable dans .la cour qui le précède ; le sol des colonnades et le tour
du temple sont également peu enfouis ; on voit même encore l’ancien sol derrière
l’enceinte, et le socle peu élevé sur lequel reposoit la muraille : ainsi, à
l’intérieur, l’oeil aperçoit encore presque entièrement la hauteur de la grande porte
d’entrée, aussi-bien que tout l’ensemble de ces deux masses pyramidales et de ce
péristyle de-trente-deux colonnes qui forment la plus magnifique perspective. Pour
jouir de ce spectacle, tel qu’on l’a figuré dans l’atlas (i), il suffirait de faire disparaître
quelques masures en briques, bâties .dans les entre-colonnemens, et où
les habitans s’entassent avec leurs troupeaux. L ’état actuel des choses donne même,
en quelque sorte, un plus grand e f f e t à ce tableau, par l’inconcevable opposition
de ces étables poudreuses avec des colonnes richement sculptées, de ces
briques noires et mesquines avec les énormes pierres qui composent les entable-
mens, et aussi par le contraste des sensations qui agitent l’ame du voyageur,
avec l’indifférence apathique où sont plongés ces fellâh, successeurs des anciens
prêtres qu’on se représente logés dans le temple, se promenant sous ces hautes
galeries et livrés à leurs savantes spéculations.
Voici un mot qui fera mieux saisir cette opposition de la misère et de la magnificence,
qui frappe vivement l’observateur, mais que le discours sait mal exprimer.
L ’un de nous entra dans une des masures bâties sous la galerie, et vit une
famille de Barâbras (a) réfugiés, que la guerre avoit chassés de leurs montagnes.
Cette masure étoit une étable, ornée de colonnes et de sculptures, où les hommes,
les femmes et des enfans nus logeoient pêle-mêle avec le bétail. Le père raconta
que son champ venoit detre ravagé par Osman-bey et Haçan-bey, dans leur fuite
au-delà des cataractes. Comme on lui demandoit s’il étoit commodément dans
son nouvel asile , pour réponse il montra un bloc de granit qui se trouvoit au
milieu et qu’il ne pouvoit déplacer, et il dit ensuite qu’il n’y avoit que cette pierre
qui le gênât.
L ’intérieur des deux massifs de la façade et les escaliers eux-mêmes sont obstrués
de débris dont il est mal-aisé de deviner l’origine, et cela sur-tout du côté du
levant ; on y pénètre de l’autre côté par une porte qui donne sous la galerie.
Dans les chambres, dans les escaliers, on a trouvé des langes, des ossemens
et des restes de momies : ce lait curieux a été aussi observé à Philæ (3).
(1) Voyez p l. 61.
(2) Nubiens qui habitent au-dessus de Syène.
(3) Voyez chap. 1 , / . î v .
■ Pour se bien représenter l’état d’enfouissement de cet édifice, il faut se transporter
sur les terrasses du temple; c’est là qu’on aperçoit un petit village bâti de
boue, établi depuis des siècles et renouvelé sans doute bien des fois : chaque génération
y a accumulé les débris de ces demeures si fragiles ; et ces débris auraient
déjà formé sur les terrasses une sorte de montagne, si les fellâh n’eussent trouvé
le moyen de s’en débarrasser d’une autre façon. Les salles du temple d’Edfoû étoient
éclairées par des fenêtres percées au plafond et en forme de soupirail : c’est par ces
fenêtres qu’on fait journellement passer les cendres, les fumiers et toutes les ordures
des étables, tellement que les salles et les deux portiques se sont peu à peu encombrés
de presque toute leur hauteur, et que les issues se trouvent entièrement obstruées,
sans que ces débris se soient introduits par les portes. Quelques-unes de ces
salles servent aussi aux habitans de la terrasse, de magasins secrets et de refuges
pour eux, leurs femmes, leurs enfans, leurs bestiaux, et tout ce qu’ils veulent soustraire
à l’avidité des gouverneurs, aux violences des Arabes; ils s’enferment avec
eux dans ces réduits privés d’air et de jour, au risque d’y étouffer de chaleur et
d infection. C'est ainsi que les fellâh ont transformé en étables , e t , ce qui est
encore plus singulier, en véritables souterrains, de vastes portiques et des appar-
temens de dix mètres (i) de haut.
On concevra sans peine quelles difficultés devoit éprouver un Européen pour
pénétrer dans cette forteresse souterraine. Il me falloit découvrir la place que
devoient occuper les fènetres dont j’ai parlé ; cette place , que m’indiquoit l’analogie
des autres temples , étoit à la partie droite de la terrasse, à la suite d’un
petit escalier que 1 on y voit (2) : mais des murailles de briques m’en cachoient
I issue ; il fallut forcer 1 entrée au milieu des cris des femmes et des enfans. Je
descendis par un jour percé au plancher, de largeur à passer le corps, ayant une
bougie à la bouche et une mesure à la main, et je me trouvai dans une salle
toute remplie de chauve-souris, qui n’avoit plus qu’un mètre et demi (3) de hauteur
: de là, et par une autre ouverture forcée, je pénétrai dans le second portique;
il etoit enfoui jusqu au-dessus des chapiteaux. Comme toutes les portes de
communication sont bouchées, on ne peut visiter les salles qu’une à une , et en
entrant par les différens jours, ainsi que par des trous pratiqués sur la plate-forme,
qui a été violée en plusieurs endroits.
Le premier portique , ou portique extérieur, est moins encombré proportionnellement
que 1 autre,.sur-tout au couchant, quoiqu’il s’y trouve encore, de
1 autre coté, plus de dix mètres de haut de poussière et de débris. La porte du
temple est entièrement obstruée ; la corniche seule en est découverte. Les chapiteaux
sont également découverts du côté du levant ; mais on a peine à passer
sous les sôffites. Plusieurs de ces belles colonnes sont donc presque ensevelies.
Pour en connoître la hauteur et la décoration, il a fallu, autour de l’une d’elles ,
qui étoit la moins enfouie, faire une fouille profonde de six à sept mètres (4)*
Quon se représente ici un voyageur qui se fait descendre dans ce puits, soutenu
(I) Trente-an pieds. (3) Cinq pieds environ.
(a) Voyez planche ¡ 0 , fig. , , aux points o , p. (4) Quinze à vingt pieds.