S. I I I .
Méthode d ’exploitation des anciens Egyptiens.
L es carrières les plus considérables sont à ciel découvert, offrant des escarpe-
mens de quinze à seize mètres de hauteur ( i) , quelquefois coupés à pic dans toute
leur hauteur, quelquefois divisés par grands degrés. Ces parois verticales sont
toujours perpendiculaires entre elles, et par-tout recouvertes des traces de l’outil
dont se servoient les Égyptiens.
On peut juger par-là, par les blocs épars aux environs, et par les travaux qui
nont pas ete entièrement achevés, de quelle manière se faisoit l’exploitation (z).
Ces traces d outil très-régulières et très-serrées, qui recouvrent les surfaces verticales
des excavations, présentent de loin l’aspect d’un réseau : ce sont des stries
parallèles, distantes de quatre à cinq millimètres (3), d’environ deux millimètres
de relief, et longues d’environ un décimètre (4).
Nos pierres de taille tendres, équarries et dressées avec un certain outil tranchant
dont se servent les tailleurs de pierre, offrent à-peu-près le même aspect,
mais avec moins de régularité.
Quelquefois les stries sont horizontales, quelquefois légèrement inclinées, et
toutes dans le même sens : mais le plus communément elles s’inclinent alternativement
dans un sens différent, figurant, dans la direction horizontale, une suite
de chevrons très-obtus ; tandis qu’à les prendre dans le sens vertical, elles sont
parallèles et descendent en longues colonnes distinctes et un peu sinueuses. Ces
bandes se touchent par le côté, et les stries de chacune s’engagent, à droite et
à gauche, entre les stries des bandes voisines (y).
De profondes entailles larges dun doigt ou deux, et longues quelquefois de
plus de trois mètres, cernent un bloc dans les parties qui adhéroient au rocher.
Les deux parois de la fente sont tapissées de ces bandes de stries parallèles décrites
plus haut.
On ne peut guère douter, après cela, que ces traces ne soient celles d’un long
ciseau que l’on engageoit verticalement dans ces entailles étroites et profondes.
rabie; a Ombos, au contraire, où le grès est dur, cassant,
d’un tissu serré, et où le travail des ouvriers devenoit
par-là plus pénible, les bas-reliefs ont en général
plus de roideur et quelque chose de plus lourd que dans
la plupart des autres nionumens.
Cette observation pourtant n’est pas applicable au petit
temple de l’ouest de Philæ. Dans celui-ci, malgré la
dureté du grès, les figures ont toute la perfeciion, toute
l’élégance que pouvoit comporter le style Egyptien ;
mais, en toutes choses, l’exécution de ce monument est
plus soignée q.ue celle des autres. Ainsi l’exception qu’il
forme, la seule bien marquante pour la règle que j’établis,
a sa cause ët son explication dans le soin particulier
qu’on a mis à son exécution.
J e pressens une objection : on ne manquera pas de
nous opposer ici les monumens en granit, en trapp, et
d autres en pierres dures, où les sculptures sont exécutées
avec une extreme precision et avec une liberté qui ne
se ressent en aucune sorte de la dureté dè la matière.
M ais , quoiqu’assez spécieuse, cette objection manque-
roit tout-à-fait de justesse : car les procédés pour les
roches dures n’étoient pas les mêmes que pour les grès;
on n’y visoit pas également à la célérité de l’exécution.
Ainsi il n’y a nul rapprochement à faire entre les divers
monumens.
(1) Quarante-cinq à quarante-huit pieds.
(2) Ces travaux ont été observés dans plusieurs endroits,
à Selseleh, au nord de Syène, &c.
(3) Deux ou trois lignes.
(4) Trois à quatre pouces.
(5)'On n’a point gravé de dessins qui représentent, sur
les carrières de grès, cette disposition : mais elle se trouve
rendue dans le dessin d’un bloc degranit pris à Syène; elle
y est même exprimée avec plus de régularité. Voy. pl.3 2 .
Chaque percussion produisoit une strie dont la longueur égaloit la largeur du
tranchant.
Si l’on veut se rendre compte pourquoi les traces de l’outil sont disposées de
manière à former une suite de chevrons dans le sens horizontal, qu’on se représente
l’ouvrier en travail et placé au-dessus d’une de ces entailles : au lieu de tenir
son outil exactement vertical, il 1 incline un peu sur le côté; et présentant d’abord
un de ses angles à la pierre,, il l’entame plus aisément. Le tranchant, frappant à plat,
aurait peu d action. mais, après plusieurs coups successifs, pour ne pas engager
l’outil trop profondément, l’ouvrier se recule un peu, frappe à côté de l’endroit
quil vient dattaquer; et alors il incline son outil dans un sens opposé, parce que
la partie qui présente le moins de résistance, est celle qui vient d’être dégagée; il
faut que l’angle du ciseau agisse du côté qui adhère au rocher : de ces deux positions
alternatives résulte une espèce de Vrenversé A , ou de chevron très-obtus. Le travail
se continue ainsi jusqu’à l’extrémité de l’entaille; ce qui lui donne enfin cette figure
en forme de zigzag dont nous avons parlé.
Examinons si les faits s’expliquent aussi bien en faisant agir l’outil horizontalement.
D abord on voit qu’au lieu d’être terminé par un ciseau à large tranchant,
.cet outil auroit dû lêtre par une pointe qui, à chaque percussion, auroit tracé un
sillon de trois ou quatre pouces de longueur. Mais quelle forée immense il eût
fallu employer ! En second lieu , dans cette hypothèse, les stries seroient toutes
plus ou moins sinueuses et inégales entre elles ; tandis qu’elles sont toujours droites,
égales et parallèles.
Par quel motif encore et par quel moyen leur auroit-on donné cette inclinaison
alternative en forme de chevron ! c’est ce qu’il seroit impossible d’expliquer. Ajoutons
à cela la difficulté de manoeuvrer un tel outil dans une entaille de dix pieds
de longueur, au lieu de deux ou trois qu’elle offriroit dans le sens vertical (1).
Sur les parois de quelques carrières, certaines irrégularités, à des intervalles à-
peu-près égaux, semblent indiquer les endroits où le travail a été interrompu - et
ces intervalles se rapportent assez avec les dimensions les plus ordinaires.des blocs.
La disposition des carrières, relativement aux facilités de l’exploitation n’offre
rien de particulier : on voit seulement que les Égyptiens ont eu l’attention de
tenir dégagé, autant que cela se pouvoit, un des côtés de l’excavation, de manière
que chaque bloc à couper présentât naturellement trois faces libres, la face hori-
zontale supérieure, et deux faces verticales.
Nous venons de voir par quel procédé l’on séparait les deux faces verticales
adhérentes au rocher. Ce procédé n’étoit pas applicable à la face horizontale •
on profitoit, pour celle-ci, de la facilité de la pierre à se diviser dans le sens des
its de la montagne , et le bloc étoit séparé de sa base uniquement à l’aide de
coins. Je n ai jamais pu retrouver de traces de ciseau sur aucune surface horizontale
, et je ne sache pas que personne en ait remarqué.
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