Dans l'enceinte de la ville moderne, la vue est frappée par l’aspect dune multitude
infinie d’anciens monumens de granit employés dans les constructions.
L ’intérieur des maisons, et sur-tout des o’kel ou magasins de commerce offre
une quantité prodigieuse de colonnes de syénit; le château du Phare en renferme
également un nombre considérable.
La jetée du port vieux est formée en partie de blocs de cette matière: dans le
port neuf, une digue entière qui en borne le fond, n’est formée que d’un amas de
colonnes anciennes couchées les unes sur les autres, et la plupart en syemt.
A cette énumération que nous aurions pu étendre beaucoup davantage, quoique
nous soyons bien éloignés d'avoir vu tout ce qui existe encore aujourdhm en
Egypte il faut encore ajouter l’immense quantité de monumens enlevés de cette
contrée, depuis vingt siècles, par les Grecs, par les Romains, par les Arabes,
par les Turcs et par les commerçans de toutes les nations qui fréquentent les ports
de l’Égypte/et forment souvent le lest de leurs vaisseaux, des débris de monumens
anciens : on sait, en effet, qu’il existe une grande quantité de monumens en
syénit dans la Syrie, dans l’Asie mineure, à Constantinople, dans la Grece,
dans l’Italie, et dans les musées de toutes les nations de 1 Europe. ^
Cependant tous ces monumens, pris ensemble, sont encore bien loin peut-etre
d’égaler en quantité ce qui est enfoui et perdu pour jamais, soit dans les buttes
de décombres dont sont recouverts les emplacemens des anciennes villes, soit
dans les dépôts des inondations annuelles qui ont exhaussé d’une couche épaisse
la surface de l’Égypte, depuis Syène jusqu’aux rivages de la Méditerranée. M. Do-
lomieu, dans un ouvrage particulier sur l’exhaussement du sol de cette contrée,
a estimé à quinze ou seize pouces par siècle l’épaisseur de ce dépôt : or, depuis
vingt-cinq siècles que les Perses ont ravagé l’Égypte, et détruit ou renverse la plupart
de ses monumens, le sol se seroit exhaussé de plus de trente pieds. Nous
sommes bien éloignés d’admettre cette élévation (i); mais, quand on la réduiroit
au quart, que de choses encore ont dû être enfouies et dérobées pour jamais a la
connoissance des hommes ! C ’est en partie pour cette raison, qu’Alexandr.e et
ses environs surpassent autant aujourd’hui, par la quantité de ces débris d anciens
monumens, toutes les anciennes villes de l’Égypte; car le sol n’y est point expose
aux inondations du fleuve, et n’a point participé à 1 exhaussement général
Par les détails où nous venons d’entrer, on pourra se former quelque idée de
l’immensité du travail fait anciennement pour l’exploitation du granit deSyene,
sur-tout si l’on fait attention en même temps, que, de tant de monumens, ilnen
est pas un seul dont chaque bloc, malgré l’avancement de nos arts et les méthodes
expéditives que l’on a imaginées, ne coûtât encore aujourd’hui plusieurs années de
travail, soit pour le détacher de la carrière, soit pour en aplanir et en dresser les
différentes faces ; et nous ne parlons pas du travail plus considérable qui setoit
nécessaire pour le recouvrir de bas-reliefs, de sculptures délicates.« dun poli
parfait, comme font fkit les Égyptiens. On jugera par-là, mieux que par tout autre
moyen, du génie, de la patience et de l’industrie de cet ancien peuple, et Ion
( i) Cette opinion sera discutée dans la D escription'minéralogie de l’Égypte.
conclura aussi que tant de travaux n’ont pu être exécutés que dans une bien longue
suite de siècles.
On a pu remarquer, par l’énumération que nous venons de faire, que les
monumens en syénit sont d’autant plus abondans que l’on descend vers le nord,
c’est-à-dire, à mesure que l’on s’éloigne davantage des carrières qui les ont fournis;
circonstance assez étrange : on l’attrjbuera sans doute à ce que, le siège du
gouvernement de l’Égypte s’étant rapproché de plus en plus de la Méditerranée,
les matériaux des monumens les plus anciens ont été enlevés pour servir aux édifices
postérieurs. Je ne nierai pas que cela ne soit arrivé souvent, du moins sous
la domination des Grecs et des Romains; mais il est encore, je crois, une autre
cause. A Syène, à Philæ et dans l’île d’Éléphantine, au milieu des montagnes granitiques,
les monumens qui en étoient tirés ffappoient beaucoup moins l’oeil du
spectateur, tandis qu’en descendant dans l’intérieur de la Thébaïde, au milieu
de montagnes de nature différente, l’effet qu’ils produisent est beaucoup plus
imposant et les difficultés sont infiniment mieux senties. Ajoutons encore que
dans le Delta, dont tout le sol n’est formé que de terre végétale-, on ne pourroit
trouver de matériaux solides qu’à d’assez grandes distances, et il devenoit naturel
d’attacher plus d’importance à leur choix.
§. V I .
Des Dégradations qu’a éprouvées le Syénit dans les Monumens qui existent
encore en Egypte.
L a grandeur des cristaux, la beauté, la vivacité des couleurs, ne sont pas les
seules qualités qui rendent remarquable le granit Oriental, il l’est également par
sa difficulté à s’altérer. En effet, une partie des monumens qui en sont formés
se sont conservés intacts malgré tant de siècles écoulés , et conservent encore
aujourd’hui jusqu’au poli parfait que les Égyptiens avoient su leur donner.
Dans des blocs de près de cent pieds de longueur, comme ceux qui forment
les obélisques, il ne s’est manifesté aucune fente, aucune fissure, qui aient pu
déterminer leur rupture. Les obélisques renversés et brisés, comme on en trouve
à Thèbes, à PhilSe, à Sân, l’ont visiblement été par des moyens violêns.
Le poli parfait donné jadis à ces monumens a contribué beaucoup à leur conservation,
en ce qu’il ôtoit tout accès à l’humidité de l’air, cause la plus ordinaire
de l’altération des roches. Non contens de cette précaution, les Égyptiens
recouvroient encore d’une couleur rouge la plupart de leurs monolithes : plusieurs
en portent encore aujourd’hui les traces ; je les ai retrouvées dans les débris du
fameux- colosse du Memnonium, la plus grande des statues que les Égyptiens
aient exécutées en syénit.
Le climat de la Thébaïde a contribué beaucoup, il est vrai, à la conservation
de ces monumens ; et une des preuves les plus incontestables que 1 on en
puisse donner, c’est que ceux qui ont été transportés vers les bords de la mer,
A. d . c *