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hommes ait exécutés. On n’aborde pas seulement avec une vive curiosité dans ces
vastes laboratoires; mais on éprouve en quelque sorte un sentiment de respect à
la vue des masses énormes enlevées de la montagne, ou non encore entièrement
détachées, des traces encore fraîches de l’exploitation, et des marques de ces ins-
trumens que nos arts ne connoissentplus. Ce spectacle nous transporte en quelque
façon dans les temps antiques, et au milieu même des architectes et des ouvriers
Egyptiens : nous les voyons, pour ainsi dire, choisir leurs blocs dans la montagne,
les faire éclater au moyen des coins et des ciseaux, les ébaucher,sur place, enfin
les conduire au Nil et les embarquer sur des radeaux, pour aller servir à l’embellissement
des cités de l’Égypte.
Ces carr.ières occupent un développement de plus de six mille mètres (i) : à
l’ouest, au midi et au levant de Syène, presque par-tout le granit est coupé à pic;
chaque bloc un peu grand est dressé sur quelqu’une de ses faces ; par-tout l’on
voit les traces des outils, ou les trous destinés à placer les coins; enfin tout le
sol est jonché d’éclats de. granit rose, noir, violet et de mille nuances diverses.
En voyant sur ces fâces taillées depuis tant de siècles, des couleurs vives et des
cassures encore fraîches, tandis que les parties voisines sont d’un ton noirâtre, on
juge du laps de temps qu’il a fallu pour que le rocher prît cette couleur brune.
Les coins destinés à faire éclater les blocs de granit se plaçoient dans des trous
qui avoient seulement deux à trois pouces de longueur sur autant de profondeur,
et distans l’un de l’autre de trois fois autant : en examinant ces marques de près,
on voit que les ouvriers choisissoient, pour placer leurs coins, les parties où la
séparation des masses étoit comme indiquée par des fissures et par des accidens
de la pierre (2).
Nous avons trouvé beaucoup de fragmens qui étoient prêts à être enlevés, et qui
sont restés dans la carrière; entre autres, une colonne de cinq à six mètres de long,
et un dessus de porte dont la forme se reconnoît aisément : on voit là qu’un bloc
une fois séparé de la masse étoit sur-le-champ taillé et dégrossi sur place.
L ’un des restes les plus intéressons des anciennes exploitations, c’est un obélisque
ébauché qu’on trouve dans l’une des carrières au sud de Syène, à mille
mètres (3) de la ville nouvelle et autant du Nil. Une extrémité de l’aiguille est
cachee sous le sable; ce qui sort de terre a dix-huit mètres (4) êe longueur, sans
compter la pointe ou le pyramidion qui la termine. Sa plus grande largeur est de
trois mètres deux dixièmes; et la moindre, de deux mètres six dixièmes. Cet
obélisque devoit approcher de la dimension de ceux qu’on voit à Louqsor.
Mais ce que j’ai découvert de plus curieux parmi ces vestiges des anciens travaux
Égyptiens, c’est un grand rocher taillé et semblable à une muraille, situé à
trois cents mètres environ au sud-est de la ville nouvelle, et faisant face au nord;
le granit en est d'un ton rose mêlé. Il porte une multitude de traces de l’instrument
qui a servi à en détacher un bloc, et ce bloc doit être jugé considérable;
(1) Une lieue et un tiers.
(2) Voye^ le Mémoire de M. Rozière sur les carrières
anciennes, où l’auteur traite d’une manière spéciale de
la méthode d’exploitation pratiquée chez les Égyptiens.
(3) Cinq cents toises.
(4) Cinquante-cinq pieds et depii.
car le rocher (seulement hors de terre) a plus de cinq mètres ( 1 ) de hauteur et
de onze mètres de base (2). Cette surface de plus de cinq cents pieds carrés est
entièrement couverte de traits de ciseau obliques et tous parallèles, longs d’environ
huit pouces, et dont les extrémités sont alignées horizontalement ; j’ai compté
trois cent quarante-sept traits dans une seule ligne horizontale, et trente lignes
horizontales dans la hauteur du rocher. Chaque trait d’une rangée tombe entre
deux autres de la rangée inférieure, et cela, sans discontinuité, toujours sous une
même inclinaison, à l’exception de plusieurs coups de ciseau qui sont en forme
de chevrons (3). Ce bloc est divisé en trois parties légèrement concaves : les deux
extrêmes, qui sont les plus étroites, sont plus arrondies; celle du milieu est presque
plate, et recreusée seulement dans le voisinage des deux autres.
Je n’examinai pas long-temps ce rocher sans le reconnoître pour le reste de l’extraction
d’un colosse; et cette idée m’en fit faire un dessin exact, afin qu’on pût
comparer ses dimensions avec celles des plus grandes statues Égyptiennes. La partie
du milieu me représentoit visiblement le dos du colosse; et les deux autres, les
bras. La grandeur extraordinaire de ce bloc, et celle du colosse du Memnonium
à Thèbes, qui excède tous ceux de l’Égypte, la conformité de la matière et
celle de la couleur, m’ont engagé à rechercher si celui-ci ne provenoit pas de
celui-là; et je crois pouvoir avancer comme une chose très-probable, que. le
fameux colosse d Osymandyas décrit par Diodore de Sicile, et qui se trouve encore
au Memnonium, a été en effet tiré de ce massif. Le résultat des dimensions comparées
de ce colosse, résultat dont je 11e pourrais exposer ici les preuves sans sortir
de mon sujet, donne pour sa proportion entière environ vingt-deux mètres deux
dixièmes (4), et pour la grosseur du corps ou la largeur du dos, six mètres et
demi (5) : or la largeur du rocher, dans la partie moyenne, est aussi de six mètres
et demi. Si Ion m’objectoit que ces dimensions pourraient convenir à d’autres
statues, je demanderais où l’on connoît un second colosse en granit aussi grand
que celui d Osymandyas, dont le pied seul, suivant Diodore, passoit sept coudées
(6). Qu’on se figure une statue monolithe, d’une matière et d’un poli admirables,
et dont la tête aurait pu atteindre à l’architrave de la colonnade du Louvre;
est-ce un ouvrage de cette espèce qui aurait pu disparaître entièrement Enfin
nest-ce pas assez d’un travail aussi gigantesque, sans créer, pour ainsi dire une
seconde merveille !
Cest non loin de ce bloc que j’ai observé, à travers la montagne de granit,
une longue bande ou filon semblable à un magnifique ruban de deux couleurs
bien tranchées, c’est-à-dire, rose sur les deux bords, et blanc au milieu, et partout
dune largeur égale d’un demi-mètre ou dix-huit pouces. Ce large filon se
inge vers le bassin du Nil par une pente rapide. On y voit le feld-spath et le
quartz qui le composent, se mêler ensemble çà et là; quelquefois ce dernier est
(1) Seize pieds. , ,
(a) Trente-quatre p ie * . Voyez p l ,8 f c , r 'T n ' W È Ë È metr‘1u l ie s anci' " s ÉgyptUns.
(3) V.n la gravure. P 3 ' U 1 ) 5 ,Jt: neuf a ™ « * P'edsm
Soir-mro l..;, • 4 _ ' ) rois metres et un quart, ou dix pieds. Voyez le
(4) soixante p.eds envtron. Consultez mon Mémoire cité plus haut ^
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