sous la poussière et les ruines, et plus bas, des colonnes de granit isolées, ouvrage
plus récent; enfin, vers le nord, une construction que l’on croit Romaine: elle
est dirigée vers le bord du Nil, où elle finit par un bâtiment carré, analogue à
celui qui termine l’aqueduc du Kaire (i). Du côté du nord, cette ville étoit
bornée par le fleuve, et bâtie sur une pente douce , qui aujourd’hui est toute
remplie de dattiers. La plage est couverte de sable et de limon que le Nil y dépose
pendant le débordement. On y trouve plusieurs arbustes dignes d’attention (a) :
l’un est une grande espèce d’asclépias, qu’on a surnommée gigantea, dont les
fruits sont sphériques et vésiculeux et de quatre pouces de grosseur, très-commune
dans les sables d’Ombos, dans les déserts du Fayoum et dans tous les lieux très-
arides ; l’autre est une espèce d’acacia de la hauteur de cinq à six pieds, remarquable
par ses belles fleurs violettes, par ses globes de fruits velus et d’un jaune
doré, sur-tout par la propriété sensitive dont il jouit à un très-haut degré. Dès
que l’on en touche une branche , les pinnules des feuilles se rapprochent à
l’instant, puis les feuilles s’abaissent, enfin tout le rameau s’incline: il faut plusieurs
minutes pour que la branche reprenne .son premier état ; elle se relève
lentement, ensuite ses feuilles se redressent, et les folioles se rouvrent (3). Les
habitans connoissent très-bien cette propriété singulière; mais ils l’attribuent à une
influence magique. J ’ai entendu l’un d’eux qui , en touchant l’arbrisseau , lui
adressoit ces paroles d’un ton fort grave : Yâ chagar el-habâs, y â kell mangé,yâ
kell fâs. (Habâs est le nom de la plante.) Tels sont les mots sacrés qui doivent
produire le phénomène (4).
Je viens de conduire le lecteur à travers la ville des Arabes, et j’ai dit que la
ville antique avoit presque entièrement disparu sous les constructions du premier
siècle de l’islamisme. Ces dernières, à leur tour, se sont écroulées et n’offrent
plus que des débris. Déjà celles des Romains, bâties sur les ruines de la ville Égyptienne,
avoient elles-mêmes subi un pareil sort. C ’est ainsi qu’à Syène, plus que
par tout ailleurs, on voit se succéder les peuples et les âges divers ; chaque peuple,
chaque génération, a laissé des traces de son existence ou de son passage; et ce
mélange confus offre un chaos à l’oeil, un aliment à la curiosité, un champ vaste
à la méditation.
A la ville Arabe a succédé la ville moderne, que l’on croit bâtie du temps de
Selym. Son emplacement est plus à l’est et dans un fond : elle est entourée , au
nord-est, d’un bois de dattiers, et de jardins qui s’étendent très-loin sur une plage
basse, marécageuse après l’inondation; au midi est la montagne, escarpée et
toute remplie de carrières; au levant, un grand espace occupé par des maisons
rasées jusqu’au sol : la longueur de la ville est d’enviroh huit cents mètres ou quatre
cents toises. C ’est en terre que sont généralement bâties les maisons de la ville :
(1) Voyez pl. j i j etpl. 2. qui a bien ^voulu mjen donner l’orthographe comme il
(2) Voyez pl-30 jfig ./ f. I l suit: l^ * Js f L Ij Lès premiers mots
(3) C ’est la même plante que Bruce appelle Ergett el- veulent dire, 0 arbre Abyssinien-; ce qui est une expres-
Krone, et qu’ il a trouvée en Abyssinie. Voyez la p l. 7 sion juste: le reste n’a pas un sens relatif à la propriété de
de l’atlas du Voyage de Bruce. l’arbrisseau.
(4) J ’ai communiqué cette phrase Arabe à M. Raige,
on remarque dans beaucoup de maisons des voûtes au lieu de planchers, et ces
voûtes n’ont qu’un seul rang de briques ; ce qui n’empêche pas qu’elles ne subsistent
très-long-temps.
Le port où s’arrêtent les barques du Kaire, est assez vaste et fermé d’un côté
par des écueils. Les habitans font principalement le commerce des dattes; on
envoie ces fruits au Kaire, avec le séné qui vient du pays supérieur, et qu’on transporte
en barque jusqu’aux cataractes , puis de là jusqu’à Syène à dos de chameau.
Le commerce de dattes est assez considérable pour iàire subsister la ville : cependant
la misère des habitans y paroît grande; la plupart marchent presque sans
vêtemens, et l’on rencontre à chaque pas des enfans totalement nus. Il est vrai
que l’extrême chaleur du climat et la paresse excessive des naturels favorisent
beaucoup cette habitude et ce goût de la nudité: aussi ont-ils tout le corps basané
comme le visage, à un point tel que leur teint approche beaucoup de la couleur
des nègres, autant que la physionomie des uns diffère de celle des autres. La
population paroît avoir été considérable dans cette ville, à en juger par le
nombre des tombeaux qui l’environnent.
Je laisse à d’autres à traiter plus en détail de Syène moderne et de son commerce,
dont les voyageurs, et Pococke sur-tout, ont déjà parlé : dans cette
description des antiquités, nous ne rapportons, de la situation actuelle des lieux,
que ce qui peut fournir des rapprochemens utiles avec l’état ancien.
§. I I I .
Du Temple Égyptien et des autres Antiquités de Syène.
L e temple Égyptien qui subsiste à Syène, est dans l’ancienne ville, sur le penchant
de la hauteur dont j’ai déjà parlé , à cent dix mètres à l’est de la dernière
maison de la ville moderne, et à une égale distance des hautes eaux du fleuve; j’en
donne la position précise, afin d’aider à le retrouver , s’il vient à disparoître
entièrement sous les décombres, comme cela n’est que trop probable. On y entre
aujourd’hui, ou plutôt l’on y descend par la plate-forme, dont une grande partie
est enfoncée, et l’on se trouve sur un sol formé de sable et de poussière : un portique
de quatre colonnes et des arrachemens de murailles sont tout ce qu’on en
peut reconnoître, tant il est ruiné et encombré (i); sa largeur étoit d’environ
treize métrés (2), et ce qui subsiste de sa longueur est de onze mètres (3) ;
le couronnement et les chapiteaux des colonnes sont encore à découvert, et il
est facile, d’après l’exemple des autres monumens , de se représenter la façade
extérieure à-peu-pres telle qu elle devoit être. L ’entrée étoit tournée du côté du
fleuve. Au milieu des rochers de granit sur lesquels ce temple est fondé, on est
surpris de le trouver bâti en grès; mais ce fait est bien plus commun et plus
remarquable à Philæ. En général, les constructions en granit sont beaucoup plus
(') Voyez pl. j S , fig. j . (2) Quarante pieds. (3) Trente-quatre pieds.