ce qu'attestent presque tous les auteurs anciens, jusqu’à Lucien et Philostrate ; mais
ces deux derniers historiens rapportent (i) que la statue articuloit des sons (2). Ceux
qui ont écrit, d’après eux, sur le colosse de Memnon, tels que Callistrate (3) et beaucoup
d’autres (4)> en ont encore parlé avec plus d’exagération; ils vont jusqu’à lui
accorder la faculté d’exprimer sa joie à l’apparition de l’aurore, qu’ils disent être
sa mère, et de répandre des larmes à la disparition du jour. Il faut remarquer, en
général, qu’on a parlé avec plus d’emphase de la statue de Memnon, à mesure qu’on
s’est plus éloigné de l’institution primitive du culte qu’on lui a rendu.
De quelque nature qu’ait été le son provenant du colosse, on ne peut douter
qu’il ne soit le résultat d’une fraude pieuse. On pourroit se livrer ici à une foule
de conjectures, toutes également probables, sur le mécanisme que les prêtres de
l’Egypte mettoient en usage pour le produire. Strabon (5), observateur exact et véridique,
qui avoit entendu de ses propres oreilles le son qui s’échappoit du colosse
de Memnon, n’a point été la dupe du charlatanisme des prêtres, et même, d’après
son témoignage, il n’est pas certain que le son sortît de la statue. Il nous paroît
très-probable que les constfuctions qui l’enveloppoient, favorisoient singulièrement
l’émission du son miraculeux ; peut-être y avoit-il un conduit souterrain qui
ëtabiissoit une communication entre le piédestal du colosse et les édifices voisins.
Nous avons souvent trouvé de semblables conduits ménagés dans l’épaisseur des
murs des temples et sur-tout des sanctuaires (6). La matière dans laquelle la statue
de Memnon est taillée, est trop dure pour que nous puissions croire qu’elle ait été
creusée, afin de communiquer avec le conduit souterrain dont nous soupçonnons
l’existence. On a avancé (7) que Cambyse n’a fait couper le colosse en deux que
pour en connoître le mécanisme intérieur; mais il est probable que sa curiosité
n’aura point été satisfaite, puisque la statue rendoit encore des sons après avoir été
ainsi mutilée.
Il résulte de l’examen attentif des inscriptions, que la voix de Memnon ne se
faisoit point entendre tous les jours (8), comme l’assurent Strabon et Pausanias (9),
mais bien à de certains jours et à de certaines heures que les prêtres choisissoient;
c’étoit ordinairement vers la première heure du jour, ou une demi-heure après. II
arrivoit aussi qu’on entendoit le son de la statue plusieurs fois dans le même
jour, à des intervalles différens (10) ; ceux qui jouissoient de cette singulière faveur,
s’en félicitoient et en rendoient grâces aux dieux (11), sur tout si le son avoit été plus
distinct et plus éclatant. Postérieurement aux iv.' et y % siècles de l’ère vulgaire,
aucun écrivain , soit Chrétien, soit Mahométan, ne parle plus de la voix de
Memnon. Il est à croire qu’elle aura cessé, lorsque les prêtres de l’Egypte ont été
( 1 ) Voyelles c i t a t io n s à l a f in d e c e t t e s e c t i o n ,pag. n 6 ( 7 } S y n c e l l u s , in Chronographia, p a g . 1 5 1 , e d . 1 6 5 2 .
e t s u i v . V o y e $ a u s s i l ’ in s c r ip t io n X X V I I , à l a f in d e c e t t e s e c t io n ,
( 2 ) V o y e ^ l a c i t a t i o n n .b X I , p a g . t / p . p a g . t t j .
( 3) V o y tZ ï a c i t a t i o n n . ° X I I , p a g . t t p . ( 8 ) V o y e ^ le s in s c r ip t io n s I V e t x ,p a g . 1 0 7 e t t o p .
( 4 ) t a s c i t a t i o n s à la f in d e c e t t e s e c t io n . ( 9 ) V o y e ^ le t é m o i g n a g e d e c e s a û t e u r s , c i t é à ia f in d e
( 5 ) V o y e ^ l a c i t a t io n n . ° v > p a g . t i y . c e t t e s e c t i o n , p a g . 1 1 7 .
( 6 ) Voyeç t a s a n c t u a i r e d u g r a n d t em p le d e P h i læ , e t ( 1 0 ) Voyelles in s c r ip t io n s V , V I I e t x v i l l , à la f in d e
p a r t i c u l iè r e m e n t c e lu i d u temple d e D e n d e r a h . Voyeç c e t t e s e c t i o n , pag. 108 et t u .
a u s s i ta s t em p le s s i tu é s a u n o r d e t à l ’ e s t d ’ E s n é . ( 1 1 ) Voye^ l’ in s c r ip t io n X X I I , pag. 112.
totalement
totalement dépouillés de leurs richesses et de leur autorité, et que la religion
Égyptienne a été entièrement abandonnée. Nous manquons de témoignages positifs
qui indiquent comment se comportoit la statue de Memnon sous le gouvernement
des Grecs et des Perses, et même antérieurement;mais il est-probable que sa vertu
sonore s’étoit manifestée à ces époques éloignées.
s. V I I .
Du Memnon des Grecs.
D ans quelques-unes des inscriptions Grecques et Latines qu’on lit encore sur le
colosse du nord (i), on paroît avoir confondu le Memnon Égyptien, ou Aménophis,
avec le Memnon des Grecs; cependant, si l’on en croit les témoignages de l’antiquité
(2), ces deux personnages sont essentiellement distincts. Le Memnon des
Égyptiens est beaucoup plus ancien que celui des Grecs, dont il paroît être le type
original. Le Memnon des Grecs est venu au secours de Troie, suivant la tradition
conservée par les poètes et les historiens; il a été ttié sous les" mûrs de cette ville
fameuse (3), et if y avoit son tombeau (4). Homère (5) est le premier qui ait parlé
de ce personnage, et son histoire fabuleuse a-été successivement étendue et amplifiée
par tous les poètes, les rhéteurs et les historiens qui l’ont suivi. La plupart
d’entre eux font venir leur Memnon de l’Orient et lui donnent un teint noir (6).
En le faisant fils de l’Aurore (7), ils semblent en indiquer l’origine : il nous paroît
donc extrêmement probable que les Grecs, en cela comme en beaucoup d’autres
choses, se sont approprié ce qui appartient aux Égyptiens. Nous ne pourrions
parler plus au long-du Memnon des.Grecs, sans sortir des bornes de notre sujet;
c’est pourquoi nous nous contentons de renvoyer, pour de plus amples détails, à la
dissertation de Jablonski (8), où toute l’érudition de ce savant ne sert guère qu’à
prouver que l’histoire et les actions guerrières du Memnon des Grecs ne sont pas
mieux connues que celles d Aménophis ou du Memnon des Égyptiens.
( 1 ) Voyei les inscriptions X et XXV I, à la fin de cette ( 5 ) M nmn * 1" " ' sM k sw i t ç n q fn ,
-section., pag. io 6 e t 'n j. Toy f ’H ? r ixitivi (paeiYtiç ¿Thctoç ui'oç.
(2) Philostrat. in Heroïcis, pag, 699. V o ^ h citation Rccordalatur enim menu suê eximii Antiiochi.. '
n.° XIII, a la fin de cette section, pag. 120. Quem scilicet Aurora interfedtsplendida ¡nclytus filins.
(3) Pindar. od. 2 , pag. i p , ed. 1773. — Dictys Cre- Homer. Odyss. Hb. iv, v. 187.
tensis, de bello Trojano, lib. v i , cap. x, pag. 13 5 , (6) Pausan. in Phocicis, cap. x x x i , pag. 875. — Virg.
ed. 1702. : Æ/i. lib. 1 , v. 493-— Ovid. Amor. lib. 1 , eleg. 8.
(4) Plin. Hist. natur. lib. X , cap. x x v i .— Pausan. (7) Voye^les vers d’Homère, cités ci-dessus. — Hesiod.
in Phocicis, lib. X, pag. 669, ed. 16 13 .—-Ælian. de Theog. v. 984.— Dion. Perieg. Orbis Description v. 250.
Animal, lib. V, cap. I. — Servius ad Virgil. Æn. lib I , — V irg il.Æ n . lib .l, y. 755. — Ovid. jWetam. lib. XIII,
v. 493, pag- 204, ed. 1600.-— Quint. Smyrn. Paralip. v. 576.
lib. I l , pag. 2 2 5 , ed. 1604. (8) Syntagm. 1 , cap. 1 , 2 , 3 et 4*
A . D . O