4 3 O D E S C R I P T IO N GÉNÉRALE DE THEBES .
rapports Vagues et incertains, que Thèbes renfermoit cent palais, de chacun
desquels il sortoit dix mille hommes armés, ce qui porterait la milice de Thèbes à
un million d’hommes, Gette exagération paraîtra toutefois peu de chose, si on
la compare à celle d’un commentateur d’Homère (1), qui prétend que la ville renfermoit
trente-trois mille rues, qu’elle occupoit une surface de trois mille sept
cents aroures, qu’elle avoit cent portes, sept millions d habitans, et que de chacune
de ses portes il sortoit dix mille soldats, mille cavaliers et deux cents chariots
armés en guerre. On ne peut renfermer en moins de lignes plus de contradictions
et d’absurdités : car comment admettre que, dans un espace de trois mille sept cents
aroures, qui présente une surface (2) bien moindre que celle qui est occupée par
l’emplacement des ruines encore subsistantes, il ait pu exister une ville qui aurait
renfermé trente-trois mille rues! Paris n’en renferme pas deux mille; et cependant,
d’après toutes les probabilités, sa surface est beaucoup plus considérable (3) que ne l’a
jamais été celle deThèbes, On ne porte qu a six mille le nombre des rues de Londres,
la plus grande ville qui ait jamais existé. Que penser aussi du nombre prodigieux
d’un million d’hommes armés, ou de sept millions d habitans renfermés dans une
seule et même cité! La note du commentateur paraît être un rapprochement fait sans
critique et sans discernement de tout ce que les anciens ont pu dire, non pas seulement
de la ville de Thèbes, mais bien de toute l’Égypte ; car Hérodote et Aristote (4)
nous apprennent positivement que ce pays etoit appelé autrefois du nom de Thebes,
qui étoit celui de sa capitale. C’est ainsi qu encore aujourd hui 1 Egypte s appelle
Messir, du nom de Mesr que porte le Kaire, sa capitale actuelle. Les sept millions
d’habitans que le commentateur donne à la ville de Thebes, ne sont autre chose que
la population que Diodore accorde à l’Égypte a 1 epoque où elle a été le plus peuplée
( J ) ; car l’historien convient que de son temps cette population ne s elevoit
pas à plus de trois millions d’hommes. Il est probable aussi que le mot de x.u/j.cl$ doit
être traduit par villes ou villages, et que le commentateur que nous avons cite arna
eu l’intention de rappeler, non pas le nombre des rues de Thebes, mais bien les
trente-trois mille villes qui, selon Théocrite (6), existoient en Egypte sous le règne
de Ptolémée Philadelphe.
A la vérité, Diodore de Sicile, en répétant de semblables assertions, semble
leur donner quelque crédit. On conçoit pourtant que la vanité des preues de
l’Égypte a pu mettre en avant de pareils faits ; mais il est très-difficile d y ajouter
foi, lorsqu’on sait que le pays ne renferme pas actuellement plus de deux mille cinq
cents villes ou villages, que sa population ne s’élève pas a plus de deux millions trois
cent mille habitans, et que la surface du terrain cultivable est a peu près de dix-huit
cents lieues carrées. Quelque bien gouvernée qu ait pu etre 1 Egypte dans 1 antiquité,
on n’attribuera jamais à l’excellence de ses lois des résultats aussi exageres que ceux
que nous avons cités.
( 1 ) Voye^ la citation n.° X , à la fin de cette Dissertation
, pag. 442.
(2) Voye% ce que nous avons dit pag. 422.
(3) Voyez pag. 423.
(4) Tlcixeq aj ©HCaf hüyjTmç îxaMiTt. (Herod. Hist.
lib. i l , pag. 96, edit 1618. ) — ïo' ¿fX*1™ " Afy/wnç
QtjCdf KaMv/Mvcq. (Arist. Meteor. I , cap. 14.)
( c ) Voyez la citation n.® X I , à la fin de cette Dissertation
, pag. 442.
(6) Idylle X V U .
, C H A P I T R E I X . D I S S E R T A T I O N . 4 3 1
$ trabón (1) et Tacite (2), d’après les interprétations des monumens Égyptiens,
portent la milice de Thèbes, l’un à un million d’hommes, et l’autre à sept cent
mille. Mais tous ces renseignemens ont une origine commune ; c’est le produit de
la vanité des prêtres de l’Égypte. Il faut savoir les réduire à leur juste valeur.
.Quoique le texte d’Homère, sur la force militaire de Thèbes, ne présente rien de
trop exagéré, cependant il y a quelque raison de çroire que les vingt mille chariots
armés en guerre dont le poëte fait mention, étoient ce que fournissoit dans cette arme
l’Égypte toute entière; car Diodore de Sicile (3) rapporte que, de son temps,
on montrait encore, d.epuis Memphis jusqu’à Thèbes, sur la rive occidentale du
fleuve, les fondations de cent écuries qui pouvoient contenir chacune deux cents
chevaux. Ainsi la portion des forces militaires de l’Egypte qui consistoit dans les
chars armés en guerre, ne restoit pas seulement à Thèbes, mais elle étoit répandue
sur toute la surface du pays. Elle se réunissoit probablement dans la capitale, à de
certaines époques et dans des circonstances extraordinaires, telles que la célébration
de quelques fêtps solennelles, ou le départ pour quelques expéditions lointaines ; car,
malgré l’autorité de l’un des plus grands hommes du siècle dernier, on ne peut
nier que les Égyptiens n’aient été conquérans. « Jamais, dit Voltaire (4), dans les
» temps connus, les Égyptiens ne furent redoutables; jamais ennemi n’entra chez
y> eux qu’il ne les subjuguât. Les Scythes commencèrent, puis Nabuchodonosor,
33 Cyrus, Cambyse, Ochus, Alexandre, César, Auguste,.le calife Omar, les
?> Mamlouks de Colchos, et enfin Sélim. Il est vrai, continue l’historien, qu’un
» peuple humilié peut avoir été autrefois conquérant; témoin les Grecs et les Ro-
» mains. Mais nous sommes plus sûrs de l’ancienne grandeur des Romains que de
33 celle de Sésostris. 33 Au temps de Voltaire, où l’Égypte n’étoit pas connue,
on pouvoit s’exprimer ainsi : mais, maintenant que l’expédition Française a fait
découvrir des monumens encore subsistans, qui attestent les conquêtes et les
actions glorieuses d’Osymandyas ( j ), de Sésostris (6), et d’autres rais guerriers dont
les noms ne sont point parvenus jusqu’à nous, mais dont les traits sont encore
gravés sur la pierre, est-il possible de douter des expéditions militaires des anciens
Egyptiens ! et peut-on refuser de se rendre à la conviction qui doit nécessairement
résulter de la conformité des documens épars de l’histoire avec la série non interrompue
des faits transmis dans les bas-reliefs historiques des palais de Thèbes,- où
l’on voit des représentations de batailles (7), des passages de fleuves, des sièges de
forteresses, des combats sur des chars ! Il faut donc admettre que l’état d’humiliation
dans lequel les Égyptiens sont depuis si long-temps, a été précédé d’un période
éclatant de victoires et de conquêtes.
(1) Voyez la citation n.° x i i , à la fin de cette Disser- (5) Voye^ la description du palais de Memnon ou
tation, pag. 442. tombeau d’Osymandyas, sect. m de ce chapitre, pag. 121.
(2) Voye^ la citation que nous avons faite de cet (6) Voye^ ta description de Medynet-abou, sect. 1 .“
historien ; pag. 2 4 4 , note 2. de ce chapitre, pag. 21.
(3) Ia citation n.° xi l i , à la fin de cette Disser- ’ (7) Voyeç les descriptions de Medynet-abou, du palais
tation, pag. 442. de Memnon ou tombeau d’Osymandyas, de Louqsor et
(4) y°y% l’Essai sur les moeurs. de ÎCarnak.