quatre mètres dix-heuf centièmes (i) de long, sur un mètre quarante centièmes (a)
de large, et couronné d’une corniche. Chacune des files de l’avenue renfermoit,
dans une étendue de cent soixante-cinq mètres (3), cinquante-huit heliers. Bien
que ces figures d’animaux ne soient pas toutes en place, cependant le nombre en
est indiqué d’une manière certaine par la correspondance des deux rangées ; car,
là où quelques beliers manquent dans l’une, ils existent en face dans l'autre. Tous
ces beliers sont plus ou moins mutilés ; leurs têtes (4), particulièrement, sont
toutes tombées, et quelques-unes sont encore tout contre les piédestaux. On seroit
même tenté de croire, au premier abord , qu’elles ne formoierit point un seul
morceau avec le reste du corps ; mais, en examinant les choses de près, on est
bientôt détrompé, et l’on reconnoît que non-seulement tout l'animal étoit taillé
dans une seule pierre, mais que le socle sur lequel il repose faisoit partie du
même bloc. De l’extrémité sud de l’avenue de beliers au commencement de 1 allée
de sphinx dirigée sur le palais de Louqsor, il y. a un espace vide de cent dix
mètres (5), qui pourrait contenir trente-çinq beliers de chaque côté : on n’en voit
pas maintenant de traces, soit qu’ils aient été détruits et que les débris en soient
dispersés ou cachés sous les décombres, soit que l’avenue n’ait jamais été prolongée
aussi loin.
Nous avons déjà eu plusieurs occasions de faire remarquer que les artistes Égyptiens
sculptoient les animaux avec beaucoup plus de perfection, que les figures
humaines : nous en avons une nouvelle preuve dans les avenues de sphinx et de
beliers. Les corps de lion sont d’un excellent travail, les contours sont d’une grande
pureté; les muscles sont fortement exprimés, et leurs attaches bien senties. Les
beliers sont exécutés avec toute la rondeur et le coulant des formes de ces animaux.
On peut observer, dans la disposition des allées de sphinx, une extrême
irrégularité, qui vient probablement de ce que les édifices en avant desquels elles se
trouvent placées, ont été élevés à des époques différentes. Les Égyptiens, voulant
ensuite lier ensemble tous ces monumens, n’auront pu le faire qu’en suivant des
directions obliques.
La variété qui existe dans les sphinx dont nous vénons de donner la description,
est digne d’être remarquée. Nous avons vu, en mille circonstances, que, dans l’architecture
Egyptienne, les ornemens ne sont jamais le résultat du caprice Ou du
hasard : au contraire, tout y est motivé; et souvent ce qui paraît bizarre au premier
abord, finit, après avoir été étudié et examiné avec soin, par présenter
des allégories pleines de sens et de raison, fondées sur une connoissance approfondie
des phénomènes de la nature. Il y a donc quelque raison de croire que ce
n’est pas non plus par l’effet du hasard que des têtes de belier et des têtes de femme
sont ajustées sur des corps de lion, et qu’une avenue toute entière est formée de
beliers. Nous ferons d’abord observer que le sphinx à corps de lion et à tête de
femme se trouve dans le zodiaque d’Esné (6) : il précède la Vierge, qui ouvre la
(1) Douze pieds dix pouoes. Alexandrie la tête de l’un de ces beliers; elle étoit parfait
(2) Quatre pieds quatre pouces. tentent conservée.,
( 3 ) Quatre-vingt-quatre toises et demie. (5) Cinquante-six toises et demie.
(4) Nous avons pris sur les lieux et transporté à (6) Voyez planche/g, A . vol. I .
marche
marche des signes dans ce tableâu astronomique. Quant aux beliers, ils sont ici
représentés tels qu’on les a figurés dans les monumens astronomiques dont nous
avons recueilli les dessins à Esné et à Denderah ( i). L ’animal est couché absolument
dans la même position, les jambes de devant et de derrière repliées sous le
corps : la seule différence notable qu’il y ait entre les deux représentations, c est que,
dans les zodiaques, le belier a la tête tournée en arrière. On trouve aussi, dans
les bas-reliefs relatifs à l’astronomie, des têtes de belier ajustées sur des corps de
lion (2). Tout semble donc se réunir pour porter à croire que les sphinx et les
beliers des avenues sont des emblèmes qui ont pour objet de rappeler les divers
signes du zodiaque placés sur la route du soleil. On sait déjà, et c’est une vérité
qui sera démontrée jusqu’à l’évidence dans cet ouvrage, que les Égyptiens con-
noissoient la précession des équinoxes, c’est-à-dire, cette loi en vertu de laquelle
le soleil, par un mouvement rétrograde, parcourt tous les signes du zodiaque durant
la grande période de vingt-six mille ans environ (3). Les Égyptiens auroient-ils
voulu indiquer, par l’emblème du sphinx à corps de lion et à tête de femme,
un point de cette grande révolution qui se trouve entre le lion et la vierge-, où
le soleil étoit au solstice d’été, lorsque le Nil, sorti de son lit, répandoitsur toute
la terre d’Égypte ses inondations fécondantes ! Les avenues de beliers auraient-elles
été construites dans l’intention de rappeler l’époque astronomique où le belier
céleste occupoit l’équinoxe d’automne , lorsque le capricorne étoit au solstice
d’été, la balance à l’équinoxe du printemps, et le cancer au solstice d’hiver, époque
fameuse à laquelle on a fait remonter l’institution primitive du zodiaque Égyptien (4) î
On pourroit peut-être croire aussi qu’on a voulu consacrer une époque plus rapprochée
de nous, celle où le signe du belier étoit occupé à l’équinoxe du printemps
par le soleil, principe de tout ce qui vit et respire, divinité à laquelle les
Égyptiens ont donné des attributs et des propriétés particulières, en le considérant
dans différens points de son cours.
Les sphinx à tête de belier et à corps de lion indiquoient probablement quelques
particularités relatives au belier et au lion célestes.
Ce n’est qu’avec réserve que l’on se livre aux conjectures qui viennent en foule
à la pensée, lorsqu’on fait de pareils rapprochemens. Cependant comment s empêcher
d’en tirer quelques conséquences, sur-tout lorsqu’il est démontré, non-seulement
par les témoignages des anciens auteurs (j), mais.encore par les faits nombreux
consignés dans cet ouvrage, que toute la religion et la théogonie des Égyptiens sont
fondées sur l’astronomie, particulièrement sur la marche du soleil dans le zodiaque,
et sur l’influence que cet astre bienfaisant exerce à la'surface de la terre! On ne peut
donc douter que les Égyptiens, dans l’érection des sphinx, n’aient voulu transmettre
à la postérité des indices certains de leurs hautes connoissances dans 1 astronomie,
ou même un souvenir durable de l’époque de la construction de leurs édifices;
(1) Voyti ces monumens, A . vol. I et V. (41 Voye^ l’Origine de tous les cultes, par Dupuis,
(2) Voye^ plus particulièrement le dessin du zodiaque tom. I I I .
du petit temple situé au nord d’E sn é ,pl. 87, A . vol. I . (5) Voye^ le Traite d’Isis et d Osiris de Plutarque,
(3) Vingt-cinq mille huit cent soixante-sept ans. Voye% S. Clément d’Alexandrie, et une foule d autres dont il
l’Astronomie physique de M. Biot. seroit trop long de faire ici l’énumération.