
Des fragmens d’os, de bitume, de toiles et de chairs desséchées, entassés pêle-mêle
et sans aucune suite.
Puisque j’ai parlé des fausses momies des Juifs et des Arabes, je ne puis passersous
silence celles qui sont l’ouvrage dès Egyptiens eux-mêmes. C’est dans les catacombes
de Thèbes que ce fait curieux a été observé, et cette circonstance ôte toute incertitude.
On a trouvé des momies parfaitement conformées à l’extérieur, c’est-à-dire, recouvertes
par des bandelettes régulièrement disposées autour de la tête et du corps,
et qui, à l’ouverture, n’ont offert qu’une sorte de carcasse en tiges de palmier, destinée
à supporter l’enveloppe de toile. J ’ai rapporté plusieurs de ces tiges ; elles ont
perdu aujourd’hui une partie de leur dureté ; mais cette dureté n’étoit plus nécessaire
à la solidité de l’ouvrage, une fois que l’adhérence et la quantité de bitume, et sur-tout
le laps de temps, avoient fait de ces assemblages un tout bien compacte. Les tiges qui
entrent dans ces' momies simulées, sont précisément ce que les Egyptiens appellent
g a yd , c’est-à-dire ; les côtes des'feuilles de dattier dépouillées de leurs folioles, dont
ils se servent à différens usages, et le plus souvent pour faire des qafas (i)!
J ’ai fait deux fois cette observation singulière, et je n’ai pu en trouver qu’une
explication admissible ; c’est qu’il est arrivé en Egypte , comme on le voit arriver
en Europe, que l’intérêt personnel a fait supposer des morts. Les Egyptiens ont
aussi fabriqué de fausses momies d’animaux ; on en citera bientôt un exemple :
mais il faut achever ce qui reste à dire sur l’état des momies humaines.
Les femmes ont plus généralement les bras fixés contre les cuisses ; les hommes
les ont croisés sur la poitrine. On doroit très-fréquemment les ongles des pieds
des momies, les bracelets, les lèvres sur la peau même, et le masque extérieur
en toile. On a vu aussi des pieds dorés entièrement. Enfin on doroit quelquefois
les parties sexuelles de l’homme et de la femme. Ces faits mettent hors de doute que
l’art du batteur d’or et celui du doreur étoient connus des Égyptiens.
J ’ai observé dans plusieurs momies, et principalement dans une qu’on avoit
tramée hors des catacombes jusqu’au temple de Medynet-abou, auprès du bassin,
une poussière brune, qui,, jetée sur le feu, fuse et s’enflamme comme la poudre
à canon. J ’ai jugé cette poussière comme étant de la chair décomposée et imprégnée
de nitre et d’une matière bitumineuse particulière ; car elle se trouve toujours
entre la peau et les os.
Tels sont les principaux faits que l’on a observés sur les momies humaines (2).
J ’en ai moi-même ouvert un très-grand nombre, pendant trois à quatre jours que
j’ai uniquement consacrés à visiter les catacombes : plusieurs autres de mes compagnons
de voyage, MM. Chabrol, Delile, Villoteau, Rouyer, étoient occupés aux
mêmes recherches, et nous emportions des hypogées, les uns des momies entières
ou mutilées, les autres des antiques ou des portions d’enveloppe; ceux-ci recueil-
loient des peintures; ceux-là, plus heureux, trouvoient des manuscrits intacts. Il
ne seroit pas facile de décrire l’empressement, l’activité, avec Iesquels( on scrutoit
( 1 ) Espèce de lit pu d’estrade à claire-voie. tion des momies. On y trouvera aussi quelques faits gé-
(2) Je renvoie le lecteur au Mémoire de M. Rouyer néraux d’un grand intérêt, tels que la rareté des momies
( A . Mém. tom. I , pag. 2 0 7 ) , relativement à la prépara- d’enfans.
ces étonnantes galeries, non-seulement pendant le jour, mais pendant les nuits
mêmes. En effet, rien n’avertissoit de l’absence du soleil, puisque la seule lumière
qui nous éclairoit, étoit celle des flambeaux et des bougies. Enfin ces catacombes
excitoient à un si haut point la curiosité, que nous consumions à les parcourir
le temps que nous aurions pu employer à dessiner ou à décrire les intéressans
tableaux du Mcmnonium.
2 . ° M O M I E S D ’ A N I M A U X .
On trouve, dans les hypogées, des momies d’oiseaux et des momies de quadrupèdes
; on en trouve aussi de reptiles. Les premiers sont des ibis, des éperviers
et divers oiseaux de proie ; les seconds, des chiens , des boeufs , des chacals, des
beliers, des chats, &c.; les autres, des crocodiles et des serpens. L ’embaumement
des animaux consacrés étoit aussi parfait que celui des momies humaines, quant
au choix, à la préparation et à l’emploi des matières balsamiques; et il ne l’étoit
pas moins sous le rapport de la disposition des bandelettes. L ’inspection des
planches donnera une idée plus précise que le discours, de l’arrangement des bandes
et de l’art avec lequel on les croisoit en toute sorte de sens autour du corps de
ces animaux embaumés (1). Quelquefois, au lieu de bandes, ce sont de simples
toiles, coupées en secteurs de cercle, et accumulées l’une sur l’autre pour recouvrir
l’animal, de manière à lui donner la forme conique. Rien n’est plus varié que ces
espèces de filets ou treillages de fils, la largeur des bandes, leur couleur, et l’entrelacement
des réseaux. Les Égyptiens se sont plu à orner les dépouilles des animaux
qu’ils avoient honorés pendant leur vie. Chaque maison nourrissoit l’oiseau sacré,
et l’associoit en quelque sorte aux droits de la famille : à sa mort, il partageoit aussi
les mêmes soins et le même tombeau. Emblèmes des puissances divines qui président
aux saisons et au cours des astres, les animaux consacrés étoient à-la-fois,
pour l’Égyptien, des compagnons et des protecteurs; il voyoit en eux les ministres
ou les signes vivans des bienfaits du ciel; et cette religieuse idée, ou, si l’on veut,
cette superstition, avoit du moins l’heureux effet d’inspirer et d’entretenir la douceur
des moeurs. Loin de nous le dessein de justifier l’adoration des animaux, devenue
si aveugle sous les Romains, que le peuple mettoit à mort un étranger coupable
d’avoir tué un chat ou un oiseau ! Qui ne partage l’indignation des écrivains Romains
et celle des Pères de l’Église contre un culte, aussi absurde! Mais il ne faut
pas oublier que, dès la fin de la dynastie des Lagides, le véritable culte Égyptien
étoit dénaturé entièrement (2). Déjà, sous les Perses, il avoit reçu les plus funestes
atteintes, et, depuis cette époque, les lois, les moeurs et la religion ne firent que
dégénérer. Ainsi, pour comprendre un fait aussi singulier que l’embaumement des
animaux, il faut se reporter aux temps antiques, et supposer un motif raisonnable
ou plausible à un usage pratiqué par l’universalité du pays.
Ce qu’on a dit de la conservation des momies d’homme observées à Thèbes,
on peut le dire des momies d’animaux. Les familles, les espèces mêmes, sont bien
(1) Voyez les planches 5 1 , 9 2, $ 3 , 5 4 ,5 5 , A . vol. I I . Ion taire,, d’un ibis ou d’un épervier, étoit condamné au
(2) Du temps d’Hérodote, le meurtrier, même invo- dernier supplice. ( Hist. Iib. I l , cap. 65.)
A. D . X ï »